L'ultra-trail est-il dangereux pour la santé ? Que sait-on de la fatigue neuromusculaire, cardio-vasculaire ? Eléments de réponses avec le médecin lyonnais Patrick Basset, directeur médical du marathon du Mont-Blanc et de l'UTMB.
A l'occasion de la tenue du Marathon du Mont-Blanc (22-25 juin, à Chamonix) l'un des plus importants événements de trail d'Europe, organisé par le Club des sports de Chamonix (interview vidéo de Fred Comte, son président), où son attendus 10 000 coureurs, 30 accompagnants pour 14,7 millions d'euros de retombées économiques, Lyon Capitale s'est interrogé sur le volet santé des courtes d'ultra endurance.
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Patrick Basset est anesthésiste-réanimateur à Lyon, spécialisé dans l'encadrement et les pathologies des sports d'endurance. Il est directeur médical de Dokever (société d'assistance médicale) et responsable médical du Marathon du Mont Blanc, l'un des plus gros événements de trail en France qui se déroule du 22 au 25 juin, à Chamonix.
"Le Marathon du Mont-Blanc fait partie des gold standards sur l'aspect santé des coureurs"
Lyon Capitale : Quelle est la politique santé du Marathon du Mont-Blanc ?
Patrick Basset : L'objectif d'un dispositif médical sur un tel événement est d'intervenir sur des problématiques de santé avant, pendant et après les courses pour intervenir sur une problématique de santé qui va du plus bénin au plus grave. A Dokever, nous avons une politique d'actions à trois niveaux : sur la prévention et l'éducation en amont, le curatif en course et le suivi et les conseils post course. C'est ce qu'on fait, en partenariat avec la fondation Ultra Sports Science, dont les chercheurs étudient et donnent des conseils avec la priorité d'éviter les pathologies très graves, celles qui peuvent compromettre une vie normale à l'issue de la course. C'est excessivement rare, mais c'est capital de savoir éduquer les gens à ces problématiques-là, les dépister pendant la course pour éviter qu'on ait un suivi d'une personne, derrière, qui va être assez inquiétant, avec des semaines et des semaines de réanimation.
De quelles pathologies graves parlez-vous typiquement ?
Il y en a principalement quatre. Il y a la grave traumatologie – j'ai fait une chute de dix mètres, c'est la chose la plus facile en zone montagne – , l'hyperthermie d'effort – il fait chaud, je fais un effort, mon corps monte en température et je peux faire une greffe de foie – l'hyponatrémie – je bois trop d'eau et je peux faire un oedème cérébral – et la rhabdomyolise avec insuffisance rénale aiguë – j'ai pris des anti-inflammatoires, j'ai fait un effort un peu intense en altitude où le taux l'oxygène est assez faible, j'ai craqué du muscle parce que j'ai fait beaucoup de dénivelé positif et négatif et, pour de nombreux autres facteurs qu'on ne connaît pas encore, on va bloquer ses reins.
"L'automédication par anti-inflammatoire est une catastrophe"
L'automédication est-elle l'un des principaux soucis en ultra trail ?
Effectivement, c'est notre principal souci. En fait, c'est le pot de terre contre le pot de fer. Les anti-inflammatoires sont des médicaments qui marchent très bien pour les douleurs des chevilles, les douleurs du tendon, toutes les petites douleurs des coureurs. Le problème c'est qu'ils sont en vente libre. On les consomme comme des cachous, si je puis dire. C'est une catastrophe parce qu'on se rend compte que tous les patients qui terminent en réanimation ont pris des anti-inflammatoires. En fait, pour traiter de petits symptômes et réussir à faire sa course sans symptômes, il vaut mieux apprendre à courir avec une petite douleur, accepter cette douleur plutôt que de prendre des anti-inflammatoires.
Quel est le process médical sur le Marathon du Mont-Blanc ?
Il y a eu trois phases avant, pendant et après la course. Avant la course, on récupère des informations sur l'état de santé des coureurs, une population très hétéroclite, dont la moyenne d'âge est assez élevée, plus de 50 ans. A l'issue de ce questionnaire de santé, on les invite à suivre des e-learnings sur des plateformes digitales d'éducation. On a bine montré aujourd'hui que cela permet de diminuer la fréquence et l'incidence des pathologies graves pendant la course.
Pendant la course justement, comment intervenez-vous ?
La phase pendant la course consiste à driver des secouristes, des médecins, des hélicoptères, des ambulances pour qu'on être opérationnel et efficace. L'idée est qu'un coureur ne se retrouve pas avec une fracture de la cheville, bloqué en zone montagne avec simplement sa tenue de rechange, et donc avec le risque de faire une hypothermie grave sur le terrain. En gros, il faut que nous puisont faire des extractions avec des acteurs de secours et de médecins expérimentés dans les zones de montagne.
"Sur les ultra longues distances, il ya une grosse fatigue centrale qui s'installe, le système nerveux est mis à rude épreuve."
Que représente le médical sur sur le marathon du Mont-Blanc ?
Je pense qu'on sera au minimum une centaine de personnes quand, sur l'UTMB (dont il est le directeur médical, NdlR), on est un peu plus de deux 800. Toute la chaîne sera représentée : le médecin, la compétence la plus importante à qui incombe la responsabilité sur le terrain, les infirmiers, les secouristes en zone montagne et ceux qui pratiquent les « soins de confort », à savoir les masseurs et podologues.
Le trail est un spot assez récent. A-t-on des études un peu solides sur la fatigue musculaire, cardio-vasculaire,etc ?
De nombreuses études sont réalisées en laboratoires par des experts. Mais on se rend compte qu'on est très loin de la réalité du terrainL'enjeu est donc d'arriver à mener des enquêtes un peu plus sur le terrain. Mais c'est assez complexe parce qu'il faut parvenir à déporter un laboratoire sur le terrain. Pour résumer, la science est pauvre sur les études de terrain.
Sur les études de laboratoire, en revanche, on connaît très bien l'impact de la diminution de l'oxygène sur le corps, l'impact du sport sur le corps en général. Mais en conditions réelles, c'est très différent, surtout quand on fait de telles distances. Il y a donc encore une marge de travail énorme, parce que le laboratoire ne permet pas d'avoir des visions au très long court, sur des courses de six, huit, dix, douze, 20 heures, voire plus.
"La femme est probablement plus sensible aux problèmes hormonaux, avec des conséquences qui peuvent être beaucoup plus graves que pour l'homme."
Ce qu'on sait sur les ultra longues distances, c'est qu'il y a une grosse fatigue centrale qui s'installe, que le système nerveux est mis à rude épreuve. On a pas mal d'études aussi sur les troubles du comportement alimentaire, la psychologie ou la sociologie. Les coureurs d'ultra endurance sont des populations qui ont très souvent une approche à la nourriture assez étrange, une envie de se challenger, d'aller encore plus loin alors qu'ils ont déjà une vie professionnelle très intense. Donc en termes de psychologie, de sociologie, on commence à en connaître beaucoup.
Ce qu'on sait, c'est qu'il faut être vigilant, qu'il s'agisse d'une femme ou d'un homme. Mais la femme est probablement un peu plus sensible aux problèmes hormonaux, avec des conséquences qui peuvent être beaucoup plus graves que pour l'homme. Chez la femme, lors de la perte de son axe hormonal avec ses menstruations, les os se décalcifient. Et c'est irréversible. C'est pour cela qu'on vient de lancer une étude, avec Ultra Sports Science, poussée par le Marathon du Mont Blanc, sur la santé mentale des coureurs. Ce qui nous permet, notamment, d'approcher cette problématique de l'impact de telles courses chez la femme. La prévention est primordiale. Pour cette étude sur la santé mentale, on en a déjà 300 à 400 réponses qui sont en cours d'analyse. On espère pouvoir orienter des thématiques de recherche qui vont nous permettre de mieux comprendre.
"L'un des premiers dogmes que je souhaite abolir, c'est "buvez pour bien courir" . Il faut définitivement le bannir."
Y a-t-il des dogmes dans le trail, dans l'ultra-trail, qu'il faudrait abolir ?
Il y a énormément de dogmes à bannir, c'est évident. L'un des premiers dogmes que je souhaite abolir, c'est « buvez pour bien courir ». Il faut définitivement le bannir. Il faut arrêter de vouloir boire en continu et accepter qu'il y ait un petit retard d'hydratation pendant les 12 heures, 24 heures après la course. Trop boire d'eau n'augmente pas la performance. C'est, au contraire, plutôt délétère. et surtout, cela ne refroidit pas le corps. Se précharger en eau avant la course, c'est une catastrophe. Le sel est primordial pour l'équilibre dans le corps. Plus on boit d'eau, plus on diminue notre taux de sel, plus on augmente le volume des cellules dans le cerveau et plus elles souffriront. C'est comme l'alimentation : vouloir apporter à tout prix ce qu'on dépense en calories n'est pas possible. On peut à peine absorber 10% à 15% de ce qu'on consomme. On aura une perte de poids, une consommation des matières grasses et des protéines de son corps. Le tube digestif ne peut pas absorber, il est très capricieux pendant ces courses. Il faut plutôt penser « eat what you want ». Et ça peut tuer. Quand on boit trop d'eau, on génère un œdème du cerveau. C'est l'hyponatrémie. Quant à la nutrition, on veut absolument compenser de la perte. Or, le tube digestif est déjà en souffrance, et on lui demande un travail qu'il ne parvient pas à produire parce qu'on ne le perfuse pas assez. Que se passe-t-il ? Des bactéries du tube digestif passent dans le sang. Cela peut conduite à une septicémie.
Comment le Marathon du Mont-Blanc se positionne-t-il sur cette question de la santé ?
Globalement, le Marathon du Mont-Blanc se donne autant de moyens que l'Ultra trail du Mont-Blanc (le plus grand événement trail de la planète, fin août à Chamonix, NdlR). C'est-à-dire qu'ils développent exactement les mêmes outils et les mêmes méthodes que l'UTMB : questionnaire santé en amont de la course, module d'éducation, ils le font avec Ultra Sports Science dans le village, dossard santé pour financer les programmes de recherche. Ils sont très vigilants à l'égard des coureurs, ils se dotent de dispositifs et mettent un vrai dispositif médical en place. Ils font partie des gold standards en termes de qualité qu'on retrouve très peu à l'échelle mondiale. Cela fait partie des courses qui se donnent les moyens d'essayer d'apporter à leurs coureurs un vrai cadre professionnel.