Margrethe Vestager, Vice-présidente exécutive de la Commission européenne

La "Dame de fer de Bruxelles" docteur honoris causa de Lyon 3

L’Université Jean Moulin Lyon 3 décerne le titre de docteur honoris causa à Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission européenne.

Il y a quelques années, Apple et Amazon tombaient sous ses coups. Main de fer dans un gant de velours, Margrethe Vestager, alors commissaire européenne à la concurrence (qui a inspiré l'héroïne de la série politique Borgen) incarne l'Europe qui ne se laisse plus faire.

Le titre de Docteur Honoris Causa est l’une des plus prestigieuses distinctions décernées par les universités françaises pour honorer "des personnalités de nationalité étrangère en raison de services éminents rendus aux sciences, aux lettres ou aux arts, à la France ou à l’université".

Eric Carpano, président de l'Université Jean Moulin Lyon 3 et Olivier Gout, doyen de la faculté de droit remettront, vendredi 24 mars, le titre à la vice-présidente exécutive de la Commission européenne.

Une quarantaine de doctorats honoris causa

Depuis 1973, une quarantaine de doctorats honoris causa ont été remis par l’Université Jean Moulin. Les deux derniers en date (19 septembre 2022) sont l’écrivain Philip Sands, avocat et écrivain qui milite actuellement pour que Vladimir Poutine soit traduit devant des juridictions pénales internationales et Johannes Masing, ancien juge constitutionnel allemand.

Fait rarissime, le président Carpano a fait retirer, l’an dernier, le titre de docteur honoris causa que l’Université Jean Moulin avait au dictateur burkinabe Blaise Compaoré.

A lire : l'entretien de Margrethe Vestager, que Lyon Capitale avait rencontré en novembre 2016, à Bruxelles.

"Aucune entreprise n'est assez puissante pour ne pas être assujettie à la loi"

@Trine Søndergaard

L'entretien de Margrethe Vestager que Lyon Capitale avait réalisé en novembre 2016

Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence

C'est la deuxième femme la plus puissante du continent, après Angela Merkel. Propulsée il y a deux ans à un poste clé de l'Union européenne, l'ancienne ministre danoise des finances fait aujourd'hui trembler les géants américains de la tech, comme Apple, ou le champion gazier russe Gazprom... tout en tricotant des éléphants – "ils habitent en groupe, leur chef sont des femmes et ils ont une bonne mémoire". Celle qui a inspiré l'héroïne de la série politique Borgen, incarne l'Europe qui ne se laisse plus faire, se mettant à dos Barack Obama et Vladimir Poutine. Poids-lourd de l'exécutif européen, et véritable star de la commission Juncker, Margrethe Vestager nous a reçu, sans conseiller, au dixième étage de son bureau du Berlaymont, le siège de la Commission européenne, à Bruxelles.

Lyon Capitale : En quoi consiste au juste le poste de Commissaire européen à la concurrence que vous exercez depuis deux ans ?

Margrethe Vestager : L'idée est de garantir à chaque citoyen européen un marché juste et équitable, de s'assurer que les grandes entreprises et les acteurs déjà établis ne dominent pas le marché ne se le partagent en fixant les prix à huit clos, mais que que les petites et moyennes entreprises aient,elles aussi, un accès en ayant la possibilité de proposer leurs services et leurs produits.

Quel sens donnez-vous à votre mandat ?

Je souhaite contribuer au sentiment chez les Européens que la société ici, en Europe, est plus juste. Ce serait un grand honneur pour moi d'y participer.

Combien d'arrangements fiscaux entre multinationales et États êtes-vous en train d'étudier ?

Nous étudions actuellement mille dossiers. Notre travail consiste à examiner de quelle manière travaillent les États avec les entreprises : lorsque celles-ci font des demandes d'aides auprès des gouvernements, nous épluchons les réponses données par les États en vue de déterminer si ces aides ont été attribuées illégalement via l'argent des contribuables. La bonne nouvelle, c'est que sur ces mille dossiers que nous avons ouverts, nous constatons qu'il y de très nombreuses d'entreprises respectueuses de la loi.

Quelles sont vos dossiers les plus difficiles ?

Il y a bien sûr toutes les questions touchant aux aides illégales attribuées par les États, comme ce fût par exemple le cas entre l'Irlande et Apple, mais aussi des cas d'antitrust c'est-à-dire de dominance excessive du marché. Il s'agit, sur ce point, de domaines très particuliers, dans des domaines qui conditionnent notre vie : le numérique, l'énergie ou le secteur financier.

Votre prédécesseur vous a laissé un volume de travail conséquent. Doit-on y voir un manque de courage de sa part ?

Non, il ne s'agit pas de cela. Dans les faits, chaque commissaire à la concurrence s’appuie sur le travail de ses prédécesseurs, certains de ces dossiers étant très longs à traiter. Prenons le cas du « cartel des camions ». Nous avons estimé que cinq constructeurs de poids-lourds ont enfreint les règles de concurrence de l'Union européenne. Ces constructeurs se sont entendus pendant quatorze ans sur les prix de vente de leurs camions ainsi que sur la possibilité de répercuter sur les acheteurs les coûts de mise en conformité avec les règles plus strictes en matière d’émissions. Une sixième constructeur est dans notre collimateur. Lorsque j'ai pris mon mandat, il y a deux ans, il y avait déjà 250 000 documents traités dans ce dossier... Il a fallu un an et demi avant de décider de la pénalité à leur infliger, soit, au total, plus de 2,9 milliards d'euros pour ces agissements illégaux.

Quelle est votre marge de manœuvre, face aux nombreux et influents lobbys ?

Nous tenons un registre de nos rencontres. Si ces lobbys se présentent, ils doivent être enregistrés. On sait, de cette manière, si des collègues ont rencontré des représentants de lobbys. Cela permet donc de réduire un peu les tentatives des hobbyistes auprès de nous. En règle générale, je ne rencontre pas les lobbys. Ma porte est en revanche ouverte aux entreprises. Si un PDG souhaite échanger avec moi sur une fusion ou n'importe quel autre sujet, je suis disponible. En d'autres termes, nous travaillons avec les décisionnaires qui sont responsables de la décision de leur entreprise, ceux qui vont dicter le comportement de leur entreprise. Cela fonctionne d'ailleurs très bien. Il faut constamment examiner les faits et les preuves de chaque cas et ne jamais se laisser influencer par telle ou telle perspective.

Votre statut a-t-il changé depuis que vous avez contraint Apple à rembourser 13 milliards d'euros à l'Irlande ?

Je ne pense pas en ces termes. Nous avons eu de très nombreux succès sur de plus petits dossiers, qui n'ont pas eu le retentissement médiatique donné à Apple. Ce qui est important à mes yeux, c'est de dire haut et fort qu'aucune entreprise n'est assez puissante pour ne pas être assujettie à la loi. Il y a tellement d'entreprises qui paient leurs impôts sur les sociétés, qui ne bénéficient d'aucun avantage particulier, qui ne sont pas organisées pour ne pas payer leurs impôts et qui respectent la loi ...

« Aucune entreprise, aussi puissante qu'elle est, n'est au-dessus des lois ». On a pourtant la nette impression que ce sont les multinationales et les grandes banques qui contrôlent l'économie...
C'est vrai. Mais, petit à petit, la législation dans chaque État-membre se met en place en ciblant beaucoup plus qu'avant le secteur financier. Au Parlement européen, au Conseil des ministres, personne n'est dupe sur les pratiques qui ont cours dans le secteur financier. Nous avons besoin de beaucoup plus de fiabilité.

Alors qu'il était président de la République française, Nicolas Sarkozy avait déclaré que « les paradis fiscaux, le secret bancaire, c'est terminé ». Sept ans après, rien n'a vraiment changé. Comment luttez-vous contre les paradis fiscaux ?

Grâce au travail que nous faisons au quotidien. Pierre Moscovici (commissaire européen à la fiscalité, NdlR) a mis en place une alliance fiscale. Il en est le chef de file. C'est lui qui mène le travail qui consiste à limiter au maximum ces activités. D'ici la fin de l'année 2017, nous allons établir une « liste noire » des paradis fiscaux, qui recensera, pour chaque pays, le risque qu'il présente de favoriser l'évasion fiscale, grâce à toute une série d'indicateurs. C'est une bonne nouvelle.

L'impopularité des accords commerciaux entre l'Union européenne et les États-Unis (Tafta) et celui avec le Canada (Ceta) est croissante. Que doit-on en espérer et que doit-on en craindre* ?

Prenons l'exemple de l'accord de libre-échange avec le Canada. Il s'agit d'un accord tout à fait extraordinaire, et je pense que les problèmes qui ont été soulevés ont été résolus. Aujourd'hui, vingt sept pays sont en faveur de cet accord. Il ne reste plus que la Belgique avec la région de Wallonie qui ne veut pas voter ce texte. Le Ceta est un bon exemple de ce que nous pouvons faire ensemble car si chaque État-membre se présentait devant le Canada en demandant un accord individuel, il aurait moins de poids. Le fait d'être unis, en revanche, nous rend plus attractifs pour le Canada. Quant à l'accord de libre-échange avec les États-Unis, il n'est pas suffisamment en faveur des Européens. Il n'est à ce jour pas assez abouti et doit être revu.

La raison d'être de l'Europe est de représenter les intérêts des Européens, de faire en sorte que la société que nous proposons s'occupe de chacun d'eux en leur donnant des opportunités et une égalité de chances. De nombreuses personnes craignent que la société se transforme en une grande multinationale, qu'elles vont bientôt être licenciées. C'est à la fois effrayant et triste. C'est exactement l'inverse. Dans une société, chacun est un citoyen, chacun a le droit d'exister et de participer à la vie de la société. J’aimerais que chaque Européen sente qu’il a sa chance sur ce continent, qu’il peut la saisir, qu'il sente que chacun paie son dû et que l’équité existe.

* entretien réalisé avant le vote du Parlement wallon.


Le Brexit, est-ce un bien ou un mal selon vous ?
Je suis profondément attristée par cette issue. J'avais vraiment espéré que le Royaume-Uni reste membre de l'Union européenne. Les négociations vont probablement débuter en mars 2017, mais en attendant, nous ne pouvons pas savoir quelles seront les conséquences de cette séparation. Nous pouvons être certains d'une seule chose, ce sera un immense défi. Imaginez un peu, quand vous avez vécu ensemble quarante trois ans, comment se défaire de tous vos liens ?

Le Royaume-Uni a toujours exigé une Europe à la carte. Londres est passé maître dans l'art de négocier les options de retrait à chaque nouveau traité. Cette philosophie lui a permis d'obtenir un certain nombre d'exemptions quant aux obligations que réclame l'appartenance à l'Union européenne. Est-ce normal ?
Je crois que ce problème, nous le vivons au quotidien dans nos propres vies. Quand vous faites partie d'une famille, vous devez faire des compromis, il y a des choses que vous acceptez, d'autres non. Mais le bénéfice de faire partie d'une famille, c'est de faire partie de quelque chose chose qui a une force, où il y a un dévouement, une volonté de réaliser des choses ensemble. C'est cela la force d'une famille. Sinon, vous pouvez choisir d'être totalement indépendant mais de manière isolée, et donc tout seul.

Dans cette Europe post-Brexit affaiblie, quel avenir donner à l'Europe ?

L'essentiel, c'est que l’Europe ne doit pas être trop compliquée. Les gens ne s'inquiètent

pas tant pour eux-mêmes que pour l'avenir de leurs enfants. Pourront-ils réussir ? Pourront-ils avoir un travail décent ? Pourront-ils élever leur famille convenablement ?

Il est primordial pour nous, du point de vue de la démocratie européenne, d'œuvrer sur ces questions essentielles. L'économie doit être en mesure de fournir un travail à tous ceux qui le souhaitent.

Êtes-vous plutôt pessimiste sur l'état de l'Europe ?

Je suis moi-même plutôt optimiste. Pour moi, les pessimistes ne font jamais rien et considèrent que, de toute façon, ce sera pire demain. Il se disent donc « pourquoi se donner la peine de tenter quelque chose ? ». Lorsqu'on regarde tout ce qui se passe aujourd'hui et les difficultés que nous vivons, cela nous fait souvent oublier que l’Europe est un endroit formidable pour vivre. Pour les femmes, par exemple, les conditions de vie n'ont jamais été aussi bonnes. Cela nous donner un grande force et nous devons utiliser cette force pour continuer à progresser.

Pourtant, ils sont nombreux à penser que cela ne fonctionne plus assez bien. Les divergences se font jour sur la solidarité, la crise migratoire ?

Bien sûr, ces questions sont compliquées. Mais pour moi, les Européens ont le cœur ouvert et ne négligent pas du tout la souffrance des autres. Ils s'en inquiètent au contraire, je pense. Néanmoins, ils souhaitent que la solution soit ordonnée, réfléchie.

Ils veulent plus d'ordre dans la manière de traiter ces questions, ils ne veulent pas d'un chaos.

L'ancien président de la commission européenne, José Manuel Barroso, est parti travailler chez Goldman Sachs, l'ancienne commissaire à la concurrence, Neelie Kroes, a caché pendant son mandat qu'elle était administratrice d'une société offshore aux Bahamas. Ces deux personnages ont entaché l'image de l'institution pour laquelle vous travaillez. Les règles d'éthique doivent-elles revues ?

José Manuel Barroso a respecté la période imposée par les règles européennes avant de reprendre une activité, même si le choix de son nouvel employeur peut laisser perplexe. Quand à Neelie Kroes, elle a commis une erreur. De toute façon, nos règles de déontologie en Europe sont inopérantes lorsqu'on dissimule des informations que peu de gens connaissent. C'est la limite du dispositif.

Sans les lanceurs d'alerte, votre travail serait-il toujours possible ?

Les lanceurs d'alerte, comme les journalistes, ont un rôle important à jouer. Il ne s'agit pas tant d'une question d'informations obtenues mais plutôt de sensibilisation publique. Lorsque tous les médias traitent d'un sujet, cela suscite une réaction. C'est propice à l'action politique.

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