LOGEMENT étudiants bron lyon 2
700 logements étudiants seront construit à proximité de l’université Lyon 2 à Bron. (@Vergély architectes)

Construire sans bétonner, la Métropole veut relever le défi

À partir de 2030, les collectivités locales seront bridées dans leurs projets de construction de logements ou de surfaces d’activité puisqu’elles auront des quotas de terrains à bétonner. Lyon, où les réserves foncières sont presque inexistantes, sera moins concerné que des zones périurbaines comme l’Est lyonnais.

Zan. Ces trois lettres vont façonner le paysage de la France de demain. Ou plutôt le figer. Le dispositif zéro artificialisation nette (Zan) interdira à partir de 2050 de construire sur des espaces jusque-là préservés de l’urbanisation. Ce texte est une émanation de la Convention citoyenne pour le climat, une assemblée qui dessinait l’une des portes de sortie créée par Emmanuel Macron au plus fort de la crise des Gilets jaunes. Cinq ans après la fronde de la France périurbaine, cette mesure crispe fortement dans ces mêmes territoires. La position consensuelle de l’assemblée citoyenne est devenue une poudrière à mesure que les premières échéances approchent.

Échanges houleux 

À partir de 2030, les collectivités locales seront déjà bridées. Elles devront réduire de moitié leur consommation de surfaces naturelles ou agricoles. Cette première échéance a déclenché la colère de Laurent Wauquiez qui a déclaré la guerre au dispositif. “Je refuse qu’on mette sous cloche les décisions des élus de construire dans la ruralité. Les décisions prises par la technocratie, je dis stop. Cette loi, en imposant une approche strictement quantitative de l’aménagement du territoire, occulte la diversité et les particularités de nos régions”, déclare-t-il au congrès de l’Association des maires ruraux de France (AMRF) à L’Alpe-d’Huez cet automne. Précisant que la région Auvergne-Rhône-Alpes n’appliquerait pas cette loi. 

S’ensuivront des échanges houleux par réseaux sociaux interposés. “Laurent Wauquiez ne peut s’exonérer de la loi, elle s’applique à tous. Il ne peut pas faire le choix de la facilité en refusant de prendre sa part dans la transition écologique de notre pays et en jouant les territoires les uns contre les autres”, tacle immédiatement le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu. 230 élus régionaux, principalement de gauche, dont Bruno Bernard et Grégory Doucet, signent une pétition demandant à Laurent Wauquiez de revenir sur sa décision. La préfète Fabienne Buccio a adressé un courrier à tous les maires de la région pour dénoncer les inexactitudes de Laurent Wauquiez et les avertir que la loi ne saurait être contournée. Elle menace de reprendre la main si des collectivités se mettaient hors la loi. Une association environnementale a même porté plainte contre le président LR du conseil régional aurhalpin.

Zèle métropolitain

Si le Zan ravive d’anciens clivages gauche-droite, la mesure laisse sceptiques de nombreux élus. “Sur le principe, les objectifs poursuivis sont bons et cette loi s’imposait. Mais elle contient des procédures trop rigides. Il faudrait que l’on puisse l’adapter en fonction de tel ou tel projet. Si le Zan nous empêche de construire une école ou une crèche, ce sera impossible à expliquer à la population. Si nous avions un interlocuteur avec qui négocier de l’application de la loi, ce serait mieux”, souligne Marc Grivel, président du groupe Synergies au conseil métropolitain et élu des monts d’Or. “On peut tous être d’accord sur l’objectif de moins artificialiser, sauf qu’une fois de plus, cette loi s’est décidée avec une vision parisienne de notre pays. Son applicabilité sur le terrain, et notamment dans le milieu rural, est particulièrement difficile”, oppose Patrice Verchère, vice-président du département du Rhône et maire de Cours. “Nous ne pouvions pas rester dans la situation actuelle. La France consomme trop de surfaces agricoles par rapport aux autres pays européens. Ce n’est pas bon pour l’environnement, mais aussi pour l’argent public. L’étalement urbain coûte une fortune en réseaux, en voirie et en transports en commun. Mais cette loi ne pourra pas se dupliquer sur tous les territoires de façon uniforme. Il faudra à un moment tenir compte des besoins démographiques. Sur certains territoires, il y a une logique à continuer d’urbaniser. Si la loi s’applique de manière identique partout en France, elle créera des blocages. Nous les voyons déjà”, pointe Michel Le Faou, ancien vice-président (LREM) de la Métropole chargé de l’urbanisme et aujourd’hui élu d’opposition.

Les écologistes ont eux décidé d’appliquer le Zan en avance et avec zèle. Les objectifs de la loi ont été intégrés au nouveau Scot (schéma de cohérence territoriale). D’ici 2030, la Métropole de Lyon, présidée par Bruno Bernard, promet ainsi de réduire de 57 % sa consommation d’espaces naturels. La collectivité s’engage déjà sur des échanges de parcelles pour construire dans un jeu à somme nulle. Fin novembre, elle a lancé des projets d’urbanisation sur 96 hectares, dont 60 % sur des terrains déjà artificialisés, et bascule, dans un mouvement inverse, 71 hectares de surfaces urbanisables en réserve naturelle. Des transferts qui seront demain toujours possibles avec la loi zéro artificialisation nette. Toutes les règles d’urbanisme édictées par les collectivités lyonnaises gérées par les écologistes imposent aux constructeurs de revoir à la hausse les espaces verts.

Inversion

Grégory Doucet rappelle régulièrement que, depuis son élection à la Ville de Lyon, il a transformé trois hectares bétonnés en espaces verts. Le chiffre peut paraître dérisoire rapporté aux 4 787 hectares de la commune. “Ça ne se traduit pas nécessairement par de très très grandes opérations où l’on arrache des kilomètres de bitume, bien évidemment. Ça se fait ici et là par des opérations où l’on va enlever du stationnement, élargir une parcelle plantée. Nous avons mis fin au processus d’artificialisation des sols, il y avait un grand pas à franchir. Nous avons inversé la tendance”, se félicite le maire écologiste de Lyon.

La France, et l’agglomération lyonnaise n’échappe pas à la règle, a pris ses aises. Les aires urbaines couvrent aujourd’hui 22 % du territoire contre 7 % en 1936. Depuis 1981, l’artificialisation des sols a progressé de 70 %. Lyon a plutôt été épargné. Les grandes opérations immobilières des derniers mandats ont principalement reposé sur la requalification de friches industrielles à la Confluence, au Carré de Soie ou à Gerland. En revanche, la métropole de Lyon s’est étalée. Sur les dix dernières années, celle-ci a consommé en moyenne 82,8 hectares par an, 8 300 terrains de foot ou l’équivalent de la moitié du 1er arrondissement. Un chiffre qui tend à diminuer. Entre 1990 et 2006, la collectivité tournait à un rythme de 90 hectares bétonnés chaque année. À l’époque, l’artificialisation se faisait principalement au détriment de terrains agricoles. Sur la dernière décennie, c’est l’Est lyonnais qui a le plus grappillé de terrain à la nature.

Haro sur la France Plaza

Aux frontières de la métropole, le phénomène est encore plus prégnant. L’étalement urbain s’est accéléré sur un arc de cercle allant de Brignais au plateau de la Dombes et passant par la périphérie de Vienne. Proches de Lyon et avec des prix plus abordables, ces territoires ont vu s’installer de nombreuses familles quittant le cœur de l’agglomération ces dix dernières années. Les projets de lotissement s’y sont multipliés. “Le symbole de la maison individuelle est fortement ancré dans l’esprit des gens en France”, regrette Michel Le Faou. Un phénomène que le politologue et essayiste Jérôme Fourquet qualifie de France Plaza, du nom de l’agent immobilier star de la télévision, et qui repose sur le pavillon avec jardin et barbecue. C’est justement ce modèle périurbain que veut combattre la loi Zan.

En cœur de métropole lyonnaise, le Zan devrait finalement s’appliquer assez facilement. Les surfaces disponibles pour lancer de nouveaux projets immobiliers sont rares. La plupart des programmes de logement se construisent désormais en détruisant d’abord d’anciennes maisons individuelles ou copropriétés de deux étages ou moins. La ville se reconstruit sur elle-même. La nouvelle révision du plan local d’urbanisme lancée par les écologistes prévoit d’autoriser la construction d’immeubles plus haut pour rentabiliser un foncier qui se fait rare. Pour ses nouveaux projets, elle cible en priorité des terrains déjà urbanisés. La Métropole lance ainsi la création de près de sept cents logements étudiants à Bron, dans le campus de Lyon 2, sur un terrain jusque-là utilisé comme parking. “Le Zan, ce n’est pas ne plus construire, c’est tout simplement mieux construire”, sourit Benjamin Badouard, coprésident du groupe écologiste au conseil métropolitain. La recette lyonnaise qui repose sur la densification ne sera toutefois pas transposable sur l’ensemble du territoire métropolitain.

Problème identitaire

Dans la métropole de Lyon, de nombreux secteurs appliquent déjà de fait le Zan. Les communes de l’Ouest ou des monts d’Or peinent à remplir leurs obligations de construction de logements sociaux par manque de terrains constructibles. “Pour construire, nous attendons que de grandes propriétés soient découpées en parcelles lors de successions. C’est ainsi que nous pouvons sortir des petits lotissements ou des constructions de deux étages. Mais nous ne pouvons pas aller plus haut au risque de changer l’identité patrimoniale de nos villages. Il est impossible de densifier tout en respectant le charme de nos territoires”, prévient Marc Grivel. Cette question de l’identité préoccupe aussi les maires ruraux. Au sein de l’agglomération lyonnaise, c’est plutôt dans l’Est lyonnais que l’application de la loi zéro artificialisation pourrait être plus problématique. Des terrains constructibles seraient alors laissés en friche. “La métropole va encore accueillir des milliers d’habitants dans les années à venir. On nous demande de produire plus de logements tout en nous imposant des contraintes qui vont empêcher de construire, proteste Christophe Quiniou, maire LR de Meyzieu. Un tiers de ma commune est classé en réserve agricole ou naturelle, nous ne sommes pas en zone inondable et si nous devions construire ce serait sur des terrains qui ne seront pas pris à des agriculteurs. Je ne comprends pas pour quelles raisons nous ne pourrions plus artificialiser des sols sur un territoire comme le nôtre. Il faudrait que nous puissions avoir une certaine latitude.” “La loi est applicable, mais je pense qu’il y aura des dérogations”, pronostique Michel Le Faou. L’agglomération lyonnaise accueille chaque année 15 000 nouveaux habitants. Le rythme devrait ralentir et tourner autour de 8 500 à partir de 2030.

Injonctions contradictoires

Le Zan se télescope dans l’actualité avec les coups de pression mis par la Métropole et la préfecture sur les communes qui ne produisent pas assez de logements et notamment sociaux. Les maires dénoncent des injonctions contradictoires. “Au même moment où la construction ralentit sur Lyon, nous avons des demandes sur nos territoires où nous perdions de la population depuis des décennies et aujourd’hui, on nous dit que nous ne pourrons plus construire”, déplore Patrice Verchère, président de la COR (communauté de l’Ouest rhodanien). Pour Renaud Payre, vice-président de la Métropole chargé du logement, ces deux ambitions sont tout à fait conciliables : “Pour les prochaines années, les objectifs devront être supérieurs afin de répondre à la crise du logement. Nos ressources naturelles doivent être protégées, mais ce n’est pas l’opposé de la construction, il faut accepter de densifier là où c’est déjà construit. Dans le centre de notre métropole, la question de la hauteur ne devra pas être un tabou.” La prochaine révision du PLU flèche cette solution, mais les écologistes ne veulent pas entendre parler de tours d’habitation. Tout comme les maires ruraux ou des zones périurbaines qui refusent de construire toujours plus haut.


Une menace plus forte sur l’économie

Lors de la présentation du Scot, la Métropole de Lyon a assuré que des terrains seraient artificialisés jusqu’en 2030 pour créer des logements. Une latitude qu’elle s’interdit, en revanche, pour les surfaces d’activité. “D’ici 2030, les opérations d’aménagement économiques ne se feront plus en extension, mais en régénération de friches ou de zones d’activité vieillissantes”, balaie la Métropole de Lyon. “Pour qu’une entreprise s’installe sur le territoire, il faudra qu’une autre déménage. On est dans la décroissance”, peste Christophe Quiniou, maire LR de Meyzieu.

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