Dans sa nouvelle création Deux mille vingt trois, Maguy Marin décrit la façon dont nous sommes manipulés par l’abondance d’images et de médias... jusqu’à perdre notre liberté de penser.
Après Faces (2011) où elle parlait déjà des manipulations des masses au profit de stratégies politiques de domination et d’asservissement des peuples et Deux mille dix sept (2017) des idéologies meurtrières ayant traversé le XXe siècle, Maguy Marin persiste et signe une nouvelle création, décidée à frapper encore plus fort.
Avec Deux mille vingt trois, elle décortique la manière dont nous sommes manipulés par tous les canaux d’information existants (presse écrite, radio, télévision, réseaux sociaux, discours, publicité…), démontrant leur part grandissante et dangereuse dans ce que nous croyons être nos propres choix, notre propension à opter pour ce qui est recommandé par la publicité ou les “influenceurs”.
Autant de médias qui colonisent les esprits, nous forcent subrepticement à rallier l’avis majoritaire, contraignant au silence ceux qui veulent agir, réagir ou réfléchissent autrement.
Pour élaborer sa dramaturgie, elle s’est nourrie d’images, d’articles de presse et d’écrits comme Ceci tuera cela. Image, regard et capital d’Annie Le Brun et Juri Armanda, La Fabrique de nos servitudes de Roland Gori et de documentaires tel le célèbre Propaganda. La fabrique du consentement (2018) de Jimmy Leipold.
Le film décrypte la démarche d’Edward Bernays, inventeur des relations publiques et grand manipulateur d’opinion du début du XXe siècle. Il a développé des techniques de persuasion des masses menant à l’instrumentalisation du désir que les industriels ont utilisées pour lutter contre les grèves avec l’objectif de faire adhérer la classe ouvrière au capitalisme et transformer le citoyen en consommateur.
Ses techniques (exposées cyniquement dans son livre Propaganda) ont permis l’adhésion de peuples à des propagandes politiques utilisées, entre autres, aux États-Unis pour convaincre les Américains de s’engager dans la Première Guerre mondiale ou renverser la démocratie au Guatemala en 1954.
Entretien avec Maguy Marin : “Je ne fais pas des spectacles pour me faire plaisir mais pour donner du courage aux gens”
Lyon Capitale : La thématique centrale de cette nouvelle pièce est la domination qui, de fait, implique la soumission ?
Maguy Marin : Oui, Deux mille vingt trois décrit la façon dont la domination s’exerce, comment par l’information et la propagande, on arrive à faire agir et penser les gens d’une certaine façon et pas d’une autre. On est tous perméables à ce qu’on nous dit et au bout d’un moment on finit dans une soumission.
Ce n’est pas une soumission consciente mais de paresse donc on ne cherche pas à avoir plus d’informations sur ce qu’il se passe, on se plie à l’opinion générale qui est celle de la télé, la radio, les réseaux sociaux.
Pour moi, cela va aussi avec un certain conformisme car après les gens doivent vivre, ils ne peuvent pas tout le temps vérifier ce qui est vrai ou faux. Le problème vient plutôt de ceux qui détiennent le pouvoir de l’information, comme la presse achetée par des riches qui forge l’opinion publique, mais aussi de l’État qui nous dit des choses autour desquelles on ne cherche pas.
Je ne suis pas du tout dans l’idée d’un complotisme, il y a des gens qui sont à la tête de cette façon de penser, qui sacrifient le commun à leurs propres intérêts et ça ce n’est pas du complotisme, c’est du capitalisme.
Les réseaux sociaux peuvent nous relier à des résistances mais c’est minoritaire, tous ces médias servent à manipuler les gens, ils sont une fabrique d’idées reçues et nous détournent de questions importantes comme la lutte des classes et l’injustice sociale.
L’injustice sociale, les guerres, le pouvoir et l’argent qui écrasent les faibles, vous y revenez sans cesse. Là encore, pourquoi ?
Parce que ça n’arrête jamais. C’est toujours remis sur le tapis. Il y a eu une révolution en France contre la royauté, l’aristocratie, puis il y a eu des révoltes ouvrières en 1830, la Commune, les guerres, le fascisme, la résistance, les dictateurs, la Révolution arabe, aujourd’hui les femmes en Iran…
Ça fait longtemps que ça dure, que des gens laissent leur peau là-dedans. Il y a eu des tentatives de luttes pour un monde plus juste qui inclut les faibles, et même si c’est dur, même si elles ont échoué car on est toujours dans un monde libéral où l’argent prime, même s’il y a encore et encore des morts, d’autres se lèvent derrière.
Là aussi ça ne s’arrête pas car il y a trop de souffrance dans le monde et c’est un miracle de vouloir continuer à être un être humain, à ne pas laisser faire.
Dans vos lectures, y a-t-il eu des choses qui vous ont choquée ?
La parole des gens. Des personnes qui ont la parole justement parce qu’il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas la parole. La parole de ceux reçus dans les radios, qui écrivent ou s’expriment au nom de la loi.
Il suffit d’en écouter certaines pour se rendre compte qu’il y a du forcing. Je repense aux problèmes avec la police, aux manifestations pour les retraites. Il y a une façon d’écrire les faits et il y a une autre réalité qui est celle de ceux qui ont perdu un œil, je pense aussi à Sainte-Soline car il y a bien deux façons de raconter les choses par rapport à ces méga-bassines qui servent l’agro-industrie.
C’est un spectacle pessimiste ?
Je ne sais pas car, pour moi, le pessimisme, c’est déjà un sacré optimisme. C’est quelque chose qui nous met face au réel pour nous faire dire : c’est pas drôle ce qui se passe en ce moment, d’accord, mais comment fait-on pour continuer à vivre avec ça ? Je le cite souvent mais le philosophe Walter Benjamin dit qu’il faut organiser le pessimisme et c’est très optimiste en fait. Cela signifie voir quelles sont les questions vitales pour chacun et à partir de là s’organiser, structurer des luttes, aller contre cette idée que les gens qui s’opposent ou contestent leur situation sociale tout comme ceux qui fuient leur pays ne sont pas de simples emmerdeurs qui n’ont pas d’argent.
Vous avez décidé de traiter ce sujet par le biais d’un humour qui emprunte à Bertolt Brecht et au grand acteur comique Karl Valentin. Pour quelle raison ?
J’ai choisi un angle tragicomique qui me semble plus facile pour aller vers le public avec ce sujet difficile. Je ne fais pas des spectacles pour me faire plaisir mais pour donner du courage aux gens. Il ne faut pas les désespérer, ni les faire pleurer ni faire en sorte qu’ils aient bonne conscience après s’être levés pour applaudir avec des bravos et rentrer à la maison comme c’est souvent le cas en ce moment. Donner du courage, cela veut dire leur proposer une forme qui les enthousiasme sans que ce soit un divertissement ou fait pour oublier la dureté de la vie mais qui parle du monde dans lequel on vit, qui les enrichisse et leur donne de la force, du courage pour affronter les choses qui nous arrivent. C’est prétentieux ce que je vous dis mais j’essaie de travailler comme ça !
Deux mille vingt trois - Maguy Marin – Du 8 au 10 novembre, à la Maison de la danse, Lyon 8e
À noter : plusieurs rendez-vous sont organisés autour de cette création et du travail de la chorégraphe : rencontres, projections de films, signature du livre Toucher au nerf. Programme complet : www.maisondeladanse.com
Et encore et toujours la belle impasse d'analyse en oubliant la question principale :
"quel est l'impact de l'usage de monnaie dans les problèmes qu'elle expose ?"
Pourquoi ça ne "percute" toujours pas ? Pourquoi cet acharnement à "dénoncer" sans comprendre la globalité des suites de causes et d'effets ?