Le vote pour le 2e tour de l’élection présidentielle turque se termine ce mercredi 24 mai à Lyon. (Photo de Yasin AKGUL / AFP)

Présidentielle turque : un vote sous tension à Lyon et sujet à débat

Avec un premier tour très serré lors des élections présidentielles en Turquie, les opposants à Recep Tayyip Erdogan ne se font guère d'illusion à Lyon, où le scrutin se révèle tendu et suscite de vifs débats.

Jamais un premier tour d'élection présidentielle n’aura été aussi serré en Turquie depuis que Recep Tayyip Erdogan est à la tête du pays. En poste depuis son élection en 2014, l’homme politique conservateur et nationaliste est bien déterminé à briguer un troisième mandat, mais le scrutin se révèle cette fois plus indécis. Contrairement aux deux dernières élections où il avait été élu au premier tour, Recep Tayyip Erdogan doit cette fois en passer par un second tour.

Un 1er tour serré, signe de changement ?

Le 14 mai le président sortant a ainsi obtenu 49,42% de voix et son principal rival, le progressiste Kemal Kiliçdaroglu (CHP, social-démocrate), à la tête d’une coalition de six partis, s’en est sorti avec 45,05%. Suspens garanti donc avant le second tour prévu dimanche 28 mai. "Bien sûr qu’il y a toujours une petite lueur d’espoir, mais même si Erdogan gagne il a beaucoup perdu au sein du peuple", analyse Tuna Altinel, représentant du parti de gauche HDP (parti écologique et démocratique des peuples) dans le Rhône. 

"On sent qu’il y a du changement dans notre pays, les mentalités changent, même si un parti de gauche ne l’emporte pas aujourd’hui’hui le combat va continuer"

Tuna Altinel, maître de conférences à Lyon 1

Installé à Lyon depuis 1996, le maître de conférence en mathématique à Lyon 1 sent un vent nouveau souffler sur son pays de naissance. "On sent qu’il y a du changement dans notre pays, les mentalités changent, même si un parti de gauche ne l’emporte pas aujourd’hui le combat va continuer", veut croire celui qui a été retenu pendant deux ans en Turquie et emprisonné pendant près de trois mois en raison de son engagement politique. Cette année, le HDP qui avait pourtant recueilli 12% des suffrages lors de la dernière élection, s'imposant comme la troisième force politique du pays, n'a pas pu participer aux élections sous son propre nom. De quoi miner les chances du parti. "Ceci est dû à une loi électorale mise en place par l'état, avec cette modification les résultats ne sont pas aussi positifs, c’est logique", déplore Tuna Altinel.

Lyon, une terre de partisans du président Erdogan 

De toute façon, le maître de conférences en est conscient, la ville de Lyon vote en majorité pour le parti présidentiel. Lors du premier tour, plus de 86% des suffrages exprimés par les 43 000 votants ont été dirigés vers l’actuel président Erdogan. Un vote que Tuna Altinel explique par le profil sociologique des ressortissants turcs installés à Lyon et dans l'agglomération. Arrivés dans les années 70, la plupart d'entre eux seraient originaires de villes où le président sortant est plébiscité. "Les Turques sont venues sur le territoire français pour des raisons économiques et ils ont beaucoup travaillé, ils se sont embourgeoisés et Erdogan les a convaincu. Il se montre aussi comme le héros qui les a sauvés", explique le mathématicien. Avant d’ajouter "l’État turc avant son arrivée avait du mépris pour la diaspora et il a changé cette façon de penser". 

Tuna Altinel au niveau de la mosquée DITIB à Lyon et pour l'occasion du bureau de vote pour les élections présidentielles
Tuna Altinel au niveau de la mosquée DITIB à Lyon et pour l'occasion du bureau de vote pour les élections présidentielles. @MartinGaboriau

Malgré un énorme rebond et une envie aujourd'hui d’avancer ensemble, les partis politiques d'opposition ont, selon Tuna Altinel, favorisé la longévité du règne de l’homme fort d'Ankara. "Les autres partis politiques n’ont pas été convaincants durant des années, l’opposition a été vide durant trop longtemps". Depuis plusieurs années, c'est donc avec tristesse que le représentant de l’HDP à Lyon assiste à l'évolution de son pays. "Erdogan a rasé toutes les grandes institutions dans mon pays, il a asséché la Turquie sur le plan intellectuel, culturel et social", souffle-t-il. À tel point que, selon lui, les écoles autrefois reconnues à l'échelle du continuent ont aujourd'hui "toutes perdu leur valeur de l’époque". 

"Erdogan a rasé toutes les grandes institutions dans mon pays, il a asséché la Turquie sur le plan intellectuel, culturel et social"

Tuna Altinel, maître de conférences à Lyon 1

De son côté le président de l'AKP de la région lyonnaise, le partie présidentiel, n'a évidemment pas le même discours. "Ce qu'il a fait pour notre pays est énorme, il y a un avant et un après Erdogan", soutient-il. À la différence de Tuna Altinel, l’homme arrivé depuis 1987 en France et qui souhaite garder l'anonymat met en avant des évolutions dans son pays depuis 2014, "surtout au niveau de la vie sociale et économique". Partisan de la première heure du président Erdogan, il appuie son discours sur la reconstruction du pays, "les routes sont plus belles qu’avant et réduisent donc le nombre d’accidents, les hôpitaux sont tout nouveaux". 

Une agression en marge du 1er tour

Rentré en France en 2021, deux ans après son arrestation à la suite de l'organisation dans l'Hexagone d'une soirée sur les crimes contre l’humanité commis par les forces de police turques, le 9 mai Tuna Altinel a de nouveau été victime de répression en raison de ses convictions politiques.

"Ils étaient seulement deux. Ils ont fait une connerie et ont sali notre travail effectué durant 13 jours"

Le président de l'AKP de la région lyonnaise

Lors du premier tour de l'élection, lui et sept autres personnes de son parti ont été "intimidés puis agressés" à l’extérieur du bureau de vote de l'agglomération situé dans un hangar attenant à la Mosquée de DITIB à Décines-Charpieu. Des membres de l’AKP, "sont venus entonner des chants à la gloire d’Erdogan en fin de journée", précise Tuna Altinel. C'est en allant récupérer leur voiture sur le parking que lui et les sept autres personnes ont été la cible de jets de bouteilles avant d’être frappés à terre. "J’ai reçu des coups de pieds au niveau du corps et sur le visage", confie-t-il après s'en être tiré avec cinq jours d'ITT. Au fait de cette agression, le président de l’AKP au niveau local évoque un cas isolé. "Ils étaient seulement deux. Ils ont fait une connerie et ont sali notre travail effectué durant 13 jours", plaide cet homme affilié au parti présidentiel, tout comme les deux agresseurs de Tuna Altinel.

Un choix de bureau de vote qui interroge

Après cette agression et par peur que cela ne recommence, Tunal Altinel a demandé au consulat de déplacer le bureau de vote, mais sa requête aurait été rejetée instantanément. "Si les élections avaient lieu autre part, les différentes intimidations n’auraient pas eu lieu. L’endroit où nous sommes est profondément politisé du côté d’Erdogan", insiste l'intéressé. Un choix de lieu qui a d'ailleurs poussé la députée Renaissance de la 13e circonscription du Rhône, Sarah Tanzilli, à saisir le procureur de la République sur la base de la loi antisépartisme qui interdit l'organisation d'un scrutin "dans un local servant habituellement а l'exercice du culte ou utilisé par une association cultuelle"

Contactée par Lyon Capitale, la maire de Décines-Charpieu, Laurence Fautra fait elle aussi part de sa stupéfaction par rapport au choix de ce lieu. "Cela ne représente pas un pays, il n’y a aucun lien, ce n’est pas un site approprié. Il fallait le faire dans un consulat ou une ambassade et non dans un hangar a coté d’une mosquée", soulève l'élue Les Républicains. En plus de cette incohérence, selon elle la localisation du bureau de vote engendre de gros problèmes "au niveau du stationnement sur la voie publique". Plus de 200 procès-verbaux ont ainsi été rédigés par la police municipale. Pour essayer de faire bouger les choses, Laurence Fautra assure avoir contacté la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Une demande qui serait restée "sans réponse" à ce jour, "je suis toujours dans l’attente" confie l'élue.

Déjà 40 000 votants au second tour

Lors de l’ouverture du vote pour le second tour, dimanche 21 mai, des intimidations auraient de nouveau eu lieu près du hangar. Des jeunes âgés de 18 à 20 ans seraient venus à la mosquée, produisant le geste de la Bozkurt isareti, le signe des Loups gris ultranationaliste, aussi utilisé par le président Erdogan. Depuis, un service de sécurité est présent sur place, mais Tuna Altinel a demandé le passage de deux patrouilles de police sur place jusqu’à la clôture des votes ce mercredi 24 mai. Une requête restée sans réponse jusqu'à aujourd'hui selon lui. Toutefois, d'après la maire de Décines-Charpieu, la police municipale effectuerait "des rondes autour de la zone de vote", mais à l'entendre ce serait plutôt à la police nationale de faire ce travail.

En attendant les résultats officiels du deuxième tour, plus de 40 000 personnes sont déjà passées dans les urnes à moins d'une journée de la fermeture du bureau de vote, en combinant les bureaux de Lyon et Clermont-Ferrand. À cinq jours de l’annonce du nom du prochain président, Tuna Altinel, lui, veut encore croire à la possibilité "de battre l’extrême droite dans son pays".

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