Au lendemain de l'assassinat du professeur Dominique Bernard, tué par un terroriste islamiste, et trois ans après celui de Samuel Paty, sort "Les profs ont peur. Ecole & Laïcité : enquête sur le grand renoncement".
Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l'Education nationale et professeur associé à l'Institut universitaire de formation des maîtres de Lyon, avait choisi le troisième anniversaire de l'assassinat islamiste de Samuel Paty pour la sortie de son livre-enquête.
C'était sans compter ce 13 octobre 2023, trois jours avant cette date mémorielle : Dominique Bernard, 57 ans, lui aussi professeur d'histoire-géographie, tombait sous les coups de couteau d'un fiché S pour islamisme radical.
"Les profs ont peur. Ecole & Laïcité : enquête sur le grand renoncement". En quelques mots clés, le titre résume la situation française.
"Mis bout à bout, un grand nombre de petits renoncements peuvent aboutir effectivement à un grand renoncement. De quoi je parle ? Je parle de l'autocensure des professeurs. Aujourd'hui, plus d'1 professeur sur 2 déclare s'autocensurer, ou s'être déjà auto-censuré, dans ses cours, dans son enseignement" explique Jean-Pierre Obin.
Mot d'ordre : ne pas mettre d'huile sur le feu
Il y a 15 ans, le phénomène prenait racine, ans une 60aine d' "établissements difficiles". C'était en 2004, cet ancien inspecteur de l'Education nationale, avec d'autres de ses collègues, avait remis un rapport (le "rapport Obin") au ministre de l'Education nationale François Fillon.
Il s'agissait d'une enquête circonstanciée de 37 pages, menée dans 61 collèges et lycées d’une vingtaine de départements français, de janvier à mai 2004, qui tirait la sonnette d’alarme sur les contestations de nature religieuse dans l’enseignement.
François Fillon l'avait totalement ignoré et mis au placard, pour, dit-on, ne pas mettre d’huile sur le feu, alors que la loi sur la laïcité devait être mise en œuvre, que trois Français – Florence Aubenas, Christian Chesnot et Georges Malbrunot – étaient otages en Irak et que le ministère préparait une loi d’orientation sur l’école.
Le rapport Obin dans son intégralité :
Aujourd'hui, quinze ans et deux assassinats de professeurs d'histoire-géographie plus tard, il n'y a "plus de territoire épargné" selon Jean-Pierre Obin, ni de "discipline épargnée", bien que, précise-t-il, les professeurs d'histoire-géographie sont ceux qui se censurent le plus. "Ce sont ceux, on l'a vu là dernièrement, qui sont les plus ciblés par l'islamisme parce qu'ils enseignent notamment l'éducation civique et morale."
"Les professeurs d'histoire géographie sont les plus ciblés par l'islamisme parce qu'ils enseignent, notamment, l'éducation civique et morale."
Parce que l'école, l'éducation en général, est un "objectif stratégique pour l'islamisme", souligne l'ancien inspecteur de l'Education nationale, il faut entreprendre une "stratégie à long terme" par rapport à cet "objectif de combat contre l'islamisme".
Retranscription intégrale de l'entretien avec Jean-Pierre Obin
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 Minutes Chrono. Nous recevons aujourd'hui Jean-Pierre Obin.
Bonjour.
Bonjour. Jean-Pierre Robin vous êtes ancien inspecteur général de l'Éducation nationale. Vous venez de publier un livre « Les profs ont peur. Ecole et laïcité : enquête sur le grand renoncement ». Un livre qui fait parfaitement écho tristement à l'assassinat terroriste de cet enseignant dans un lycée d'Arras dans le Nord Pas-de-Calais. Et en écho aussi à la mort de Samuel Paty dont on célèbre aujourd'hui le troisième anniversaire. Dans votre livre vous parlez du grand renoncement. Ça veut dire que sur ces questions de laïcité l'école publique l'Éducation nationale a renoncé ?
Mis bout à bout, un grand nombre de petits renoncements peuvent aboutir effectivement à un grand renoncement. De quoi je parle ? Je parle de l'autocensure des professeurs. Aujourd'hui, plus d'1 professeur sur 2 déclare s'autocensurer, ou s'être déjà auto-censuré, dans ses cours, dans son enseignement. Et comme l'a dit le ministre Gabriel Attal, il y a deux jours, à l'occasion de la remise du prix Samuel Paty, à la Sorbonne, cette situation constitue un poison, a-t-il dit, pour l'école.
Pourquoi les professeurs s'autocensurent ? Parce qu'ils ont peur. Pour 80% d'entre eux, ils avouent la crainte d'avoir à affronter une situation d'expression de la religion avec certains élèves dans leur classe. Par exemple, avoir à montrer des caricatures représentant des personnages religieux : 6 sur 10 disent que ça leur fait peur. Avoir des signes des tenues religieuses dans leur classe : 6 sur 10 ont peur. Au bout du compte, c'est 8 profs sur 10 qui trouvent qu'il y a au moins une de ces situations qui entraîne leur appréhension.
Et cette peur est largement aujourd'hui partagée et je pense que si on faisait la même étude aujourd'hui, après l'assassinat de Dominique Bernard ,on aurait des chiffres encore plus conséquents. J'ajoute que sur les jeunes professeurs ils sont 9 sur 10 à avoir peur. ,
"L'école, objectif stratégique pour l'islamisme"
Les chiffres sont assez inquiétants. Et pourtant, ce n'est pas nouveau puisque Lyon Capitale on en parlait aussi il y a ce fameux rapport (le "rapport Robin") rendu en 2004 (et totalement ignoré et mis au placard par le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, François Fillon, NdlR). Ce rapport alertait déjà sur ces questions dans les établissements scolaires. on est en 2023. Comment on explique que depuis 2004 finalement les choses ont empiré dans les établissements scolaires ?
Les choses ont empiré parce que pendant 11 ans, de 2004-2015 on a strictement rien fait déjà. Il a fallu attendre les attentats de Charlie Hebdo pour qu'il y ait une prise de conscience de l'opinion. Et, en particulier, avec les informations données par les médias selon lesquelles après les attentats il y avait un certain nombre de perturbations dans les établissements scolaires de refus de la minute de silence ou de jeunes qui s'exprimaient pour donner raison aux assassins, chose qu'on a revu encore depuis lors.
Cette prise de conscience a entraîné ce qu'on a appelé à l'époque "la grande mobilisation pour les valeurs de la République", avec Manuel Valls comme Premier ministre. Puis, de nouveau, on a eu des ministres ou des Premiers ministres qui ont été moins intéressés par la situation. Dernièrement, on a eu trois ministres qui se sont succédé et qui ont eu des opinions relativement divergentes sur la laïcité. Il n'y a rien de pire que ces politiques.
C'est vrai qu'en 2004, nous parlions déjà de l'autocensure des enseignants mais c'était dans une soixantaine d'établissements choisis parce que c'était des établissements difficiles. Aujourd'hui, avec les études de l'IFOP, on dispose de plusieurs études qui donnent des renseignements très précis. Il n'y a plus de territoire épargné, il n'y a plus de discipline épargnée, bien que les professeurs d'histoire-géographie soient ceux qui se censurent le plus. Ce sont ceux, on l'a vu là dernièrement, qui sont les plus ciblés par l'islamisme parce qu'ils enseignent notamment l'éducation civique et morale.
Ce sont des chiffres qui sont inquiétants je le disais et qui sont tendanciellement mauvais. Que faut-il faire pour inverser la tendance ?
D'abord, il faudrait poser le bon diagnostic sur l'islamisme, sur sa manière de pénétrer la société française, et en particulier l'école française. Parce que l'école, l'éducation en général, est un objectif stratégique pour l'islamisme. Il faut entreprendre une stratégie à long terme par rapport à cet objectif de combat contre l'islamisme. Ça veut dire, par exemple, qu'il faudrait revoir complètement la formation des enseignants, autant continue qu'initiale.
Aujourd'hui, une partie des craintes des professeurs, je pense aux plus jeunes en particulier, c'est qu'ils se sentent démunis par rapport à ces contestations
d'élèves. Plus largement, ils se sentent démunis pour traiter un sujet qui ne fait pas partie de leur formation. Beaucoup d'enseignants, dans mon livre parce que j'ai interrogé beaucoup d'enseignants, m'ont dit qu'ils refusaient, à l'avenir, les cérémonies à la mémoire de Samuel Paty, parce qu'ils se trouvaient trop angoissés à la perspective d'affronter leurs élèves sur un sujet qu'ils n'ont pas préparé.
Je rappelle votre livre : "Les profs ont peur. Ecole et laïcité : enquête sur le grand renoncement". Merci beaucoup Jean-Pierre Obin.
L'éducation nationale a renoncé à faire apprendre la psychologie (pour comprendre ses peurs, la peur des autres, nos mécaniques de réflexion), elle a renoncé à faire apprendre toutes les religions du monde depuis le début de l'humanité, ainsi que l'athéisme...
Pourquoi ?
Parce que le système économique a besoin de "gens qui suivent" sans réfléchir et sans connaître. Résultat, ils suivent... mais certains d'autres voies.
Votre solution que vous présentez régulièrement suppose pour être efficace que toutes les personnes qui ne n'auraient pas reçu cette formation à la psychologie et aux religions dans le cadre de l'éducation nationale française, l'auraient reçu par ailleurs (à l'étranger par exemple).
J'ai un doute sur la faisabilité de la généralisation de votre solution au monde entier.
Mais je ne veux pas couper votre élan et qu'il faut commencer petit avant de devenir grand.
Quand commencez vous ?
Pensez vous vraiment que des islamistes soient en mesure de quitter leur combat après vos cours ?
Ma question vaut aussi pour toutes les formes de terrorisme ou d'extrémismes religieux.
"............Quand commencez vous ?..............."
déjà commencé depuis longtemps et sur différents supports.
Mais "mystérieusement" cette société de violence ne s'intéresse pas au sujet. A croire que la violence (dans les séries, les films, le commerce) fait + vendre... et arrange les marchands d'armes au pouvoir...
"...........Pensez vous vraiment que des islamistes soient en mesure de quitter leur combat après vos cours ?
Ma question vaut aussi pour toutes les formes de terrorisme ou d'extrémismes religieux............"
Bien sûr. Leur violence ne naît pas du vide. Il y a toujours des bases.
Mais le jour où ils comprennent que la violence n'est pas une gloire, une marque de supériorité, mais exactement l'inverse, pensez vous qu'ils seront toujours motivés à montrer au monde entier leur faiblesse en utilisant la violence ?
Souvent également, ils parlent de "lumière", mais détruire des informations, les empêcher d'exister, c'est l'obscurantisme. Les censures sont l'obscurantisme, et encore une fois d'où qu'elles viennent.
Evidemment ça marche aussi pour les Etats, car un état qui détruit des humains est un état faible. (mais l'Etat c'est là aussi ni plus ni moins que des humains au pouvoir).
Ensuite il faut recréer de l'harmonie, avoir une sémantique commune, savoir décrire où est "leur sentiment de menace" qui leur fait mal. Définir tout un tas de notions.
Vous pensez que le plus simple serait "d'effacer toute vie sur terre" par les bombes atomiques ?
Vous êtes manifestement totalement convaincu par votre solution.
Même si certains peuvent adhérer à vos propos, j'ai pour ma part un vrai doute.
Vous oubliez que face à vos belles idées il y a une foultitude de prêcheurs qui tiennent des discours avec autant de conviction que vous mais ce qu'ils prêchent n'est que violence envers ceux qui pensent différemment.
Sans vouloir être simpliste, on peut constater qu'ils ont des résultats visibles et palpables qui leurs permettent d'accroitre toujours plus le nombre de leurs fidèles.
Comme vous je suis attaché à l'éducation et à son contenu.
J'ai eu la chance d'avoir tout au long de mon cursus de bénéficier de méthodes qui sont aujourd'hui considérées comme désuètes.
Un simple exemple, j'ai eu des cours d'éducation civique qui nous offraient une information sur nos institutions et sur leur fonctionnement.
Aujourd'hui nombre de jeunes ne connaissent rien à celles ci hormis ce qu'ils peuvent lire sur les réseaux sociaux. Ils n'ont alors comme seul repère que les poncifs sans cesse rabâchés comme "tous pourris", "justice laxiste ou à géométrie variable", "pouvoir des boomers" etc.
Quand je dit méthode, je pense aussi au respect des règles de vie au sein des établissements en clair de la discipline.
Je suis portant qu'un jeune soixantenaire mais je ne suis pas loin de dire que sur ces sujets c'était mieux avant.
L'enseignement civique est toujours d'actualité dans les écoles apparemment.
Donc, le problème ne vient peut-être pas de là.
Car lorsqu'un maître (de votre époque) disait "il faut être honnête" (pour résumer), il n'y avait pas en face tout un tas d'exemples de personnes "reconnues" dans la société (dirigeants politiques, d'entreprises, de vedettes) qui étaient malhonnête et qui décrédibilisait totalement le discours.
(en fait il y en avait surement autant, mais ce n'était pas médiatisé). Et c'est cela qui donne l'impression à certains de "tous pourris" parce que ceux qui font le job normalement ne sont pas médiatisés, c'est beaucoup moins attractif pour "le monde qui vend de l'information", que les scandales.
Maintenant l'accès aux informations est là. Le cerveau en est même inondé (mais surtout par des messages publicitaires).
Qu'y avait-il à la télé du temps de votre jeunesse ? 24h sur 24 des séries avec des gens qui se font tuer ?
Ok, il y avait déjà des films de cowboys et d'indiens, et "l'inspecteur Maigret" ne date pas d'hier. Mais la violence n'était pas aussi présente dans toutes les images par rapport à maintenant.
La violence est devenue "la norme" pour divertir, pour "vendre", pour que le spectateur reste scotché à son écran.
Quant aux prêcheurs de violence :
"..................Vous oubliez que face à vos belles idées il y a une foultitude de prêcheurs qui tiennent des discours avec autant de conviction que vous mais ce qu'ils prêchent n'est que violence envers ceux qui pensent différemment........................"
non je n'oublie pas. Mais je constate que les explications sur "l'infériorité mentale momentanée" de ceux qui utilisent et prônent la violence, n'existent pas.
Alors : comment pouvez-vous avoir des doutes sur l'efficacité d'un paramètre qui n'est pas mis en oeuvre ? Quelle motivation à vos doutes ?
Vous comparez quoi à quoi ?
Et surtout : pourquoi ne pas mettre en oeuvre cette approche ? Qu'est-ce qu'on risque ? De se faire assassiner comme le sont les pacifistes avants les guerres ?
Mais expliquer la psycho et sa mécanique n'est pas "être pacifique", c'est utiliser le poids de la conscience. Libre à des humains d'agir ensuite comme des minables, mais ça ne trompera plus personne. Comme pour les manipulateurs mis dans la lumière.
"gens qui suivent" comme dans les régimes totalitaires politiques, économiques, militaires, religieux.. etc.
"Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter... Alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie" Platon/La République. Qui dit mieux !
"Mot d'ordre : ne pas mettre d'huile sur le feu" Cette directive rappelle le dramatique: "Pas de vagues". La baleine n'est pas prête de dégraisser !
"Celui qui ne connaît pas l'histoire est condamné à la revivre.” !
C'est fascinant que vous citiez des phrases intelligentes, mais qu'au final vous les avez "digérées" en concluant par des commentaires comme celui au dessus : "la baleine n'est pas prête de dégraisser".
C'est fascinant de relire vos longs discours si intelligents comme "D'où l'intérêt de rehausser le niveau des connaissances de façon urgente" Combien de parlementaire espérez vous obtenir à la prochaine élection !
Aucun vu que le jeu est totalement biaisé et qu'il n'y a (à notre avis et au doigt mouillé) qu'environ 1 ou 2 % maximum des électeurs qui savaient que nos candidatures existaient.
Mais nous continuerons à tout essayer (sauf la violence) pour changer d'économie car celle-ci nous autodétruit.