"Amplification de la dimension progressiste" ou "plus grand protectionnisme" ? Professeur d'histoire politique des Etats-Unis à Sciences-Po Lyon, Vincent Michelot, revient sur les enjeux de l'élection présidentielle américaine opposant Kamala Harris à Donald Trump.
Qui de Kamala Harris ou de Donald Trump sera le 47e président des Etats-Unis ? A quelques jours du scrutin, les deux candidats sont au coude-à-coude.
Selon Associated Press, au moins cinquante millions d'Américains (sur plus de 240) ont déjà voté pour la présidentielle, alors que le scrutin n'est que mardi 5 novembre. C'est deux fois moins qu'en 2020 (vote en plein Covid) mais déjà autant que le total de 2016 (cinquante-huit millions).
"C'est un choix démocratique d'abord, c'est un choix institutionnel ensuite. C'est un choix partisan et c'est véritablement un choix de société. Et ce qui est étonnant inédit, c'est qu'à quelques jours du scrutin, on n'a absolument aucune idée de qui sera le gagnant. Jamais on a eu des sondages aussi proches pour les deux candidats. Et même s'il n'est pas impossible que dans les tous derniers jours, voire les toutes dernières heures, les indécis penchent dans un sens ou dans un autre, majoritairement, on s'oriente sans doute vers une élection qui sera très très longue à dépouiller."
D'un coté, Kamala Harris, 60 ans, actuelle vice-présidente des États-Unis et candidate démocrate à la présidence. Fille d’immigrés jamaïcains et indiens, elle a gravi les échelons du système judiciaire californien (adjointe au procureur du comté d’Alameda, procureure de San Francisco, procureure générale de Californie), avant de devenir sénatrice, puis vice-présidente des Etats-Unis, première femme à ce poste. Elle a remplacé au pied levé Joe Biden, actuel président des Etats-Unis, aux prises avec la sénilité.
De l'autre, Donald Trump, 78 ans, ancien président républicain (2017-2021) qui tente un retour à la Maison Blanche, après sa défaite en 2020. Homme d’affaires devenu politique, il a marqué son mandat par une politique hors norme, avec pour axe principal la lutte contre l'immigration, un slogan - "America First" - et une hégémonie décomplexée. En dépit de nombreux déboires judiciaires, Donald Trump conserve une base électorale solide.
Une note de l'Institut de relations internationales et stratégiques, évoque un "affrontement politique entre ceux qui, d'un côté, aspirent à voir les Etats-Unis évoluer vers un modèle social, démocrate, plus pluraliste, et de l'autre côté, ceux qui défendaient une vision du pays en tant que bastion d'une culture blanche, chrétienne et d'un populisme libertaire".
"C'est le système électoral qui veut qu'on ait aussi peu de choix"
Vincent Michelot partage cette analyse, néanmoins "un petit peu caricaturale et un peu simpliste". "Tout simplement parce que c'est le système électoral qui veut qu'on ait aussi peu de choix et que, nécessairement, les deux projets de société soient simplifiés. Si Kamala Harris devenait la prochaine présidente des Etats-Unis, on aurait, grosso modo, une continuation, peut-être une petite amplification de la dimension progressiste de l'actuelle administration Biden. Et si Trump, effectivement, devait être réélu, par rapport à 2020, on entrerait dans un retrait progressif des Etats-Unis de la scène mondiale et un beaucoup plus grand protectionnisme, appuyé, à l'intérieur, effectivement, sur une coalition par des électeurs, blanche et très conservatrice sur les questions sociales."
Soirée exceptionnelle spéciale élection présidentielle américaine, mardi 5 novembre
Quand la première puissance économique mondiale vote, le reste du globe retient son souffle.
A l'occasion de l'élection du 47e président des Etats-Unis, Lyon Capitale se mobilise et organise une soirée spéciale mardi 5 novembre, pour patienter jusqu'aux résultats, attendus mercredi matin 6 novembre, et tout comprendre des enjeux de l'élection présidentielle US aussi bien pour les Américains que pour le reste de la planète, avec des répercussions possibles en l'Ukraine, au Proche et Moyen-Orient, Taïwan ou encore en Chine.
La soirée, uniquement sur invitation, est déjà complète.
La retranscription intégrale de l'entretien avec Vincent Michelot
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd'hui Vincent Michelot. Bonjour.
Bonjour.
Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes professeur d'histoire politique des Etats-Unis à Sciences-Po Lyon. Plus de 240 millions d'Américains sont appelés aux urnes jusqu'au mardi 5 novembre pour choisir leur 47e président. C'est une campagne assez inédite à bien des égards, entre affaires judiciaires, tentatives d'assassinat, retrait d'un candidat à quelques mois du scrutin. Que faut-il, Vincent Michelot, attendre de ce choix qui est, j'allais dire, presque caricatural, entre d'un côté un homme blanc de 78 ans qui a un peu tendance macho et de l'autre côté une femme noire de 60 ans qui a été ancienne procureure et qui est féministe ?
C'est un choix démocratique d'abord, c'est un choix institutionnel ensuite, c'est un choix partisan et c'est véritablement un choix de société. Et ce qui est étonnant, inédit, c'est qu'à quelques jours du scrutin, on n'a absolument aucune idée de qui sera le gagnant. Jamais on a eu des sondages aussi proches pour les deux candidats. Et même s'il n'est pas impossible que dans les tout derniers jours, voire les toutes dernières heures, les indécis penchent dans un sens ou dans un autre, majoritairement, on s'oriente sans doute vers une élection qui sera très très longue à dépouiller.
J'ai lu en préparant cet entretien une analyse de l'Iris, l'Institut de relations internationales et stratégiques, vous allez me dire si vous partagez cette analyse, il parlait d'un "affrontement politique entre ceux qui, d'un côté, aspirent à voir les Etats-Unis évoluer vers un modèle social, démocrate, plus pluraliste, et de l'autre côté, ceux qui défendaient une vision du pays en tant que bastion d'une culture blanche, chrétienne et d'un populisme libertaire". Vous partagez cette analyse ou pas ?
Oui, mais elle est un petit peu caricaturale et un peu simpliste, tout simplement parce que c'est le système électoral qui veut qu'on ait aussi peu de choix et que, nécessairement, les deux projets de société soient simplifiés. Si Kamala Harris devenait la prochaine présidente des Etats-Unis, on aurait, grosso modo, une continuation, peut-être une petite amplification de la dimension progressiste de l'actuelle administration Biden. Et si Trump, effectivement, devait être réélu, par rapport à 2020, on entrerait dans un retrait progressif des Etats-Unis de la scène mondiale et un beaucoup plus grand protectionnisme, appuyé, à l'intérieur, effectivement, sur une coalition par des électeurs, blanche et très conservatrice sur les questions sociales.
Vous parliez, vous avez parlé, vous avez évoqué le protectionnisme. Avec Biden, on l'a déjà vu, il y a eu un durcissement des politiques protectionnistes américaines. Il y a eu la réaffirmation d'un courant isolationniste qui traverse d'ailleurs les deux grands partis. Finalement, quel que soit le scénario, jusqu'où tout ça peut s'accentuer ?
De toute façon, sur le protectionnisme, vous avez raison, il y a une forme de consensus. Mais dans sa gradation ou dans sa dimension, le protectionnisme que propose Donald Trump n'a absolument rien à voir avec le protectionnisme que défend Kamala Harris, et notamment en matière de protection de l'environnement, notamment en matière de tarifs douaniers. Donald Trump fait reposer toute une partie de sa campagne sur le fait qu'on va payer des allègements d'impôts et des services sociaux aux Etats-Unis par le biais des tarifs. Ce qui n'est absolument pas le cas de Kamala Harris, qui elle reste dans une lignée très traditionnelle qui est celle de l'administration Biden actuellement.
C'est vrai que quand la première puissance économique mondiale vote, le reste du globe retient un peu son souffle. pour l'Europe, on va parler un peu de diplomatie géopolitique. Pour l'Europe, ça serait quoi le meilleur scénario ? Kamala Harris ou Donald Trump ?
Vous avez, d'un côté, les gens qui disent qu'une élection de Donald Trump forcerait, en quelque sorte, l'Europe à se réarmer, à se ré-idéologiser, à s'unir pour présenter un front uni, à avoir une politique commune, notamment sur l'Ukraine, avec beaucoup plus de force. Mais ça, c'est ceux qui défendent l'idée d'une Europe qui se construirait dans une opposition aux Etats-Unis ou dans un manque de complémentarité vis-à-vis des Etats-Unis. Pour l'Europe, clairement, une présidence Harris serait une présidence sur laquelle on pourrait peser par des négociations et, aussi, simplement par une communauté de valeurs et de valeurs démocratiques en particulier.