Etienne Blanc
Etienne Blanc, sénateur (LR) du Rhône

Narcotrafic : "on est sur un point de bascule"

Une France "submergée" par le trafic de drogue, une violence "endémique" qui a fait 418 victimes, dont 85 morts, en 2023 et
l'émergence "embryonnaire" de la corruption des agents publics et privés.

Alors que le procès de l'ex-maire de Canteleu, jugée avec dix-huit autres prévenus pour un vaste trafic de drogue dans sa petite ville de Seine-Maritime, est en cours, Etienne Blanc, sénateur (LR) du Rhône, rapporteur d'un rapport sur l'impact du narcotrafic en France, est l'invité de "6 minutes chrono".

Quelques chiffres symboliques de l'étendue du trafic de drogue en France ont été donnés dans le rapport sur l'impact du narcotrafic en France par le sénateur (LR) du Rhône Etienne Blanc et Jérôme Durain, son homologue (PS) de Saône-et-Loire : un chiffre d'affaires de l’ordre de 3,5 milliards (citant le ministre de l'économie, en fourchette probablement très basse), 418 victimes - y compris collatérales - par règlements de comptes, dont 85 morts, pour la seule année 2023 - 15 à 20 000 euros en moyenne pour l'élimination de quelqu'un par un tueur à gages -, 240 000 personnes vivant directement ou indirectement de l'argent généré par le trafic de drogue, dont 21 000 en équivalents temps plein (estimation de l'Insee de...2014)... "Le problème qui se pose aujourd'hui c'est qu'on a le sentiment que l'Etat n'a pas pris la mesure de ce risque", explique sur le plateau de "6 minutes chrono" Etienne Blanc, rapporteur du rapport sur l'impact du narcotrafic en France.

"On est sur un point de bascule". Et de citer les cas de corruption, "de plus en plus nombreux" dans les services névralgiques de l'État, police, douane, les greffes, la justice - le procès de l'ex-maire de Canteleu (Seine-Maritime) Mélanie Boulanger jugée avec dix-huit autres prévenus pour trafic de drogue, en cours, en est la dernière illustration retentissante.

Lire aussi :
- Trafic de drogue - "on s'approche d'un affaiblissement de l'institution publique"
-  “À Lyon, le trafic de drogue est plus atomisé qu’à Marseille. On pourrait dire qu’il y a du travail pour tout le monde.”

Pour lire, dans son intégralité, le rapport sur l’impact du narcotrafic en France
et les mesures à prendre pour y remédier :


La restranscription intégrale de l'entretien avec Etienne Blanc

Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de la rédaction de 6 minutes. Nous recevons aujourd'hui Etienne Blanc, sénateur LR du Rhône. Bonjour, si on vous invite Étienne Blanc, c'est pour parler trafic de drogue. Vous avez été rapporteur d'un rapport sur l'impact du narcotrafic en France. 629 pages assez accablantes pour l'exécutif. On va revenir un peu sur l'actualité : un trafiquant a fait la une de tous les journaux, récemment été libéré par un commando sur armé. Deux agents pénitentiaires ont été abattus pour libérer un trafiquant de drogue. Est-ce qu'on peut parler de mexicanisation du trafic de drogue en France ?

Il y a un certain nombre d'éléments qui sont particulièrement inquiétants. Il y a la corruption. On a de plus en plus de cas de corruption dans les services névralgiques de l'État, police, douane, les greffes, la justice…

Et on l'a vu, l'ancienne mère socialiste de Canteleu, en Seine-Maritime…

L'affaire est en cours donc je ne me prononcerai pas dessus, mais il y a des cas de corruption qui sont de plus en plus importants. Le deuxième élément, c'est qu'on a de plus en plus de personnes qui sont impliquées dans le narcotrafic. C'est entre 200 et 250 000 personnes en France.

C'est qui, ceux qui vivent du trafic ?

Ceux qui guettent, ceux qui vivent, ceux qui sont rémunérés totalement ou partiellement. Troisièmement, c'est la violence. C'est une violence extrême qui dépasse l'entendement. Quand nous étions à Marseille, on nous a expliqué ce qui se passait. On découvre de véritables salles de torture, des gamins brûlés au chalumeau, brûlés vifs, un corps démembré présenté à ses parents. On a, aujourd'hui, une violence qui est une violence extrême.

Qui ressemble à celle du cartel de Sinaloa par exemple ?

Il faut garder juste mesure, mais il y a un certain nombre de signes qui laissent entendre que si l'État ne réagit pas, nous avons le risque de nous approcher, je ne dis pas de la Colombie, mais d'un certain nombre de critères qui font que nous ne serons plus tout à fait un État indépendant par rapport au narcotrafic.

Donc si je résume bien, on n'est pas encore un narco-État mais il y a des signes d'affaiblissement de la situation politique publique.

Il y a des signes inquiétants, comme il y en a en Belgique, comme il y en a en Hollande, où on s'aperçoit que les narcotrafiquants ont un poids de plus en plus important, et qu'ils pèsent sur la puissance publique.

Comment on fait en sorte que, justement vous parliez de pays comme les Pays-Bas ou comme la Belgique, où là, effectivement, les trafiquants ont clairement phagocyté une partie de la puissance publique ? Comment on fait pour que la France n'arrive pas à parvenir à cet état-là ?

Ce qu'il faut, d'abord, c'est comprendre que le narcotrafic, c'est comme une entreprise. Vous avez un consommateur, quand il consomme, il achète un produit. Et la distribution de ce produit, ou sa fabrication, c'est un chef d'entreprise. Il n'est pas souvent en France. Il est en Afrique du Nord, il est en Amérique du Sud, il est à Dubaï etc. Il organise son entreprise. Donc, si on veut agir convenablement, il faut partir du bas du réseau pour remonter en haut du réseau. Et il faut aussi s'adresser aux consommateurs pour leur rappeler que s'il n'y a pas de consommateur il n'y a pas de trafic.

Pour autant est-ce que vous validez, je crois que c'était Gérald Darmanin et qui avait dit ça il me semble, que le consommateur a du sang sur les mains ?

Il faut que l'Etat fasse un choix. Indirectement, il n'a pas tort. Il faut que l'Etat fasse un choix. Il est tolérant vis-à-vis des stupéfiants ou il ne l'est pas ? Dans votre halle d'attente j'ai trouvé un document sur le tabac. L'Etat a agi sur le tabac. Il a fait des campagnes massives. Qu'est-ce qu'il a fait sur les stupéfiants ? Qu'est-ce qu'il a fait sur le cannabis ? L'Etat est un peu hésitant. On va peut-être réfléchir à la légalisation. À un moment, il faut que l'Etat tranche. Il faut qu'il arbitre. Nous sommes dans un dossier où l'Etat ne tranche pas et n'arbitre pas. Sur la consommation, mais pas que. Sur les moyens juridiques, sur les moyens donnés à la police, qui doivent être des moyens extrêmement puissants, moyens matériels, moyens humains et moyens juridiques. Maintenant, il faut que l'Etat tranche. Il a un rapport de 620 pages où on lui dit tout simplement "on est sur un point de bascule", maintenant c'est à vous de réagir. Est-ce qu'il faut plutôt voir le verre à moitié plein ou à moitié vide ? Est-ce que c'est déjà trop tard ou pas ?Non. L'Etat peut réagir. Mais il peut par exemple éviter ce qui vient de se passer. Que du fond de sa prison on ait une personne qui prépare son évasion et qui continue le trafic. On retrouve 8 téléphones dans sa cellule. C'est quand même absolument invraisemblable. Et là-dessus l'Etat peut réagir. Le problème qui se pose aujourd'hui c'est qu'on a le sentiment que l'Etat n'a pas pris la mesure de ce risque. Hélas il n'y a pas que dans ce domaine.

Effectivement on en parlait tout à l'heure. Ça c'est dans votre rapport. 85 morts en 2023 c'est quasiment un à tous les quatre jours lié au trafic de drogue avec des exécutions, vous en parliez, qui sont un peu effrayantes. Est-ce qu'on peut dire qu'aujourd'hui il y a des organisations criminelles des multinationales du crime qui sont en train d'émerger en France ou pas ?

Bien sûr. Vous avez des réseaux étrangers colombiens, des réseaux des Balkans. Et vous avez des réseaux français qui migrent sur l'ensemble du territoire français. On a trouvé des vendeurs de drogue qui avaient quitté Marseille pour aller en vente dans la région de Dijon. Dans notre rapport on explique cela. Il y a des réseaux internationaux qui ont des antennes en France. Et il y a des réseaux français qui aujourd'hui se répandent sur l'ensemble du territoire. C'est comme une entreprise. Il faut conquérir des marchés. Il faut aller chercher les points de deal. Et quand vous ne l'avez pas, vous utilisez des armes létales.

Merci Étienne Blanc d'être venu sur le plateau. Le mot d'ordre, on l'aura compris de votre rapport, c'est fermeté contre le narcotrafic en France.

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