Après une baisse de plus de 70% de sa subvention accordée par la Ville de Lyon, l’Espace 44 est aujourd’hui menacé de disparaitre. (Photo HADRIEN JAME)

Le plaidoyer de l’Espace 44 pour sa survie auprès de la Ville de Lyon

Confronté à une baisse de plus de 70% de la subvention que lui accordait jusqu’ici la Ville de Lyon, menacé de disparition, l’Espace 44 a joué son va-tout le 22 mars pour tenter d’infléchir la décision de l’adjointe à la Culture. 

"Je suis calme, je suis un artiste, mais lorsque l’on m’assassine je contre-attaque", lâche d’un ton grave André Sanfratello, le directeur de l’Espace 44. Campé sur la scène de son petit théâtre, niché depuis une quarantaine d’années au coeur des Pentes de la Croix-Rousse, il fait face mercredi 22 mars à une vingtaine de personnes. 

"Me donner 10 000 euros c’est se foutre de ma « gueule », je ne peux pas vivre avec ça. Une aumône je n’en veux pas"

André Sanfratello, le directeur de l’Espace 44

Parmi eux, des artistes, des amis, quelques journalistes et surtout Nathalie Perrin-Gilbert, l’adjointe à la culture de la Ville de Lyon. Assise au premier rang, l’ancienne maire du 1er arrondissement applaudit avec cynisme la tirade qui lui était directement adressée, jetant un véritable froid sur la salle. "Bravo vous êtes un très bon comédien", lance pince-sans-rire l’élue en se levant pour prendre le centre de la scène, avant de déclarer "je vais jouer la comédie avec vous" devant une assistance abasourdie.

Avec beaucoup de courage politique, l'adjointe à la Culture de la mairie de Lyon, Nathalie Perrin-Gilbert, est venue expliquer, dans une ambiance plus que tendue la raison de la baisse de la subvention municipale accordée à l'Espace 44. (Photo HADRIEN JAME)

Au bord de la fermeture

La scène qui se joue devant nos yeux pourrait être le début d’une mauvaise pièce de théâtre ou d'une comédie burlesque. Mais au vu du contexte dans lequel elle se déroule, elle tient plutôt du surréaliste. Car si André Sanfrantello a rameuté tout ce petit monde dans son théâtre, c’est pour alerter sur la baisse de plus de 70% de la subvention que lui accordait jusqu’ici la Ville de Lyon pour faire tourner sa structure. "Me donner 10 000 euros c’est se foutre de ma « gueule », je ne peux pas vivre avec ça. Une aumône je n’en veux pas", confie le directeur du théâtre alors que la ville lui a annoncé la réduction de 35 000 à 10 000 euros de son aide. 

"On est complètement dévasté à l’idée que ce lieu si précieux puisse disparaître. Il fait le lien entre la création et l’innovation et donne un espace de recherche aux artistes"

Cynthia, une artiste passée par l'Espace 44

Une annonce qui sonne tel le glas pour l’Espace 44 qui emploie six personnes malgré ses difficultés financières. "Toute ma vie, il a fallu que je me batte pour obtenir trois sous, je veux juste de quoi faire tourner le théâtre. Si on ne peut pas le faire, j’y mettrai un point final, mais je veux au moins aller jusqu’au mois de juin pour finir ma saison", assure André Sanfrantello après avoir tenté de convaincre, devant témoins, Nathalie Perrin-Gilbert de l’importance de son théâtre dans l'écosystème lyonnais.

Plus en phase avec les critères de la Ville

Aujourd’hui, l’élue estime que la structure ne répond pas aux critères d’attribution de subventions établis par la municipalité et qui lui permettraient de bénéficier d’une aide plus importante. "Ce qui est important pour moi c’est de déterminer comment les lieux sont au service des artistes et de leur parcours de création et diffusion", explique l’adjointe à la culture à une assistance finalement très attentive et respectueuse après un début de réunion houleux. Autrement dit, elle attend désormais des structures culturelles lyonnaises qu’elles payent les artistes en cachet et non plus en leur reversant une partie des recettes de billetterie. L’Espace 44 serait aussi à la peine lorsqu’il s’agit de mettre en relation ses artistes avec d’autres scènes, "il n’est plus en lien avec le réseau des différentes scènes", poursuit l'élue, qui a fait de ce point un élément central de la politique culturelle de la Ville. Un constat qui, il y a quelques mois, l'a poussé à retirer son label de Scène découverte à la structure.

"Il faut trouver un équilibre entre l’accompagnement professionnel et l’ouverture à des pratiques plus amateurs qui sont en train de se chercher esthétiquement et culturellement"

Nathalie Perrin-Gilbert, adjointe à la Culture de la Ville de Lyon

Des mots difficiles à entendre pour André Sanfratello, alors qu’il se bat depuis de nombreuses années pour permettre à des artistes, jeunes ou moins jeunes, pas forcément issus des écoles du spectacle de trouver un public. Très touchés, plusieurs artistes venus le soutenir n’hésitent alors pas à prendre la parole pour partager leurs souvenirs sur les planches de l’Espace 44 et l’importance de ce théâtre dans leur carrière. 

André Sanfratello, le directeur de l'Espace 44, ne voit pas comment il pourra continuer à faire tourner son théâtre sans cette subvention. (Photo HADRIEN JAME)

"J’ai eu un statut d’intermittent très jeune et je l’ai perdu. André m’a permis de retravailler de revivre", confie Mélodie. "Pour qui moi qui redémarre une carrière d’artiste et qui n’ait pas de réseau ce lieu c’est un carré pour me produire. Je n’ai pas été payé, c’était bénévole, mais c’était génial. Cela, ça n’apparaît pas dans les lignes de compte, on existe au-delà des statistiques", plaide une autre artiste. Dans une vidéo diffusée à l’assistance, Cynthia une artiste aux créations conceptuelles partage quant à elle son désarroi de voir disparaître un lieu qui "autorise beaucoup d’imagination scénique. On est complètement dévasté à l’idée que ce lieu si précieux puisse disparaître. Il fait le lien entre la création et l’innovation et donne un espace de recherche aux artistes. C’est un lieu historique et ancré dans la modernité".

"On ne se comprend pas"

Des messages empreints d’une forte émotion, ce qui n’a pas manqué de toucher Nathalie Perrin-Gilbert, qui admet que "ces témoignages sont émouvants, légitimes est sincères". D'un autre côté, elle maintient qu'il est aujourd'hui indispensable pour l'Espace 44 de "trouver un équilibre entre l’accompagnement professionnel et l’ouverture à des pratiques plus amateurs qui sont en train de se chercher esthétiquement et culturellement".

Alors qu’une pétition ouverte sur Change.org pour sauver le théâtre réunit déjà plus de 1 700 signatures, l’élue attend désormais qu’André Sanfratello lui présente un projet répondant aux critères de la Ville pour envisager de revoir son aide à la hausse. Après une heure d'échanges, lui, peine toujours à voir en quoi le lieu qu'il porte à bout de bras depuis 40 ans ne répond pas à l'accompagnement et à la diffusion des artistes, "on ne se comprend pas" se désole-t-il.

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