Maître Sophie Pochard est membre de la Commission droit des étrangers du barreau de Lyon. Elle était sur le plateau de l'émission "6 Minutes Chrono" de Lyon Capitale, pour parler des délais des délivrances et des renouvellement des titres de séjour à la préfecture du Rhône.
Maître Sophie Pochard détaille les principaux problèmes liés aux titres de séjour dans la préfecture du Rhône : "Parmi les problèmes que nous pointons, il y a vraiment la question du délai du retard catastrophique sur la délivrance des premiers titres de séjour ou même le renouvellement des titres de séjour pour les personnes qui réside de façon régulière sur le territoire français. Ces gens sont en situation stable et ils rencontrent vraiment des difficultés massives à obtenir les justificatifs de leur résidence régulière sur le territoire français."
Des conséquences lourdes sur la vie professionnelle
L'avocate poursuit en expliquant les conséquences concrètes dans la vie des personnes concernées qui sont en situation régulière en France : "Les conséquences sont nombreuses et elles sont vraiment très pratiques. Tout d'abord sur l'activité professionnelle, c'est très immédiat. On est sur le cas où la préfecture a tendance à renouveler des documents provisoires, des récépissés de trois mois, parfois avec retard d'ailleurs, sur des périodes qui peuvent atteindre de deux à trois ans pour des personnes en situation régulière. Pour ces personnes qui exercent une activité professionnelle, très concrètement, leur employeur se retrouve tous les trois mois à devoir demander le nouveau justificatif de séjour, et donc il doit parfois suspendre le contrat de travail le temps que le nouveau justificatif arrive. Cela, c'est pour les personnes qui sont en contrat de travail stable, pour celles qui sont en CDD ou en intérim, c'est carrément une impossibilité d'exercer une activité professionnelle puisque sans justificatif de droit au séjour et de droit au travail, une personne étrangère ne peut pas signer de façon légale un contrat de travail."
Usure psychologique
Elle développe sur la question du logements et de l'impact psychologique : "Après les pertes de salaire ce sont les questions de logement qui sont impactées. Vous avez des jeunes personnes en France qui ne peuvent pas accéder à un logement parce qu'elles ne peuvent pas signer un bail avec leurs documents qui est provisoire. Il y a aussi l'impossibilité de se déplacer alors même qu'on peut être en France depuis des dizaines d'années, voire même de sortir de la frontière avec la certitude de revenir. Je pense qu'il est aussi important de souligner l'épuisement psychologique d'être confronté en permanence à cette incertitude, d'avoir une vie un peu suspendue. Les différents témoignages en parlent très bien."
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Maître Sophie Pochard note que la problématique ne concerne pas seulement le Rhône : "On sait que sur le plan national il y a aussi des difficultés. Ensuite au niveau local on arrive à des délais qui sont vraiment catastrophiques. On est parmi les retards les plus importants sur le territoire français au niveau local. On a bien une problématique locale actuellement dans le Rhône."
Un manque de moyens et des choix politiques
Sur les raisons de ces échecs administratifs, l'avocate au barreau de Lyon avance : "J'aimerais bien avoir l'explication moi aussi de la part de l'administration parce qu'on la demande. Je pense qu'il y a un manque de moyens, un manque d'effectif pour gérer ces situations, mais après il y a aussi clairement des choix politiques dans la façon dont on gère ce qui est là existant. On sait qu'il y a des solutions qui seraient possibles à moyens constants. J'ai pas la réponse mais en tout cas c'est regrettable parce qu'on demande simplement le respect du droit, de l'accès aux services publics."
La fabrique des sans-papiers
Enfin, elle pointe la non-application des décisions de justice suite aux plaintes des personnes concernées : "C'est un autre dysfonctionnement que l'on constate malheureusement depuis quelques temps. Avec ces difficultés à la préfecture du Rhône, au bout d'un an ou deux ans d'attente, les personnes très légitimement prennent conseil et entament des procédures au niveau juridictionnel. On arrive à avoir des condamnations de la préfecture par le tribunal administratif et une injonction à faire délivrer les titres de séjour avec des délais de 1 ou 2 mois. Malheureusement, même avec une décision de justice, on en arrive maintenant aussi à des problèmes où la préfecture ne respecte pas - ou avec beaucoup de retard - la décision de justice. Cela force d'ailleurs à refaire des procédures pour demander l'exécution du jugement. On arrive vraiment dans quelque chose de kafkaïen et de très lourd pour le simple des droits à avoir un justificatif de sa situation."
La réponse de la préfecture
Sollicitée par Lyon Capitale, la préfecture rappelle que 35 000 à 40 000 titres de séjour sont délivrés chaque année et que 1 000 usagers sont reçus chaque jour à la Direction des migrations et de l'intégration de la préfecture du Rhône. Elle précise également que, s'agissant des titres de séjour, plus de 80 % des demandes font l'objet d'une décision le jour du rendez-vous. Enfin, elle rappelle que "les délais de traitement étant préjudiciables aux usagers mais également à l'administration, la Préfecture s'attache à les maîtriser et adapte quotidiennement son organisation, dans un contexte de montée en puissance de la dématérialisation des demandes".
La retranscription textuelle et intégrale de l'entretien avec Maître Sophie Pochard
Lyon Capitale : Bonjour à tous, Bienvenue dans votre émission “Six minutes chrono” le rendez vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler des délais de délivrance et de renouvellement des titres de séjour à la préfecture du Rhône, des délais qui augmentent et qui battent des records ces derniers mois. Et pour en parler, nous recevons Maître Sophie Pochard, qui est membre de la Commission du droit des étrangers du barreau de Lyon. Bonjour Maître Pochard, Bonjour. Merci d'être venu sur votre plateau. On va rentrer dans le vif du sujet. Quel est le problème que vous pointez à la préfecture du Rhône ?
Maître Sophie Pochard : Alors, parmi les problèmes que nous pointons, il y a vraiment la question effectivement du délai. Du retard en fait. Des retards catastrophiques sur la délivrance des premiers titres de séjour ou même le renouvellement des titres de séjour pour les personnes qui résident de façon régulière sur le territoire français, qui sont en situation stable, Ils rencontrent vraiment des difficultés massives à obtenir les justificatifs de leur résidence régulière sur le territoire français.
Lyon Capitale : Alors, concrètement, est ce que vous pouvez nous donner quelques exemples ? Quelles sont les conséquences sur la vie de ces personnes ?
Maître Sophie Pochard : Alors les conséquences, elles sont nombreuses et elles sont vraiment très pratiques. Il y a tout d'abord la conséquence sur l'activité professionnelle. Elle est très immédiate celle ci. Là, on est sur une pratique où la préfecture a tendance à renouveler des documents provisoires. On appelle ça des récépissés de trois mois, parfois avec retard d'ailleurs, sur des périodes qui peuvent atteindre 2 à 3 ans pour des personnes en situation régulière. Donc, pour ces personnes là qui exercent une activité professionnelle, très concrètement, leurs employeurs se retrouvent tous les trois mois ou un petit peu moins parce qu'il y a du retard, même dans la délivrance de ces documents là, à devoir demander le justificatif, le nouveau justificatif de séjour et donc parfois à devoir suspendre le contrat de travail le temps que le nouveau justificatif arrive. Ça, c'est pour les personnes qui sont en contrat de travail stable, pour celles qui sont en CDD ou en intérim, là c'est carrément une impossibilité d'exercer puisque sans justificatif de droit au séjour et de droit au travail, une personne étrangère ne peut pas signer de façon légale un contrat de travail. Donc on a vraiment de façon très très directe des conséquences au niveau professionnel et des pertes de salaire, ce qui impacte du coup les questions de logement. Vous avez des personnes jeunes en France qui ne peuvent pas accéder à un logement du coup. Parce que, elles ne peuvent pas signer un bail avec leur document qui est provisoire. Voilà, il y a beaucoup de questions pratiques, une impossibilité de se déplacer alors même qu'on peut être en France depuis des dizaines d'années. Voilà une impossibilité même de sortir de la frontière avec la certitude de revenir.
Lyon Capitale : En fait, ces personnes n'ont plus d'existence administrative légale à cause des retards.
Maître Sophie Pochard : Elles ont plus le justificatif de leur situation régulière. Voilà ce qui est bloqué à plusieurs niveaux, ça c'est pour les aspects pratiques. Mais il y a aussi un point. Je pense qu'il est important à souligner, à comprendre, c'est qu'il y a aussi un épuisement psychologique d'être confronté en permanence à cette incertitude là, avoir une vie un peu suspendue. Les différents témoignages en parlent très bien. De ce côté, ma vie est suspendue en permanence tous les trois mois et sur des périodes de plusieurs années.
Lyon Capitale : Et est ce que c'est un problème qui est propre à la préfecture du Rhône ou est ce que sur le plan national ça se retrouve ce genre de situation ?
Maître Sophie Pochard : Alors on sait que sur le plan national, il y a des difficultés. Après, véritablement au niveau local, on arrive à des délais qui sont vraiment catastrophiques et qui sont. On sait qu'on est parmi les. On est dans les retards les plus importants sur le territoire français au niveau local. Donc on a bien aussi une problématique locale actuellement dans le Rhône.
Lyon Capitale : Est-ce à dire que l'État ne veut pas accompagner ces populations ? Donc comment est ce qu'on peut l'expliquer, que c'est un manque de moyens ?
Maître Sophie Pochard : Alors j'aimerais bien avoir l'explication moi aussi de la part de l'administration parce qu'on la demande. Je pense qu'effectivement il y a un manque de moyens, un manque d'effectifs pour gérer ces situations là. Mais après il y a aussi clairement des choix politiques dans la façon dont on gère ce qui est là, existant. On sait qu'il y a des solutions qui seraient possibles à moyens constants. Donc je n'ai pas la réponse et j'aimerais bien l'avoir également, mais en tout cas, c'est regrettable parce que là, le mouvement qu'on a apporté, c'est simplement le respect du droit. Voilà vraiment quelque chose de très basique, c'est le respect de l'accès aux services publics et le respect des droits existants pour les personnes.
Lyon Capitale : Vous avez parlé du respect du droit. Je crois que dans cette histoire aussi, l'Etat ne respecte pas forcément les décisions de justice. Est ce que vous pouvez nous en dire plus un petit peu ?
Maître Sophie Pochard : Alors ça c'est un autre dysfonctionnement qu'on constate malheureusement depuis quelques temps, c'est qu'au niveau de la préfecture du Rhône, avec ses difficultés, ses dysfonctionnements, les personnes au bout d' un an, deux ans d'attente et très légitimement commence à prendre conseil et entame des procédures. Au niveau juridictionnel, on arrive à avoir des condamnations du coup par le tribunal administratif de la préfecture et une injonction à faire notamment à délivrer les titres de séjour avec des délais de un ou deux mois, avec des personnes qui ont déjà fait des démarches des années en arrière. Donc ils avaient quand même le temps d'organiser les choses. Et malheureusement, même avec une décision de justice hâtive, on en arrive maintenant aussi à des problèmes où la préfecture ne respecte pas, ou en tout cas avec beaucoup de retard, la décision de justice. Ce qui force d'ailleurs à refaire encore des procédures pour demander l'exécution du jugement qui a été rendu. Alors on arrive vraiment dans quelque chose de kafkaïen et de très lourd pour le simple respect des droits, avoir un justificatif de sa situation.
Lyon Capitale : Alors vous avez fait aussi un événement le mardi ou le 2 mai par je ne sais plus quel jour mais. Devant la préfecture. Est ce que vous dialoguer avec les services de la préfecture ? Est ce que pour essayer de dessiner des solutions pour sortir de ce qui paraît être une impasse ? Quelles sont les relations entre le Barreau et les services préfectoraux ?
Maître Sophie Pochard : Alors il y a les relations et nous on est très. Le barreau de Lyon est très ouvert justement à dialoguer et à discuter avec les services de la préfecture sur les solutions. Ça leur appartient puisqu'on parle de l'organisation d'un service public. Mais néanmoins, les avocats comme les associations, ont toujours été volontaires pour contribuer, discuter, apporter des propositions, échanger sur ces dysfonctionnements là.
La porte est ouverte du côté des avocats, totalement, oui, elle est même en demande à ouvrir la porte, bien sûr.
Lyon Capitale : Et merci beaucoup. Ce sera le mot de la fin, C'est déjà six minutes. Merci d'être venu sur notre plateau Maître Pochard, pour parler de ces situations effectivement très compliquées. On se lasse des chiffres juste avant de terminer sur le nombre de personnes ou les délais.
Maître Sophie Pochard : Pas encore. C'est quelque chose qui est des chiffres pour illustrer.
Alors on n'a pas les statistiques, on les a demandé. La préfecture, je pense, aura les informations à donner là-dessus et sur les délais. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on a vraiment un constat unanime au sein de l'Ordre des avocats et également au niveau associatif, sur le caractère catastrophique des délais. Pour vous donner une indication sur le cadre légal, le délai de délivrance d'un premier titre de séjour est de quatre mois. Le renouvellement, c'est la même chose. Et pour des personnes qui sont réfugiées ou qui bénéficient d'une protection, c'est supposé être trois mois. Et là on est sur des délais qui atteignent facilement un an et voire dans certains cas 2 à 3 ans d'attente, même pour ces personnes là.
Lyon Capitale : Voilà, Merci beaucoup en tout cas. Quant à vous, je vous remercie d'avoir suivi cette émission où vous pouvez trouver plus de détails sur l'actualité lyonnaise sur le site lyon capital fr. À très bientôt.
Et pendant ce temps là, on glorifie l'ancien préfet Jean Moulin...