Palais de justice de Lyon © Tim Douet
Palais de justice de Lyon © Tim Douet

Emeutes à Lyon : en comparution immédiate, une justice "d'exception", rendue sous pression

Ce mardi à Lyon, 25 personnes devaient être jugées en comparution immédiate dans des dossiers liés aux émeutes qui secouent la France depuis le 29 juin. Grève des greffiers, surcharge, manifestation dans une salle d'audience et réquisitions lourdes, parfois préservée, la justice a été frappée de plein fouet par les tensions parcourant le pays.

L'extrême tension qui a gagné l'ensemble de la France depuis la mort du jeune Nahel, tué par le tir d'un policier lors d'un contrôle routier, est parvenue à se frayer un chemin jusque dans les entrailles du tribunal judiciaire de Lyon. Alors qu'un premier dossier lié aux émeutes était jugé en salle C - salle exceptionnellement dédiée aux comparution immédiates - un homme visiblement affilié au groupe d'ultra gauche Gale entre avec un tee-shirt floqué du logo de la marque Nike, accompagné des mots "la police".

"Nous étions naïfs, nous pensions que la justice serait épargnée"

Les forces de l'ordre tentent alors de l'évacuer, s'en suit un long moment de tension, ses compagnons filmant la scène - la loi sur la presse interdisant pourtant de filmer dans un tribunal - une femme lâchant un "la police tue". Finalement évacués et l'homme au tee-shirt interpellé pour "outrage", l'audience reprend à huit clos. La justice, publique, rendue au nom du peuple, est contrainte de se refermer sur elle-même. "Nous étions naïfs, nous pensions que la justice serait épargnée, nous devons nous battre, ne pas baisser les bras", réagit, affecté, Maître Laurent Bohé, avocat des forces de l'ordre.

Scène de tension au tribunal judiciaire de Lyon où doivent être jugées 26 personnes suspectées d'avoir participé à des émeutes. L'une des deux salles d'audience a été évacuée. (Photo Nathan Chaize / Lyon Capitale)

C'est dans ce contexte tendu, auquel s'est ajouté la grève des greffiers, empêchant la tenue prévue d'une troisième audience de comparution immédiate simultanée, que 26 personnes devaient être jugées ce mardi. "J'ai trois dossiers dans cette salle, un dans l'autre, je ne sais pas comment on va s'organiser", lâche, un peu dépitée, une avocate dans les travées du tribunal. "Je demanderais aux avocats de faire preuve de sobriété dans leur plaidoirie", lance la présidente du tribunal. Deux jeunes hommes sont dans le box de la salle C. Tout deux sont âgés de 19 ans et sont suspectés d'avoir participé au pillage d'un entrepôt Chronopost à Vénissieux le soir du premier juillet. S., est en deuxième année de BTS, il travaille le soir à temps partiel en tant que livreur de pizzas. Mains dans le dos, tête baissé, il reconnaît avoir été pris en flagrant délit, un colis à la main, mais ne pas avoir participé aux dégradations.

Prison ferme avec mandat de dépôt pour le vol d'un colis

"Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je suis passé par là, j'ai vu les dégâts, je suis entré, j'ai pris un colis, et j'ai été interpellé", reconnaît le jeune homme au casier judiciaire vierge. "On a un homme jamais condamné, qui fait des études, courageux, il travaille le soir à côté, il a des projets. Et son projet, c'est de rentrer dans Chronopost ?", ironise la présidente, sur un ton emprunt de bienveillance. K., a lui déjà été condamné en janvier 2022 à six mois de prison avec sursis probatoire, dont le juge d'application des peines a déjà demandé la révocation. "Je ne sais pas pourquoi j'ai fais ça", soupire-t-il. "Vous avez profité ?", interroge alors la présidente. Et K. de répondre : "Oui, mais je n'ai rien cassé."

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"On a des forces de l'ordre qui sécurisent un site face à des pillages, pris à partie par une vingtaine de personnes, il faut tenir compte du contexte", tance la procureur. Avant de requérir, six mois de prison et trois mois de révocation de sursis pour K., le tout avec mandat de dépôt, et douze mois de prison dont six avec sursis probatoire, là aussi avec mandat de dépôt, à l'encontre de S.

"C'est un gosse, un mandat de dépôt, ce n'est pas possible"

"Le temps est venu pour la justice d'apporter une réponse aux exactions qu'a connu l'agglomération lyonnaise, dans un contexte de quasi guerre civile", avait lancé, quelques minutes plus tôt, la représentante du parquet dans un propos introductif dont le ministère public a le secret. "Nous devons prendre du recul, le ministère public vous demande de tenir compte du contexte, mais ce n'est pas dans la loi", attaque le conseil de S. "Vous avez affaire à un égaré d'une soirée qui a volé un colis, sans savoir ce qu'il y avait dedans. C'est dérisoire, absurde, c'est un gosse et le ministère public requiert un mandat de dépôt, ce n'est pas possible", ajoute-t-il.

"On vous demande une justice d'exception, tance l'avocate de K. La justice doit être rendue avec sérénité, nous ne devons pas nous laisser emporter par le contexte. Le parquet vous demande un maintien en détention, assumerez-vous la responsabilité de dire à ce jeune, vous passerez vos vingt ans à la maison d'arrêt de Corbas ?", interroge-t-elle encore. Quelques minutes plus tôt, alors que son client était jugé pour avoir tiré des feux d'artifices en direction du blindé du Raid, Maître Assouline avait déploré la tentative du parquet de "satisfaire l'opinion publique, de prendre ces jeunes pour en faire des exemples". "Requérir six mois de prison ferme avec mandat de dépôt contre un gamin de 19 ans qui a volé un pauvre colis et qui bosse, c'est ridicule, on les perd ces jeunes là", confie, agacée, une conseil installée sur les bancs du tribunal.

Le tribunal n'aura finalement pas suivi les réquisitions du procureur, K. et S. n'écoperont pas de prison ferme. K. est condamné à huit mois de prison aménagée sous bracelet électronique, son sursis n'est pas révoqué. S., écope de huit mois de prison avec sursis. A quelques pas d'ici toutefois, en salle G, quatre jeunes de 18 à 19 ans ont été condamnés eux à des peines allant jusqu'à quatre mois de prison ferme pour le vol de bonbons, jus de fruits et céréales.

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