Les livres de la rentrée littéraire régionale

La sélection de Lyon Capitale


Plongez dans Ceux du lac !

Pleine Terre (sorti en 2021), le précédent roman de Corinne Royer, était inspiré d’une histoire tragique mais bien réelle. De nombreuses histoires, pourrait-on, hélas, écrire. Celle de ces paysans français ruinés, désormais incapables de vivre de leur terre, accablés par une administration tatillonne et des lois iniques. Qui finissent par se pendre à la poutre de leur grange.
C’est un récit tout aussi tendu, s’inscrivant dans un contexte hostile, qui nous est donné à lire dans Ceux du lac, le dernier opus de Corinne Royer.

Ce n’est pas une cabane au Canada qu’habitent les Serban, la famille qu’elle dépeint. Mais une cabane au bord du lac. Un endroit, situé à quelques kilomètres du centre-ville de Bucarest, où la nature a littéralement repris ses droits, où elle n’est en rien domestiquée par la main de l’homme. Ce dont s’accommodent parfaitement la fratrie de six enfants et le vieux chien Moroï, obéissant de moins en moins au patriarche solitaire qui s’est occupé, tant bien que mal, de leur éducation.

Le plus costaud, Sasho, sa délicate sœur, Naya (dont on découvrira qu’elle a un pied gauche magique, capable de faire d’elle une footballeuse d’exception) et les quatre autres frères, mènent une vie en marge, sauvage mais heureuse. Intense en tout cas. Ils traquent les poissons dans une rivière aux courants traîtres, chassent, pêchent mais ne respectent aucune tradition, à part celles héritées de leur origine tzigane. Et encore…

À la rude poésie de leur environnement s’ajoute celle puisée dans les livres de leur tante Martha, qui ressemble à une sorcière. Tout bascule lorsque les autorités roumaines les somment de quitter leur territoire. Entre résistance et soumission, histoires d’amour et de filiation incertaine, montées de violence et accès de tendresse, il leur faut continuer le dur métier de vivre. Ou mourir.

C. M.

Ceux du lac–Corinne Royer, éditions du Seuil, 288 p., 20 €.


On n’est pas sérieux quand on a 17 ans…

Un Adolescent d’autrefois, le roman de François Mauriac sorti en 1969, racontait la vie d’un tout jeune homme au début du siècle dernier, qui lui ressemblait beaucoup. Avec finesse et acuité psychologique. La démarche de Robin Josserand, dans son deuxième roman, Un Adolescent amoureux, n’est guère différente. N’était qu’elle se déroule dans un temps pas si lointain, il y a quelques années, en 2010.

L’adolescent qu’il décrit s’appelle Robin, tout comme lui donc. Il a dix-sept ans, il est en terminale et s’efforce de ne pas être raisonnable, sans doute par fidélité à l’antienne rimbaldienne : “On n’est pas sérieux quand on a 17 ans.” Comme souvent à cet âge, sa volonté de ne pas suivre les règles, de ne surtout pas être un “fayot”, est un peu affectée. Elle ne lui est pas naturelle : il est plutôt travailleur et bon élève, surveillé de surcroît par des parents pas du tout permissifs.

Il va s’affranchir de leur tutelle par amour pour un autre jeune homme (qu’il surnomme “Arture”). Un jeune “populaire” qui dort en cours après avoir fumé des joints, se fout de tout mais a une allure terrible, qui séduit Robin au-delà de toute mesure. Il veut à la fois le posséder et l’imiter. Être lui et lui être entièrement soumis.

Suivant ce “mauvais” exemple, il se met lui aussi, en se forçant, à fumer, à boire, à se droguer. Et surtout à explorer des pratiques sexuelles parfois extrêmes, comme se branler avec une frénésie inquiétante et s’enfoncer dans l’anus des objets volumineux. Quand il ne fréquente pas les parkings où s’exerce la prostitution masculine.

En dépit, ou à cause, de la crudité du propos, le style de Robin Josserand, d’une élégance et d’une sensibilité rares, fait encore mouche. Il confirme avec brio les promesses contenues dans son premier roman, sorti il y a tout juste un an, Prélude à son absence. Qui était déjà une histoire d’amour contrariée.

C. M.

Un Adolescent amoureux–Robin Josserand, éditions Mercure de France, 152 p., 17 €.


Son père, ce héros

On connaît en premier lieu Clémentine Mélois pour ses détournements de couvertures et de titres de célèbres romans du patrimoine littéraire mondial (Délavage de René Bar Javel, Maudit Bic de Melville, Père et Gay de Tolstoï, Les Trois Mousses queutards d’Alexandre Du Mât, dans le recueil Cent Titres (Grasset)), travail littéraire tout autant que plastique, ou inversement, aboutissement d’une bibliomanie précoce.

Membre de l’Oulipo depuis 2017, son travail d’écrivaine est à l’avenant dans le très pérecien (joueur comme Georges, vif comme Marie-José) Sinon j’oublie (Grasset) et le “méta” Dehors, la tempête (Grasset).

Et si l’on se demandait d’où lui vient cette tonne de fantaisie qui jalonne son œuvre, son dernier livre, Alors c’est bien, apporte une réponse tout en en livrant une dose supplémentaire : de son père, Bernard Mélois, sculpteur pour le moins fantasque et papa pas moins original.

“Il faut que je raconte cette histoire tant qu’il me reste de la peinture bleue sur les mains. Elle finira par disparaître, et j’ai peur que les souvenirs s’en aillent avec elle, comme un rêve qui s’échappe au réveil et qu’on ne peut retenir. Avec ce bleu, j’ai peint le cercueil de Papa”, ouvre-t-elle.

Ce papa, alors tout juste décédé, il s’agit de lui concocter des funérailles de “pharaon”. Un pharaon pour lequel ce livre est un touchant mausolée à quatre étages renfermant une vie et une mort d’artiste entremêlées : un récit chronologique des dernières semaines de la vie de Bernard Mélois, le récit, non chronologique, de sa vie, des souvenirs, souvent hauts en couleur, de Clémentine avec ce père et entre les chapitres, la voix du défunt, des phrases qu’il a prononcées ou écrites dans son journal.

En accord avec la personnalité du regretté papa sculpteur et avec celle de l’autrice, sa fille, beaucoup de choses douloureuses y sont dépeintes avec légèreté et les moments les plus légers semblent s’ancrer dans l’éternité avec une indispensable gravité. C’est ce joli pas de deux entre la fantaisie et la gravité qui fait de cet ouvrage un si bel hommage et un livre si délicieux.

C. M.

Alors c’est bien– Clémentine Mélois, éditions Gallimard, 208 p. 19,50 €.

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