Policiers. @Hugo LAUBEPIN
Policiers au palais de justice de Lyon @Hugo LAUBEPIN

Protestation des policiers à Lyon : incompréhension mutuelle entre police et justice

Le placement en détention provisoire d'un policier marseillais a déclenché un mouvement de contestation inédit au sein de la police nationale. A Lyon, plus d'une centaine de policiers seraient en arrêt maladie. Ils estiment qu'avant son procès, un fonctionnaire de police n'a pas sa place en prison.

"La grogne est palpable, elle monte en puissance." Depuis ce lundi 24 juillet, "à Lyon la bonne centaine de fonctionnaires en arrêt maladie a été atteinte", lance Christophe Pradié, délégué départemental Unsa-Police pour le département du Rhône. "Il n'y a quasiment plus d'effectif de la BAC (brigades anticriminalité), du GST (groupe de sécurisation des transports) et du BST (brigades spécialisées de terrain) sur l'ensemble de l'agglomération lyonnaise", appuie Nicolas Bujdo, adjoint départemental du Rhône Alliance Police Nationale. La préfecture du Rhône, tout comme la Direction départementale de la sûreté publique du Rhône se refusent quant à elles à tout commentaire ou comptage officiel. La DDSP 69 confirme que "les urgences et appels au 17 sont pris en charge".


"La majorité des collègues sur la voie publique ne font plus d'initiative et les collègues dans les bureaux traitent le minimum de dossiers, les affaires les plus urgentes et les plus graves"

Nicolas Bujdo, adjoint départemental du Rhône Alliance Police Nationale


Le placement en détention provisoire de l'un des quatre policiers marseillais mis en examen pour violences en réunion par personne dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours, a charrié avec lui "un sentiment de ras-le-bol, parti de la base, à l'initiative des collègues eux mêmes", relate le délégué départemental Unsa-Police. Deux semaines après le placement en détention provisoire du policier ayant tué le jeune Nahel à Nanterre, les fonctionnaires de police y ont vu une litanie insupportable. "La majorité des collègues sur la voie publique ne font plus d'initiative et les collègues dans les bureaux traitent le minimum de dossiers, les affaires les plus urgentes et les plus graves, détaille Nicolas Bujdo. Et d'ajouter : ce ne sont pas des arrêts de complaisance. Au niveau psychologique, ils n'en peuvent plus, ils estiment que c'est de l'acharnement."

Plus d'une centaine de policiers en arrêt maladie

"Cela fait deux ans qu'on n'arrête pas entre les 'gilets jaunes', la réforme des retraites et les émeutes. A la moindre suspicion d'erreur, on met nos collègues en prison, maugrée Christophe Pradié. Et d'ajouter : Les collègues de Lyon se sont dit : 'ce qui arrive aux policiers de Nanterre et de Marseille peut nous arriver à n'importe quel moment'." A préciser que, s'il est présumé innocent, le policier de Nanterre a été filmé lorsqu'il a fait feu sur le jeune Nahel. Les fonctionnaires de police marseillais sont quant à eux suspectés d'être impliqués dans des violences en réunion ayant infligé un traumatisme crânien à Hedi, 22 ans, qui s'est vu retirer une partie du crâne depuis.

"On ne demande pas à être au dessus des lois, il peut y avoir des erreurs commises, mais dans l'attente d'un éventuel procès, on ne peut pas mettre un policier en détention provisoire", estime Nicolas Bujdo. Fatigués, les fonctionnaires de police accusent le coup, "après avoir fait des vacations de 16 h pendant plusieurs semaines", précise l'adjoint départemental du Rhône Alliance Police Nationale. "Nous avons besoin de soutien et en cela on tient à saluer la prise position du directeur général de la police nationale", lance Christophe Pradié. Frédéric Veaux avait déclaré dans un entretien accordé au journal Le Parisien : "Je considère qu'avant un éventuel procès, un policier n'a pas sa place en prison, même s'il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail."

Une fracture entre les policiers et les magistrats ?

Des propos appuyés par le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, qui avaient suscité l'ire du syndicat de la magistrature, dénonçant un "strike pour l'indépendance de la justice, séparation des pouvoirs et l'égalité devant la loi". "Commenter une décision de justice, ce n'est pas son rôle", appuie Livia De Filippis, déléguée régionale du Syndicat de la magistrature. Quelques jours plus tard, c'est le vice-président du tribunal judiciaire de Paris qui, dans un tribune parue dans Le Monde, dénonçait une "une blessure à notre pacte républicain".

Maître Laurent Bohé, avocat au barreau de Lyon et conseil régulier de fonctionnaires de police n'y "assimile pas d'entorse à la séparation des pouvoirs". Pour le conseil, "il ne faut pas y voir le regard de la police sur la justice, il faut y voir la considération qu'a un directeur pour ses hommes". "Nous voulons un consultation avec le garde des Sceaux pour évoquer le statut des policiers, appuie Christophe Pradié. Et d'ajouter : Il n'y a pas de fracture entre la police et la justice, mais il y a une incompréhension vis à vis des décisions de certains juges." Au quotidien, policiers, avocats et magistrats évoquent un travail mené en bonne intelligence entre la justice et la police, deux faces d'une même pièce. "Cet antagonisme police et justice est vieux comme le monde, lâche Me Bohé. Et d'ajouter : C'est un peu un vieux couple." Sauf que depuis quelques semaines, ce n'est plus le litanique slogan - devenu politique - d'une "justice laxiste", propice à la récidive et soupçonné de saper le travail des policier qui est entonné par les syndicats de police. Il s'agit là, de questionner la façon dont sont traitées les forces de l'ordre par l'autorité judiciaire.


"Il ne peut y avoir de statut dérogatoire pour personne. C'est ce qui sépare un Etat de droit d'un Etat policier."

Livia De Filippis, déléguée régionale du Syndicat de la magistrature


"Aucun policier n'a vocation à se soustraire à un juge, il ne doit pas être placé en détention provisoire dans le cadre de ses fonctions", tance Nicolas Bujdo. De son côté, le Conseil supérieur de la magistrature rappelle dans un communiqué de presse que "l'autorité judiciaire est la seule légitime pour décider du placement ou non en détention provisoire des personnes qui lui sont présentées". "Les critères de détention provisoire ne visent aucun statut particulier, appuie Livia De Filippis. Et d'ajouter : Cela rentrerait en contradiction avec égalité de tous devant la justice, c'est la base de notre état de droit." Reste qu'Alliance porte haut et fort la revendication d'une protection juridique comme l'expliquait sur le plateau de BFM le secrétaire général du syndicat, Fabien Vanhemelryck. "Nous avons un travail particulier, on aimerait avoir un statut particulier", appuie Nicolas Bujdo. "Il ne peut y avoir de statut dérogatoire pour personne. C'est ce qui sépare un Etat de droit d'un Etat policier", assure de son côté Livia De Filippis.

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