Cold case. Près de 20 ans plus tard, le mystère subsiste autour de la mort de Christiane Commeau, retrouvée en février 2005, quatre mois après sa disparition à Chassieu près de Lyon. La famille n'abandonne pas son combat, mené avec force par Kathleen Letendre, petite fille de Christiane.
Un squelette, quelques bijoux, une jupe noire et un pull vert. Ce vendredi 18 février 2005, alors qu'il s'aventure dans un bosquet qu'il doit tailler, près de la station d'épuration de Niévroz, un salarié d'une société d'élagage fait une macabre découverte. Dissimulé dans un petit bois au bout d'un chemin de terre à plomb de la route départementale 61, l'employé, attiré par un médaillon reflétant les rayons du soleil, alerte les forces de l'ordre.
Sur place, le médecin légiste réalise les premières constatations. La dépouille est celle de Christiane Commeau, une femme de 54 ans disparue quatre mois plus tôt à Chassieu, commune située à une vingtaine de kilomètres d'ici. La victime n'a plus ses chaussures ni sa culotte. Sa jupe et son pull ont été relevés, la piste du viol est immédiatement envisagée. Plus tard, les examens menés à l'institut médicolégal de Lyon révèlent que Christiane Commeau a été tuée de deux balles de calibre .22 long rifle, tirés à courte distance. La victime a été exécutée.
"La famille s'inquiète légitimement mais la mesure de l'affaire n'est pas prise"
Quatre mois plus tôt, le vendredi 22 octobre 2004, Christiane Commeau est attendue au boulodrome de Chassieu, chemin du Trêve, pour 14 h. Cette femme rigoureuse, sérieuse et ponctuelle tient la buvette du club bouliste. Mais ce jour-là, son responsable s'inquiète. Christiane est en retard, il est sans nouvelle, d'autant plus soucieux que la quinquagénaire n'habite qu'à quelques minutes du site, au 8 rue des Charpennes. Il prévient alors la gendarmerie, pensant à un accident.
Les secours se rendent sur place, sonnent, sans réponse. Des sacs de course sont posés dans l'entrée, le sac à main de Christiane Commeau est là, son téléphone portable aussi. Inquiets, les deux fils de Christiane se rendent rue des Charpennes. Ils visitent le garage de son immeuble, y retrouvent la Twingo de leur mère, la porte du box n'est pas fermée à clé. Impensable, ces deux-là connaissent la rigueur et le caractère pointilleux de leur mère. Elle n'aurait pas oublié de verrouiller son garage. Une enquête est alors ouverte, quelques premières investigations sont menées, mais aucune piste n'apparaît aux enquêteurs qui ne prennent pas immédiatement la mesure des faits.
"Pour l'honneur de ma grand-mère c'est pas possible de laisser tomber"
Maître Sylvain Cormier est l'avocat de la famille de Christiane Commeau depuis près de deux ans. Lorsqu'il reprend le dossier, le conseil est interpellé par "les ratés de l'enquête", confie-t-il à Lyon Capitale. "Rien ne se passe, des mois s'écoulent et tous les éléments initiaux sont loupés", déplore encore le conseil. Le garage de Christiane Commeau n'est fermé que 24 h après la disparition de la quinquagénaire, aucune enquête de voisinage n'est menée, "la famille s'inquiète légitimement mais la mesure de l'affaire n'est pas prise", ajoute Sylvain Cormier. C'est seulement le 18 février 2005, lorsque le corps de la victime est retrouvé, que l'enquête prend une nouvelle ampleur.
Des adhérents du boulodrome de Chassieu sont auditionnés, plusieurs d'entre eux sont des chasseurs, certains "sont connus pour viol", raconte Kathleen Letendre, petite-fille de la victime, qui porte aujourd'hui le dossier. Un certain André, qui entretenait une relation avec Christiane Commeau est propriétaire d'un .22 long rifle, similaire à l'arme du crime. Mais les études de balistique blanchissent l'homme. Agée de six ans au moment des faits, Kathleen Letendre, est aujourd'hui plus que jamais déterminée à faire éclater la vérité.
"Les enquêteurs ont ouvert 36 pistes différentes, mais ils ne les ont jamais refermées, ils ne sont jamais allés au bout", déplore-t-elle. Meurtre lié au trafic de drogue qui sévissait dans son garage ou victime d'un tueur en série, les pistes s'effacent une à une. "Je pense que cet acte était préparé, confie Me Cormier. Et d'ajouter : Il n'y a pas eu de bruit, tout est allé vite, personne n'a rien vu." Une thèse appuyée par le témoignage d'un proche de Christiane Commeau, qui raconte aux enquêteurs l'avoir raccompagnée chez elle pendant plusieurs jours, la quinquagénaire se sentant suivie.
Une "transmission assez incroyable à voir"
En 2015, le dossier est classé sans suite faute d'éléments nouveaux. La famille n'abandonne pas, médiatise l'affaire, et obtient la réouverture du dossier. Fin 2022, le pôle cold case du parquet de Nanterre reprend en main l'affaire, un soulagement pour les proches. Un combat éprouvant, clivant dans le cercle familial, mené aujourd'hui par Kathleen, symbole d'une "transmission assez incroyable à voir", confie Me Cormier. "On n'a jamais fait notre deuil, tant que l'on ne saura pas le pourquoi du comment, on ne pourra pas le faire. Je ne peux pas vivre ma vie comme si de rien n'était, pour l'honneur de ma grand-mère c'est pas possible de laisser tomber", insiste-t-elle, replongeant dans ses souvenirs d'enfance, ceux d'une grand-mère coquette, attentionnée et "constamment là pour nous".
Accompagnée de ses parents, son frère, sa sœur et trois cousins, ils forment ensemble "un groupe soudé". Kathleen mène une vie "rythmée par ce combat", façonnée par ce drame familial dont elle est sortie avec un choc post-traumatique, qui l'a particulièrement rapprochée de ses parents. Rassemblés autour de l'association "Justice pour Christiane Commeau", ils organisent aujourd'hui brocantes, vide-greniers, marches blanches, récoltant des fonds pour financer les frais de justice. Leur démarche dérange parfois, dans cette commune d'un peu plus de 10 000 habitants où des affiches de l'association sont régulièrement arrachées. "Est-ce que c'est parce que l'assassin est toujours là, est-ce que c'est parce que des gens savent des choses mais qu'ils ne veulent pas parler, je ne sais pas", s'interroge Kathleen.
Aujourd'hui, la famille place ses espoirs dans le travail du pôle cold case de Nanterre, sans toutefois "relâcher la pression", assure Kathleen. Le dossier doit être complètement réexaminé, tout comme les scellés. "On sait que ça va prendre du temps, mais au moins ils auront creusé chacune des pistes", lance la petite-fille de Christiane Commeau, qui appréhende toutefois une nouvelle désillusion : "On a souffert, on sait qu'il ne retrouveront peut-être jamais l'assassin. Mais s'ils font les choses de A à Z, on sera au moins soulagés."
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