David Bressat Quintet : Charles Clayette, Aurélien Joly, David Bressat, Éric Prost et Florent Nisse © Clémentine Buray

Jazz : David Bressat raccroche les étoiles

Sorti début novembre, Constellation, le troisième album de David Bressat et son quintet, se présente comme une œuvre post-Covid célébrant la joie de rejouer et la fin de la frustration. Un disque symboliquement enregistré en live dans six clubs phares de la région et qui achève d’installer le pianiste lyonnais comme un pilier du jazz local, mais aussi français.

À Lyon, il y a la rosette, le beaujolpif, l’OL, et puis il y a David Bressat, qui est un peu l’équivalent de tous les symboles précités mais dans le jazz. Non pas que sa notoriété soit, comme ces exemples célèbres, mondiale – cela viendra peut-être. Mais parce que son implantation y est équivalente et qu’il a beaucoup œuvré dans cette ville, et autour, en faveur des musiques dites improvisées.

Car nous avons là l’un des fondateurs de l’indispensable lieu de défrichage de ces musiques pas comme les autres, qui ratisse über-large en la matière (s’étant largement ouvert à toute expression de l’avant-garde), à savoir le Périscope, niché sur les contreforts de Perrache. Mais aussi du collectif Polycarpe, important groupement pour la vitalité et la promotion du jazz, de musiciens et de groupes de jazz.

Mais la meilleure promotion que Bressat fait du jazz, c’est encore quand il se met au piano qu’il l’accomplit. Comme interprète, après avoir joué dans un nombre incalculable de formations dans sa jeunesse (Caféine, Tétragone, Néo/De Fursak pour ne citer qu’eux…), on l’a vu officier en tant que side man aux côtés de Vincent Périer, Ben Guyot, Poppy Grass, du Big Band de l’Oeuf et en tant que personnage principal du projet hommage à Nougaro Chansongs ou au sein du trio Isaac’s Mood.

Et comme dans le jazz, un CV s’étoffe forcément en alignant les collaborations avec les plus grands (quand bien même on affectionnerait également la vitalité des plus petits), le pianiste a officié auprès de Dee Dee Bridgewater, Dave Liebman, David Enhco ou Marcus Strickland (le très beau projet French Connection 1&2 revisitant toute la palette des classiques français de Ravel et Debussy à… Daft Punk en passant par Brassens et… Cloclo). Bien garder à l’esprit toutefois que ce ne sont que des déambulations dans une vie parallèle d’interprète. La principale se tenant bien au sein des David Bressat trio et quintet.

Relation

C’est donc en son nom propre que Bressat et ses acolytes ont livré deux albums Alive (2017) et True Colors (2019), deux disques dont l’authenticité prime avant toute chose et notamment par l’opération d’un enregistrement live (où le public a sa part, bien entendu).

Parce que le jazz ne peut se concevoir que comme tel, c’est une musique vivante, organique, où la Relation (avec un grand “r”) prime sur toute autre considération. Ce qui fait dire à l’écrivain de la créolité que le jazz est LA musique symbole de la grande théorie de la créolisation conceptualisée par son ami Édouard Glissant, et donc la musique du monde actuel, plus que toute autre.


Une sorte de grand tout à célébrer où chaque grain de sable contribue à former une étoile, et chaque étoile, une constellation, une galaxie, un univers


C’est logiquement avec le même élan que David Bressat a conçu son troisième album, Constellation, en quintet avec ses complices, le contrebassiste Florent Nisse, le batteur Charles Clayette, le saxophoniste Éric Prost, le trompettiste et bugliste Aurélien Joly, et lui-même au piano. À un tel degré de connivence, la Relation ne peut-être que totale et donner lieu à des moments musicaux d’une fluidité absolue et d’une harmonie parfaite.

Un disque évidemment imprégné de la période durant laquelle il a été conçu, celle dont on n’a pas fini d’entendre parler dans 80 % des œuvres artistiques à venir, du Covid, bien entendu. Une période, on le sait, particulièrement cruelle pour les artistes, et les musiciens au premier chef, et les musiciens de jazz en particulier. Allez donc célébrer et concevoir une musique live, des albums live, quand il est interdit de donner des concerts, de produire de l’instant présent, de tisser de l’éphémère – le jazz, se vivant dans la chair, n’étant pas taillé pour les réunions Zoom.

C’est donc pendant cette période, quelque peu arrimé à une forme de colère, que David Bressat a composé les morceaux de Constellation. Et une fois les restrictions mises au ban, jaillit la volonté de célébrer les scènes qui l’avaient fait vivre et vibrer jusqu’à présent. Manière de matérialiser aussi l’ancrage local cité plus haut.

Renaissance

Car il serait dit que Constellation aurait été enregistré durant six jours d’affilée de février 2022 dans pas moins de six clubs de la région Rhône-Alpes (et Franche-Comté) connus pour leur dévotion au jazz que Bressat s’impatientait de refouler une fois la crise sanitaire passée.

Cette Constellation, c’est un peu l’ensemble des passionnés qui œuvrent ou vivent chaque jour pour cette musique : public de tous âges, bénévoles, photographes et journalistes, musiciens, associations culturelles. Une sorte de grand tout à célébrer où chaque grain de sable contribue à former une étoile, et chaque étoile, une constellation, une galaxie, un univers. D’où que ce disque soit en quelque sorte, si ce n’est une Renaissance (c’est le titre du morceau d’ouverture), du moins une aube qui se lève (à nouveau) comme le symbolisent le titre Dawn et son clip. Un éveil de la nature prête à communier à nouveau, une nouvelle rencontre avec le vivant qui donnerait l’impression de l’inédit, où la rythmique et les cuivres font semblant de s’apprivoiser quand, en réalité, ils se connaissent si bien. Parce que sans doute, s’apprivoiser à nouveau, c’est revivre la joie du (re)commencement.

Ce qui fascine sur ce disque et au sein de ce quintet c’est la manière dont David Bressat, pourtant personnage a priori principal du projet, fait le lien entre les deux duos de musiciens (rythmique versus cuivres, donc) avec une discrétion remarquable, s’effaçant volontiers devant le collectif – et offrant même à Florent Nisse de composer Pit Stop.

Constellation est un album évidemment lumineux, tantôt de ce genre de lumière nocturne où les étoiles sont si brillantes qu’elles éclairent les ténèbres, tantôt, on l’a dit, d’une lumière matinale. Chaque morceau serait en réalité une variation sur ce thème de la nuit qui s’estompe. C’est au moins une des vertus de la coupure Covid que d’avoir permis de connaître ce genre de sensation de retour de la lumière sur un fond de ténèbres, de redémarrage d’un monde que pour la première fois on aura connu arrêté.


Constellation – David Bressat, Obstinato


 

 

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