Après avoir été codirecteur du théâtre des Célestins avec Claudia Stavisky, Pierre-Yves Lenoir est désormais seul aux manettes. Il nous explique son projet et sa vision du théâtre dans un paysage culturel chahuté.
Lyon Capitale : Comment s’est passée votre nomination à la tête des Célestins ?
Pierre-Yves Lenoir : J’étais déjà codirecteur, il n’y a donc pas eu d’appel à candidature. Depuis sa nomination en 2000, Claudia Stavisky avait fait le choix d’être accompagnée par un deuxième directeur avec lequel elle partageait la direction artistique et administrative. Lorsqu’il a été question qu’elle quitte son poste, un dialogue s’est engagé avec Nathalie Perrin-Gilbert [adjointe à la culture de la mairie de Lyon, NdlR] et le maire, Grégory Doucet. Il s’agissait de prolonger la vie de cette maison en tant que maison de création. J’ai proposé qu’il n’y ait plus d’artistes permanents mais des artistes en permanence. C’est désormais dans l’ADN des Célestins de proposer au public de rencontrer des horizons, des sensibilités et des personnalités artistiques différentes.
Claudia Stavisky a réussi à transformer Les Célestins, qui étaient auparavant une sorte de grand théâtre privé, en un théâtre reconnu pour la qualité de sa programmation…
Oui, Claudia a réussi à inscrire cette maison au plus haut niveau de notre paysage national en matière de théâtre. Ce n’était pas gagné au départ pour un théâtre municipal. Elle a su transformer le lieu, le rendre perméable à l’évolution des écritures scéniques contemporaines. Elle a montré que l’on pouvait accueillir des propositions artistiques exigeantes tout en gardant un public nombreux. Aujourd’hui, c’est un des théâtres en France qui accueillent le plus de monde, près de 100 000 spectateurs par saison.
"Quand on se définit comme un théâtre engagé, c’est évidemment parce que les artistes programmés le sont. Ils sont des témoins, des porte-parole fondamentaux qui montrent le monde tel qu’il va, ou plutôt tel qu’il ne va pas…"
C’est devenu une sorte de “super CDN” ?
Je ne dirais pas ça. Il faut se méfier des labels, des définitions que l’on en donne. Je suis plus attaché au fait que c’est une maison atypique. Ce qui est important, plutôt que de développer telle ou telle attente des tutelles, c’est de déployer le projet qui nous semble juste. La ligne que l’on veut défendre ici – populaire, exigeante et engagée –, on ne peut la mener que grâce à tout ce qu’ont réalisé Claudia Stavisky et les précédents codirecteurs [Patrick Penot, Marc Lesage, NdlR] durant des années.
Dans la plaquette de saison, vous évoquez “le puissant mystère qu’est le théâtre” mais aussi “l’espace que les artistes transforment en illusion qui dit la vérité” et “un acte de rébellion contre l’ordre établi”…
Oui, c’est aussi une caisse de résonance unique pour les questions qui nous traversent aujourd’hui, qu’elles soient sociétales, intimes ou politiques. C’est un accélérateur de compréhension d’un monde de plus en plus complexe. C’est pour cette raison que la programmation fait une large place aux écritures contemporaines souvent documentées, parfois documentaires. Même si toutes ces interrogations, souvent graves, sont abordées avec humour, ce qui me plaît bien. Quand on se définit comme un théâtre engagé, c’est évidemment parce que les artistes programmés le sont. Ils sont des témoins, des porte-parole fondamentaux qui montrent le monde tel qu’il va, ou plutôt tel qu’il ne va pas…
"L’écosystème du spectacle vivant est fragile, on se doit d’être tous solidaires".
Votre homologue du TNP, Jean Bellorini, s’est déclaré solidaire du TNG, victime de coupes budgétaires brutales de la Région, est-ce également votre cas ?
Oui, je me déclare solidaire de toutes les structures qui ont eu des baisses de subventions de la Région Rhône-Alpes, de manière abrupte, ce qui n’est pas notre cas. L’écosystème du spectacle vivant est fragile, on se doit d’être tous solidaires. Quand l’un ou l’autre souffre, c’est tout le système qui souffre, de façon organique. On est tous embarqués dans le même bateau. L’inquiétude est grande face à ce qui s’apparente à une remise en cause d’un pacte républicain de la culture. Nous sommes dans une région qui a une histoire forte en matière de création, pas seulement théâtrale. Et cela s’est fait, au fil des ans, à l’aide des pouvoirs publics.
Quels sont les grands axes de la prochaine saison ?
Il faut tout d’abord mentionner qu’il y aura quatre équipes artistiques qui accompagneront la saison. Christian Hecq et Valérie Lesort, de la compagnie Point Fixe, qui défendent un théâtre joyeux et inventif. Ils se confrontent à cette difficulté, qui est peut-être la plus grande au théâtre : faire rire le public. Le Munstrum Théâtre, de Louis Arene et Lionel Lingelser, qui travaille sur le masque et dans une tradition esthétique baroque très forte. J’ai pu voir combien le jeune public les plébiscitait. Et c’est justement notre volonté que d’assurer l’indispensable renouvellement du public. Avec Tatiana Frolova et son Théâtre KnAM, on poursuit l’accompagnement initié en 2011. C’était d’autant plus normal qu’on l’accueille qu’elle a dû quitter le petit théâtre qu’elle avait en Russie pour demander l’asile politique en France. Et pour la dernière artiste, Ambre Kahan, c’est le pari de suivre une jeune metteuse en scène qui nous avait bluffés avec sa mise en scène de la pièce de Viripaev, Ivres. Elle se lance dans un nouveau pari un peu fou, mettre en scène le roman culte de Goliarda Sapienza, L’Art de la joie. Elle est aussi soutenue par la Comédie de Valence.
Il y a peu de classiques…
En effet,et les rares classiques que l’on présente seront proposés avec un regard nouveau. C’est le cas, par exemple, du Mariage forcé de Molière. Le Munstrum Théâtre l’abordera d’une manière très personnelle. Avec une distribution qui montre combien Molière renversait avant l’heure les codes du patriarcat. Ce qui importe, c’est la façon dont les artistes s’emparent des œuvres, quelles qu’elles soient. Le fait qu’il y ait moins de classiques est sans doute le signe que les artistes éprouvent moins d’urgence à s’y confronter.
La part du mécénat s’est accrue dans votre budget…
Oui, mais elle reste modeste, c’est 3 % du budget. Cela paraît peu mais l’essentiel c’est que cette dynamique porte ses fruits. C’est important que des partenaires économiques nous accompagnent. Le théâtre des Célestins participe au rayonnement de la métropole. Ce qui fait partie de ses préoccupations. Mais il ne s’agit pas d’aller compenser une baisse des soutiens publics par une aide du secteur privé. De plus, l’apport des mécènes est toujours fragile, il faut constamment rester en lien avec le tissu économique pour le maintenir.
Vous proposez des spectacles pour les jeunes et les familles, est-ce pour renouveler le public ?
Oui, qui plus est, ce sont des artistes forts que l’on accueille sur ce type de propositions. Je pense à la reprise de Cendrillon dans la mise en scène de Joël Pommerat. Ou Raphaëlle Boitel, La Chute des anges, par exemple…
"Lorsque l’on nous parle d’échec de la démocratisation culturelle, ça demande à ce que l’on y regarde de plus près. La réalité est plus complexe"
Il est vrai que de tout temps, la question du renouvellement du public a occupé les directions des institutions théâtrales. On a tous à cœur de toucher le plus grand nombre. Je crois que lorsque l’on nous parle d’échec de la démocratisation culturelle, ça demande à ce que l’on y regarde de plus près. La réalité est plus complexe. En tout cas, lorsqu’on programme des écritures contemporaines, des jeunes compagnies, c’est dans cet esprit d’apporter un renouveau, une fraîcheur… C’est nécessaire pour s’assurer que le public est varié. Et, bien sûr, il y a la question tarifaire, et aussi le fait d’inciter les gens qui ne sont pas forcément des habitués à entrer dans un bâtiment patrimonial qui peut paraître impressionnant. Si les gens en ressortent heureux, ils auront envie de revenir. C’est d’autant plus important dans un moment où le comportement du public se modifie. Depuis la crise sanitaire, il se décide davantage au dernier moment. Ça implique un changement dans nos relations avec les spectateurs. C’est encore un challenge à relever pour notre équipe.
J espère que le départ de C Stavisky va permettre un renouvellement avec des mises en scène moins élitistes.
Une plus grande variete car Goldoni à toutes les sauces ça suffit!
Pas beaucoup d occasions de se changer les idées or on en a un peu besoin....
Beaucoup de spectateurs certes mais captifs lycée etc.
Est elle restée trop longtemps?
Petit à petit nous avons renonce aux Celestins. Peut être y reviendrons nous?
Le théâtre est une caisse de résonance... de la propagande woke.