Ornant places et rues de la métropole, les œuvres publiques d’art contemporain égaient notre quotidien, en faisant parfois tellement partie de notre paysage qu’on ne les voit plus ! D’autres, plus méconnues, agrémentent parcs, jardins et bords de rivières, invitant à s’éloigner du centre-ville pour les contempler. Petit tour d’horizon d’œuvres choisies pour aiguiser nos sens, propices à de jolies promenades urbaines.
Le Poids de soi : l’humour décalé des Scandinaves Elmgreen et Dragset
Le duo d’artistes Michael Elmgreen et Ingar Dragset, respectivement danois et norvégien d’origine et travaillant à Berlin, explore, avec un humour souvent subversif, la relation entre l’art, l’architecture et le design.
Leur œuvre lyonnaise, Le Poids de soi (The Weight of Oneself) installée en 2013, en bord de Saône, en face du palais de Justice, semble de prime abord reprendre les codes classiques de la sculpture antique : haute de trois mètres, réalisée en marbre blanc, un homme nu, au corps d’athlète, paraît en sauver un autre.
À y regarder de plus près, ce corps pesant de tout son poids dans ses bras n’est autre que lui-même. Une invitation à réfléchir sur nos propres choix et responsabilités, aux conséquences parfois pas si légères, à deux pas du lieu où, chaque jour, sont rendues des décisions judiciaires.
Flower tree : fleurs éternelles en bord de Rhône
Composé de quatre-vingt-cinq fleurs géantes aux vives couleurs, ce bouquet à l’esthétique volontairement kitsch, de l’artiste sud-coréen Jeong Hwa Choi, a été exposé lors de la Biennale d’art contemporain de 2003, puis réinstallé de façon permanente en 2007, suite à son achat par la Ville.
Tirant son inspiration de la culture populaire et de la vie quotidienne, Jeong Hwa Choi réalise de monumentales sculptures extérieures. Ses fleurs artificielles, rendues éternelles, se veulent, ici, un symbole de “la fragilité et la mise en danger extrême des environnements par l’activité humaine” selon les mots de l’artiste.
Les bien curieux Habitants de la Cité internationale
Mettant en scène aussi bien des animaux que des humains, Les Habitants de l’artiste parisien Xavier Veilhan peuplent les espaces de la Cité internationale. Ces grandes sculptures, réalisées en résine de polyester, de différentes couleurs mais toutes monochromes mesurent entre trois et huit mètres de haut.
Installées en 2006, elles visent – via des formes simples mais percutantes – avant tout une identification immédiate, avec pour vocation première de servir de point de repère dans l’immense Cité internationale. Voulues comme des marqueurs par l’artiste, les six œuvres – Deux Pingouins, Grand Pingouin, Jeune fille en roller, Le livreur de pizza, Ours et Homme au téléphone – jouent aussi sur les différents rapports d’échelle.
Né en 1963, l’artiste aux réalisations protéiformes développe depuis la fin des années 1980 une œuvre entre classicisme formel et haute technologie. Il a représenté la France à la biennale de Venise en 2017, et nombre de ses sculptures se retrouvent dans l’espace public français et à l’étranger. Ses peintures font également une apparition, aux côtés de sept autres artistes, dans le fameux clip de 1986 Marcia Baïla, des Rita Mitsouko !
Depuis sa dernière rétrospective au musée d’Art contemporain (MAC) en 2007, la sculpture Truck – déformation souple d’un camion Mercedes – de l’artiste autrichien Erwin Wurm accueille les visiteurs à côté de l’entrée du musée.
Giuseppe Penone : le maître de l’Arte Povera au conservatoire
Pour goûter à la douceur estivale à l’écart du centre-ville, direction le conservatoire supérieur de musique, à Vaise ! Deux grandes œuvres de l’artiste italien, né en 1947 dans une famille d’agriculteurs du Piémont, se dévoilent au regard des visiteurs.
Aujourd’hui reconnu internationalement, Penone est un héritier et acteur majeur de l’Arte Povera, un courant artistique apparu à la fin des années 1960, prônant un art détaché de la société de consommation, notamment par la simplicité des matériaux utilisés. Il déploie ici dans le jardin une sculpture Souffle de feuilles, étrange création jouant sur l’ambiguïté entre le naturel et l’artificiel. Réalisée en bronze doré, la sculpture se patine au fur et à mesure du temps comme une écorce.
À l’intérieur, une immense peinture, intitulée Dessin de pierre, sorte de tourbillon de feuilles noires semblant former un paysage, orne le foyer des étudiants. Les deux œuvres communiquent entre intérieur et extérieur par le biais d’une bouche en bronze (celle de l’artiste) qui s’allonge en spirale et est reliée à l’extérieur par un tube de cuivre.
Le coquin fessier de la Fanny de la Croix-Rousse
Cette sculpture de l’artiste Geneviève Böhmer, lyonnaise d’adoption, a été installée en 1987 au Clos-Jouve, haut lieu de la boule lyonnaise. Choisie parmi une trentaine de projets, suite à un concours organisé par la municipalité de la Croix-Rousse, elle offre une Fanny à la dévotion des joueurs de boules croix-roussiens. Une sphère ajourée, faite d’entrelacs de mots où l’on peut lire “Fanny 20 ans, Fanny 100 ans, courage, amour, bonheur, colère, audace, pensée, mémoire” cache une rose de bronze dont le cœur s’épanouit en un bouquet de fesses. L’œuvre, dont les portes sphériques peuvent s’ouvrir avec une clé, permet aux perdants, dans la tradition bouliste, d’embrasser les fesses de la Fanny. Une coutume quelque peu misogyne, traitée sur le ton de la dérision par l’artiste qui précise : “Joufflue, gaillarde, consolatrice, audacieuse sans complexe, elle est aussi un hommage à toutes les femmes culottées de l’histoire dont les prénoms sont gravés sur les pétales.”
La Vénissieuse, une fontaine débordant de joie de vivre
C’est également à Geneviève Böhmer que l’on doit cette fontaine pleine de vie, installée place de la Paix, à Vénissieux. Juchée sur sa conque, cette Vénus sortie des eaux, clin d’œil à la peinture de Sandro Botticelli, a troqué un masque triste de madone, qu’elle tient à la main, contre un sourire radieux.
Cheveux au vent, dans le plus simple appareil, elle semble faire fi de toutes les conventions, si ce n’est celles de la joie et de l’hédonisme. Au dos, l’artiste a fait graver le prénom de Vénissianes ainsi que ces mots : “Gaudriolons, mes toutes belles de 20 à 100 ans. Vivons notre plaisir. Nous n’épuiserons jamais la dette de l’Histoire envers nous.”
L’artiste, décédée en 2016, dont les œuvres exaltent une extraordinaire joie de vivre, a également réalisé, place Guichard, face à la Bourse du Travail, à Lyon, Le Buisson ardent, facétieux méli-mélo de corps érotiques.
La Nuit américaine : rêver au pied d’un bouquet d’étoiles
À Vénissieux, place Grandclément, métro Parilly, une grande fontaine du sculpteur Victor Caniato invite au voyage. Trente et un mâts en acier, hauts de sept mètres, émergeant d’une petite île au milieu du bassin, forment un bouquet étoilé. Une touche poétique rehaussée d’un fin croissant évoquant un quartier de lune, ou une pirogue, prête à prendre les flots.
Le titre fait écho au film de François Truffaut, La Nuit américaine, de 1973, qui met en scène le tournage d’un film et questionne notre rapport au cinéma. La “nuit américaine” évoque également une technique de cinéma simulant la nuit mais tournée en plein jour grâce à des artifices d’éclairage.
En reprenant les codes du septième art et par l’évocation des astres et du monde nocturne, Victor Caniato nous invite, dans un espace urbain souvent dense, à rêver les yeux grands ouverts.
La fontaine des Géants, à Villeurbanne
Installée en 1985 en bordure du parc de l’Europe, dans le quartier du Tonkin, cette sculpture du couple Anne et Patrick Poirier, mêle le bronze et le marbre blanc dans un grand chaos.
Elle fait référence à l’épisode mythologique du combat des Titans contre l’Olympe, où les géants ont été tués par Zeus et Héraclès. Dans la légende, Héraclès se munit de flèches, empoisonnées par le sang de l’Hydre de Lerne. Deux grandes flèches semblent avoir ici réduit à néant un géant au visage morcelé, formant une pyramide de près de huit mètres de haut.
Féerie de perles colorées en bord de Saône
Le Belvédère de Jean-Michel Othoniel, sur l’ancienne écluse de Caluire-et-Cuire, semble tout droit sorti d’un conte de fées. Avec ses perles de Murano multicolores, formant un petit kiosque propice aux photographies romantiques, il offre également une vue privilégiée sur l’île Barbe voisine, où le plasticien a par ailleurs installé quelques lanternes. Cette commande du Grand Lyon, dans le cadre de l’aménagement des rives de Saône, a été inaugurée en 2013. On y retrouve bien l’univers enchanteur, caractéristique de nombre de ses œuvres, qui font souvent appel aux perles ou briques en verre. Né à Saint-Étienne en 1964, l’artiste s’est bâti une belle réputation en France et à l’étranger. Parmi ses œuvres phares figurent notamment Le Trésor de la cathédrale d’Angoulème, sur lequel Othoniel travailla pendant huit ans, son œuvre Alpha, installée dans le lagon qui fait face au musée dessiné par Jean Nouvel, à Doha, au Qatar, ou encore l’incontournable Kiosque des noctambules, qui décore depuis 2000 la bouche de métro Palais-Royal-Musée-du-Louvre, à Paris.
Château de Saint-Priest : croisée du modernisme et des arts Renaissance
Dans le décor soigné d’un jardin à la française, trônant magistralement au milieu d’une grande allée bordée d’ifs taillés, la sculpture de l’artiste britannique Lynn Chadwick interpelle. Ses angles aigus se découpent dans le paysage, avec pour toile de fond la superbe façade Renaissance du château. Corps aux volumes géométriques, têtes anonymes aux formes triangulaires et rectangulaires, l’œuvre immobile dégage, néanmoins, un fort sens de mouvement.
Relativement méconnu en France, Lynn Chadwick (1914-2003) est pourtant un artiste illustre au Royaume-Uni. Il représente la Grande-Bretagne à la Biennale de Venise en 1952 et est le lauréat du prix de sculpture de la même biennale en 1956, l’emportant sur Alberto Giacometti.
Ses œuvres publiques, installées dans le monde entier, font également partie des collections des plus prestigieux musées comme la Tate à Londres, le Moma à New York ou le Centre Pompidou à Paris. Son travail est associé à la génération d’artistes baptisée Geometry of Fear dont le travail semble répondre aux angoisses et incertitudes de l’après Deuxième Guerre mondiale.
Pilote pendant le conflit, il travaille après-guerre d’abord comme designer avant de se consacrer à la sculpture. Sa réalisation dans le parc du château de Saint-Priest, baptisée Couple en marche, à la fois forte et poétique, trouve, encore aujourd’hui, une puissante résonance. La silhouette du couple renvoie l’image d’une humanité désincarnée et robotisée et pourtant empreinte de tendresse.
Saint-Genis-Laval : un saisissant bronze romain revisité
Cette œuvre du sculpteur Livio Benedetti (1946-2013) est une copie agrandie et évidée d’un bronze romain, Tête d’athlète vainqueur, conservée au Louvre, datant du Ve siècle avant J.-C.
Elle se veut aussi un clin d’œil au comédien romain, Saint-Genis ou Genest, décapité pour sa foi chrétienne, et de qui la ville tient son nom. Installée en 1982 dans le parc de Beauregard, à Saint-Genis-Laval, cette œuvre contemporaine est le prétexte parfait pour déambuler sur cette ancienne propriété du banquier Gadagne qui y avait sa résidence d’été et dont les jardins érigés en terrasses conservent de nombreux vestiges (bassin, escaliers, etc.).
Fils de maçon, émigré italien, Livio Benedetti suit la voie de son père tout en s’initiant à la sculpture dès la fin des années 1960. Savoyard de cœur, il installe son atelier à Chambéry en 1975 puis à Apremont sur les pentes du mont Granier dans une ferme entièrement reconstruite de ses mains.
Proche de Hugo Pratt, il a d’ailleurs réalisé deux statues de son héros Corto Maltese, installées à Lavaux, en Suisse, et Angoulême. Sa notoriété grandit dans les années 1990, et il bénéficie de plusieurs commandes publiques, notamment en Rhône-Alpes.
Retrouvez aussi, aux Subs, Crescendo, installation aérienne monumentale du plasticien et circassien suisse Julian Vogel du 2 mai au 6 octobre.
Flower tree, proche de la place A. Poncet a été victime de son succès, et un certain nombre de fleur en a été arraché !