© Benjamin Boccas

Dominique Hervieu, directrice de la culture des JO 2024 : “l’art et le sport fédèrent une humanité joueuse et joyeuse” 

Directrice de la culture pour l’Olympiade culturelle des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024, Dominique Hervieu est au cœur d’un programme artistique planétaire. Rencontre.

Nommée en février 2022 directrice de la culture pour l’Olympiade culturelle des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024, après avoir dirigé la Maison de la danse (2011-2022), Dominique Hervieu a accompagné et impulsé des propositions, fédérant un programme artistique planétaire qui trouvera son apogée en juillet et en août.

Plus de 2 000 projets ont été labellisés avec à l’intérieur une multitude d’événements émanant de grandes institutions et de musées, d’artistes, performeurs, danseurs, musiciens…

Certains ont déjà été présentés ou sont en train de l’être tandis que d’autres le seront pendant toute la durée des Jeux sur la France entière. Au total, plus d’un millier de collectivités y participent avec 20 % d’événements à Paris, 25 % en Île-de-France et 55 % hors Île-de-France et un focus important en Seine-Saint-Denis. S’il est impossible de les citer*, on peut signaler que 82 % sont gratuits et que les JO attendent à Paris 15 millions de visiteurs et 3 milliards de spectateurs. À Lyon, ville peu investie dans cette fête populaire, deux projets labellisés seront visibles aux Nuits de Fourvière avec les chorégraphes Rachid Ouramdane et Mourad Merzouki.

Lyon Capitale : L’organisation de l’Olympiade culturelle est gigantesque, comment l’avez-vous abordée ?

Dominique Hervieu : C’est un travail de longue haleine, on a travaillé avec les associations des maires de France, les départements, on a organisé beaucoup de conférences pour expliquer le projet et que chacun s’en empare en fonction des envies et des ressources locales, des priorités culturelles et sociales. L’idée était d’avoir un projet culturel qui nous rassemble, qui ait un lien avec le sport et ses valeurs. C’est la ligne éditoriale, généreuse et à la portée de tous, avec le partage, l’universalisme, l’amitié, le respect et l’inclusion avec les Jeux paralympiques. Certaines ressources locales invitent des artistes et des créateurs et d’autres déploient des programmes prestigieux comme par exemple à Marseille où trois musées (Mucem, Frac et Mac) ont travaillé ensemble pour la première fois autour d’une exposition sur le sport.

Quels étaient vos critères pour labelliser les projets ?

Il faut rappeler que le label vient des Jeux olympiques et du CIO et que dans l’Antiquité, il y avait, en même temps que le sport, l’art, la philosophie, c’était l’idéal grec de l’esprit et du corps. Quand Pierre de Coubertin les a rénovés, il a gardé la présence de l’art avec jusqu’en 1940 des compétitions artistiques en parallèle aux compétitions sportives et des médailles en poésie, sculpture, peinture, littérature et musique. L’Olympiade culturelle a été inventée en 1992 aux Jeux de Barcelone et depuis chaque pays hôte doit la concevoir. Nos critères étaient simples : créer des œuvres sans imposer aucune forme d’art, y compris l’artisanat et la gastronomie. Il fallait juste qu’elles aient un lien avec le sport, les valeurs olympiques et paralympiques. À partir de là, des directeurs artistiques ont rejoint des fédérations de sport, notre questionnaire pour valider les projets était rigoureux et exigeait notamment un volet éducation et inclusion, également 50 % de femmes aux directions artistiques, sans oublier qu’il fallait signer la charte de l’olympisme dont les trois piliers sont le sport, la culture et l’éducation.

La ville de Lyon s’est peu investie dans cette énergie populaire et artistique, de même qu’Auvergne-Rhône-Alpes qui est pourtant une région olympique. Pour quelles raisons ?

Je ne sais pas… Il y a quand même quelques événements. Saint-Étienne en particulier s’est investie avec, entre autres, une exposition sur les Jeux olympiques au musée d’Art et d’Industrie, Grenoble avec une exposition au palais des sports et les projets participatifs de la MC2 et du CCN, l’équipe de break à la Maison de la danse, la Fête du sport à la Scène nationale de Clermont-Ferrand, une expo au Centre national du costume et de la scène à Moulins avec Decouflé. La Métropole de Lyon et la DRAC ont mis en place “La fabrique à chansons spéciales JO” dans les écoles avec l’artiste Tom Nardone. Mais quand on voit tout cet élan ailleurs, comment les gens et les gamins s’en emparent… C’est comme ça ! Ils ne se sont pas emparés de la chose ! La région PACA a fait un travail extraordinaire autour des Jeux et il y a une incroyable énergie. À Marseille devant le Mucem, l’artiste Laurent Perbos a créé une installation, un espace de jeux inspiré de Mondrian et les gamins viennent naturellement jouer dedans ; Pierre Rigal a créé un jogging chorégraphique avec deux cents coureurs et coureuses et j’ai vu un jeune de 15 ans qui clamait : “Moi, je fais les Jeux olympiques !” À Paris, les cinq musées nationaux ont collaboré pour la première fois, à la Métropole du Grand Paris, treize lieux d’art ont travaillé ensemble avec treize directeurs artistiques, ils avaient envie de faire quelque chose et ne voulaient pas le faire seuls dans leur coin. Cela sert à ça l’Olympiade culturelle, à engager les gens dans un projet, qu’ils fassent partie de la fête !

Quels sont les points communs entre les artistes et les sportifs ?

J’ai mesuré à quel point les artistes ont de la considération pour les sportifs et j’ai eu un dialogue savoureux avec Denis Podalydès, un passionné de foot (et escrimeur) qui m’a dit qu’à la Comédie-Française tout le monde parle foot, même les filles. Le patron Éric Ruf me parlait d’analogies : le vestiaire, la loge, le dépassement de soi et la mise en jeu de tout son être dans l’art, le moment où tu aboutis, le record, la compétition pour le sportif et l’œuvre pour l’artiste mais aussi un arrêt de carrière tôt. Le sportif, comme l’acteur ou le créateur, doit réaliser plusieurs records, déployer une carrière. S’il gagne avec un entraînement et qu’il réutilise le même pour gagner quatre ans plus tard, il n’y arrivera pas. Donc à chaque fois, il réinvente pour rester au sommet. Tony Estanguet a eu trois médailles à douze ans d’écart, à chaque fois il est plus vieux, avec plus de pression, les sportifs gèrent pendant quatre ans les dix secondes où ils seront champions. C’est une préparation d’enfer, faite de détails et de précisions, reliée à celle des artistes. Là où s’arrête la comparaison c’est que les sportifs sont dans la performance et les artistes dans l’imaginaire et l’inventivité.

En définitive qu’est-ce que ça apporte à la culture d’être dans les Jeux ?

Faire partie de la fête, être intégrée à l’organisation du plus grand événement au monde, les célébrer tout en exprimant, à travers les œuvres présentées, des questions critiques sur une société qui par exemple met trop en avant la compétition, des questions philosophiques dans le rapport au monde, les représentations du corps, les déplacements de masse… Il est important aussi que l’histoire des Jeux ne soit pas idéalisée car ils ont été traversés par des événements sombres, le racisme et l’antisémitisme. À Paris, le musée de l’Histoire de l’immigration propose une exposition exhaustive sur les trente-trois olympiades d’Athènes en 1896 à Paris 2024. Elle nous fait découvrir 130 ans d’évolutions géopolitiques, politiques, sociales et culturelles depuis la création des Jeux olympiques modernes et fait dialoguer événements historiques, figures sportives témoins ou acteurs de ces temps forts et regards d’artistes. Il y a sur tout le territoire énormément d’expositions avec pour certaines des volets historiques associés à un volet d’éducation et qui sont actuellement vues par des milliers de jeunes. Au Panthéon, il y aura une exposition en hommage aux athlètes paralympiques, à leurs corps vulnérables. Il y aura un concert de l’Orchestre de chambre de Paris autour de Fauré et Beethoven qui étaient des champions de la musique, handicapés parce que sourds…

Quel est votre budget ?

Le budget de Paris 2024 pour les projets artistiques est de 12,5 millions, avec un apport supplémentaire du ministère de la Culture de 9 millions d’euros, majoritairement orienté vers les Drac et les territoires, en sachant que certaines villes intègrent leurs budgets propres.

L’Olympiade culturelle est une vitrine de l’art français ?

Oui ! C’est important de montrer au monde entier nos ressources et la vitalité de l’art français, l’incroyable réseau culturel qui existe ici. Comment cet art s’appuie aussi sur des influences extérieures, nourri par les voyages, les rencontres avec des artistes internationaux. Comment nos artistes sont nourris par cet universalisme qui est français et franchement, quand on a lancé l’Olympiade culturelle, on ne s’attendait pas à autant d’événements !


Jeux olympiques Paris 2024 du 26 juillet au 11 août et Jeux paralympiques du 28 août au 8 septembre

*Carte nationale des événements de l’Olympiade culturelle : olympiade-culturelle.paris2024.org

Interview réalisée fin avril 2024.

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