procession 8 décembre Lyon
Procession religieuse du 8 décembre 2015 © Tim Douet

Fête des lumières : que reste-t-il de l’esprit du 8 décembre ?

Religieuse puis marqueur de l’image de Lyon à l’international, l’identité de la Fête des lumières a été en perpétuelle évolution ces trente dernières années. Aujourd’hui chargés de son organisation, les écologistes tentent d’ajouter leur touche à l’esprit du 8 décembre.

La question refait surface tous les ans entre gêne et nostalgie. Si les fondements religieux du 8 décembre ne souffrent aucun débat, son évolution vers une manifestation laïque s’accompagne d’une quête de sens. Les différents politiques qui en ont la charge l’habillent tous les ans d’une portée symbolique. Elle varie avec le contexte. En 2015, après les attentats de Paris, les festivités avaient été annulées, mais les lumignons aux fenêtres avaient une charge émotionnelle poignante. En 2021, après la parenthèse Covid, Grégory Doucet évoquait une forme de retour à la vie normale. Cette année, le maire écologiste de Lyon veut faire du 8 décembre la démonstration que sobriété peut rimer avec festivité et ainsi tordre le cou à l’image d’austères décroissants accolée aux Verts. Grégory Doucet résume ainsi la programmation 2022 : “Sobriété énergétique, mais abondance de joie et de plaisir". Le 8 décembre n’échappe pas à la règle d’une société qui cherche à donner un sens, un message ou une symbolique à n’importe quel événement.
“Nous sommes laïcs. La Fête des lumières n’a donc pas de dimension religieuse. Mais il y a autour du 8 décembre des valeurs que l’on peut partager : se retrouver, faire communauté. Le symbole du lumignon est important pour nous, mais pas dans sa dimension religieuse du cierge. Il renvoie à une pratique que toutes les familles peuvent avoir. Les enfants peuvent les fabriquer à l’école ou dans des associations d’éducation populaire et les installer aux fenêtres. J’aimerais que l’on retrouve cet aspect participatif”, développait Audrey Hénocque, première adjointe du maire,  à la veille de la première édition de la Fête, mitonnée par la majorité verte.

“Plus un geste de remerciement que religieux”

En replongeant dans la journée du 8 décembre 1852 où, pour la première fois, les Lyonnais ont gravi la colline de Fourvière lampions à la main, Georges Képénékian, ancien maire de Lyon et adjoint chargé de la Fête des lumières, trouve une matière politique. “L’histoire de cette Fête s’inscrit dans un moment particulier. Le matin du 8 décembre, les autorités avaient annulé la cérémonie d’installation de la statue de la Vierge Marie, car il pleuvait beaucoup. L’après-midi, la météo s’est améliorée et les Lyonnais spontanément ont pris leurs flambeaux et ont dépassé l’interdiction. En 1852, nous étions peu de temps après la révolution de 1848, et Lyon n’avait plus de maire. C’était un moment très sacré et aussi très politique”, relit-il. “La Fête des lumières peut être rattachée au sacré, mais le 8 décembre 1852, c’est plus un geste de remerciement que religieux”, abonde Yann Cucherat, conseiller municipal d’opposition et adjoint lors des deux dernières éditions des années Collomb. Depuis 2020, les écologistes se frottent à l’exercice de l’exégèse du 8 décembre. “Le sens et le symbole que je vois dans la Fête des lumières, c’est la convivialité, faire société. Il y a une connotation religieuse dans cette manifestation qui est celle de la ville sauvée de la peste, mais aussi une notion de rassemblement collectif”, analyse Gautier Chapuis, coprésident du groupe écologiste au conseil municipal. La nouvelle majorité a décidé d’en faire la vertu cardinale de leurs Fêtes des lumières. “Autour du 8 décembre, il n’y a pas d’enjeux de sociabilité ou politique. C’est une fête individuelle, de déambulation et religieuse à l’origine”, tranche Bruno Benoit. Cet historien de Lyon et inventeur du concept de lyonnitude s’amuse des interprétations des édiles : “Les politiques récupèrent toujours à leur façon l’histoire.”

“D’une fête familiale à une manifestation festive”

La part du religieux a significativement diminué avec le temps. Un phénomène qui s’est accéléré à partir des années 1990 et l’apparition de la Fête des lumières dans sa version actuelle. “Michel Noir avec sa volonté de mettre la ville en lumière ont marqué une première étape. Raymond Barre et surtout Gérard Collomb ont continué dans cette veine et ont fait du 8 décembre une fête, comme toutes les grandes villes qui cherchent à attirer des touristes autour d’une identité. Lyon est passé d’une fête familiale à une manifestation festive sur plusieurs jours autour d’effets de lumière qui attirent des cars”, juge, sévèrement, Bruno Benoit. Une évolution qui partage les Lyonnais avec un débat qui se prolonge jusque dans les rangs des élus. “Je n’ai jamais vécu le 8 décembre comme une fête religieuse quand j’étais enfant. Pour moi, elle annonçait les fêtes de fin d’année. C’était un événement spécial. Nous allumions des bougies à nos fenêtres. C’est un événement culturel, historique et populaire. Je reste attaché au 8 décembre, mais je ne vais pas à la Fête des lumières”, confie Rémi Zinck, maire du 4e arrondissement et lyonnais de naissance.
La dimension religieuse du 8 décembre surgit en flash autour de la Fête des lumières. Elle est principalement incarnée par le “Merci Marie” qui orne la colline de Fourvière. “Je juge toujours la réussite de la fête en fonction du site de Fourvière. C’est le site clé. Il est en lien avec l’histoire de notre ville, mais c’est aussi le plus difficile à mettre en lumière, notamment la partie basse de la colline. Pour la cathédrale Saint-Jean, la mission est plus simple et les artistes se trompent rarement”, glisse Yann Cucherat. “Il est impossible de nier la dimension spirituelle du 8 décembre, mais dans le choix des œuvres, la question religieuse n’avait pas sa place. Nous prenions juste garde de laisser le “Merci Marie” de la fondation Fourvière visible. Et puis nous soumettions, seulement pour avis, le choix de l’illumination de la cathédrale Saint-Jean au cardinal. C’était une espèce de modus vivendi”, confie Georges Képénékian.
Depuis l’année dernière, le religieux fait aussi un retour en force. La Région a investi la basilique de Fourvière. Avec l’assentiment des écologistes. “Nous avions bloqué sa demande pendant deux ans. Nous avions compris qu’elle ne serait pas dans le ton”, se désole un ancien adjoint. Le spectacle de l’an dernier embrassait la dimension religieuse sur quelques “tableaux”. En 2022, l’illumination sera de retour pour un mois. “Ça devient une compétition entre les deux collectivités, à celle qui fera le plus beau son et lumière. Ce n’est pas l’identité lyonnaise”, regrette Bertrand Artigny, élu écologiste du 5e arrondissement. Au sein de la Fête des lumières, un site tente de faire le lien entre le festival autour de la lumière et la dimension religieuse originelle : les Lumignons du cœur. Chaque année, la Ville de Lyon réserve un lieu emblématique à une illumination plus intimiste à la bougie. Les spectateurs peuvent acheter sur place des lampions au profit d’une association. En 2022, la collecte sera reversée à l’Armée du salut. “Les Lumignons du cœur ont été rajoutés pour montrer qu’il ne s’agit pas que d’une fête avec du vin chaud et des merguez”, sourit Georges Képénékian.

Lumignons en berne

Le croisement des courbes de popularité entre le 8 décembre, canal historique, et la Fête des lumières a abouti à une diminution de l’importance des lumignons. Et aussi de leur nombre. “Plus on avance dans le temps et plus ils disparaissent. Sur le précédent mandat, nous avions dû faire une campagne d’affichage pour encourager les Lyonnais à illuminer leurs fenêtres. En plein cœur de la ville, il est devenu rare de voir des lampions sur les bâtiments. On en retrouve davantage dans des quartiers plus éloignés et plus populaires. Peut-être que tous ceux qui habitent en centre-ville ne sont pas tous des vrais Lyonnais. Il faut garder la dimension patrimoniale de la Fête, mais je sens une déliquescence progressive”, peste Yann Cucherat. “Je constate chaque année que dans les supermarchés, la pile de lampions baisse lentement. Qui est encore Lyonnais aujourd’hui ?”, abonde Bruno Benoit. Le nouveau Lyonnais, cadre en mutation pour caricaturer, verserait moins dans ce particularisme local.

Illuminations collaboratives

Pour associer les Lyonnais à la Fête et à son évolution dans le temps, les écologistes veulent en faire des acteurs. Depuis l’année dernière, des œuvres du festival de son et lumière sont construites avec des habitants. En 2022, plusieurs œuvres sont collaboratives comme le I love light de la place Bellecour ou le projet Beacon of hope dans le jardin de l’institut Lumière. Ils mettent aussi en avant le marqueur de la convivialité avec deux évolutions majeures. Afin de développer l’offre à destination d’un public familial, la Fête des lumières investit le parc Blandan avec des œuvres pensées pour le jeune public. La programmation du festival épouse la promesse de Grégory Doucet de faire de Lyon une ville à hauteur d’enfants. La nouvelle majorité teste en 2022 un espace de pause sur la place Bellecour où les spectateurs pourront se retrouver autour d’un verre ou d’un plat. “C’était l’une des critiques des touristes qui disaient que dans la ville de la gastronomie, on mangeait moyennement lors de la Fête des lumières”, justifie Julien Pavillard, coordinateur de l’événement. De l’ADN du 8 décembre, c’est le génome de la convivialité que les écologistes veulent travailler.

Une programmation trop politique ?

Cette année, de nombreuses œuvres présentées au public développent un message environnemental ou interrogent la place de la nature en ville. Au parc de la Tête-d’Or, l’imposante structure Agorythm projette des lasers sur un tempo dicté par la qualité de l’air ou la circulation à vélo. De nombreuses installations sont réalisées à base de matériaux recyclés. Des choix qui interpellent Yann Cucherat, ancien adjoint chargé du festival lors du mandat précédent : “Nous n’avons jamais donné de thématique ou de coloration politique à la Fête des lumières. Avec Gérard Collomb, nous estimions qu’il ne fallait surtout pas le faire et laisser libre cours aux artistes. Spontanément, ils font passer des messages. Parfois ils s’emparaient de questions environnementales. Je me souviens d’une œuvre sur le cheminement menant au parc de la Tête-d’Or qui évoquait la faune et la flore. Mais là, j’ai l’impression qu’il y a une coloration plus politique dans la programmation. Il ne faudrait pas s’éloigner de la tradition de la Fête des lumières.” “Chacun a sa façon de voir la Fête des lumières. Quand Gérard Collomb l’utilisait comme un outil de rayonnement pour faire venir des touristes étrangers, c’était une orientation politique. Nous avons été élus pour donner une orientation à la ville et c’est ce que nous faisons dans toutes nos politiques. Cela vaut aussi pour la Fête des lumières. Mais je pense que c’est surtout le monde artistique qui va dans cette direction. Les politiques sont souvent les derniers acteurs à bouger”, assume Gautier Chapuis, coprésident du groupe écologiste au conseil municipal. Gérard Collomb avait théorisé, pendant ses presque vingt années de mandat, que les œuvres trop intellectualisées n’étaient pas particulièrement bien accueillies par les spectateurs. Il avait même évincé, après une édition 2004 jugée trop intello, Pascale Bonniel-Chalier son adjointe… écolo au 8 décembre.

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