Pascal Le Merrer est professeur d'économie à l'Ecole normale supérieure de Lyon et directeur général-fondateur des Journées de l'économie.
C'est un incroyable come-back. Et une victoire sans appel. Dans la nuit du mardi 5 novembre 2024, Donald Trump a remporté la 47e élection présidentielle américaine face à la vice-présidente en poste, Kamala Harris, obtenant les 270 grands électeurs nécessaires à la majorité absolue pour accéder à la Maison Blanche.
Bien que sa victoire ne soit pas encore officielle (une fois les bulletins dépouillés, les voix doivent encore être certifiées par les autorités fédérales), plusieurs chefs d'Etat de la planète ont félicité celui qui avait été au pouvoir de la plus grand puissance mondiale entre 2017 et 2021, puis un temps jugé "mort" politiquement.
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L'élection américaine au coeur des Journées de l'économie de Lyon
L'élection américaine, dont le 20 janvier marquera l'ultime étape, avec la cérémonie d'investiture au Capitole, sera au coeur des Journées de l'économie, organisées à Lyon, avec deux conférences, gratuites.
La première interrogera sur "Le dollar, un roi menacé ?". Depuis la guerre en Ukraine et les sanctions financières contre la Russie, les BRICS ont multiplié les initiatives visant à s’émanciper du dollar. Pour certains, ces velléités vont au-delà de la simple volonté de se protéger d’un potentiel pouvoir coercitif que les Etats-Unis peuvent activer à tout moment : il s’agit de mettre fin à l’hégémonie internationale du dollar qui prévaut depuis plusieurs décennies ; et de bâtir un ordre monétaire et financier alternatif plus équilibré.
La seconde table ronde questionnera sur "L'Europe peut-elle à nouveau rattraper les Etats-Unis ?", avec ses handicaps que sont le vieillissement démographique, les faiblesses des gains de productivité, l'insuffisance de l'investissement en nouvelles technologies ou des dépenses de R&D, ou encore contraintes budgétaires qui limitent le soutien de l'Etat aux entreprises.
"La Chine et les Etats-Unis sont en train de devenir les leaders des nouvelles technologies et l'Europe est en train de se faire distancer."
Pour Pascal Le Merrer, professeur d'économie à l'Ecole normale supérieure de Lyon et directeur général-fondateur des Journées de l'économie, l'Europe doit avoir "une ambition réelle". "Je ne pense pas que l'Europe puisse compter beaucoup sur les États-Unis. Il y a une tendance protectionniste qui va exister. Ce qui est clair aujourd'hui, c'est que les Européens aient une ambition réelle. Les deux rapports qui sont récemment parus, l'un rédigé par Enrico Letta (ancien président du Conseil italien, NdlR : ) et un autre par Mario Draghi (ex-président de la Banque centrale européenne, NdlR) disent qu'il faut faire plus qu'un grand marché unique, et qu'il faut absolument qu'on soit présent dans les nouvelles technologies. On n'arrête pas de nous parler de l'intelligence artificielle : ce qui est très inquiétant, c'est qu'on a deux grandes puissances, la Chine et les Etats-Unis, qui sont en train de devenir les leaders de ces nouvelles technologies et l'Europe est en train de se faire distancer. On fait moins de gains de productivité que ces économies, on est en train de s'appauvrir, et à la fin, on va être dépendant de ces technologies. Ce sont des pays qui utilisent ces technologies au niveau militaire. Ce serait quand même terrible, après le projet de Jean Monnet de faire de l'Europe un ensemble de pays qui privilégient la paix, d'être dans cette situation d'affaiblissement."
La retranscription intégrale de l'entretien avec Pascal Le Merrer
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous recevons aujourd'hui Pascal Le Merrer, bonjour.
Bonjour.
Pascal Le Merrer, vous êtes professeur en section économie à l'Ecole normale supérieure de Lyon et vous êtes fondateur et directeur des Journées de l'économie. Les Journées de l'économie, cette année, se tiendront les 5, 6 et 7 novembre. Trois jours dans plusieurs endroits de Lyon. Les Journées de l'économie ont une vocation pédagogique, de rapprocher le grand public de l'économie pour mieux comprendre l'économie dans sa vie quotidienne et puis pour aussi, plus macroéconomique, pour comprendre les grandes mutations économiques et sociales du monde. Il y a à peu près 70 conférences, 250 intervenants et tout est gratuit. Cette année, le thème c'est "Réparer, imaginer rassembler". Alors c'est vrai que d'emblée, à première vue, on dit trois mots qui semblent dissonants un peu avec la notion d'économie. En quoi l'économie justement peut réparer, imaginer, rassembler ?
Je pense que l'économie, fondamentalement, a un rôle d'essayer d'améliorer le bien être des populations, de trouver, en fait, des solutions. Donc, le premier problème auquel on est confronté, c'est qu'il y a des choses à réparer. Aujourd'hui, on le voit en termes environnemental, on comprend très vite qu'il faut réparer mais quand on parle des services publics, là aussi, quand on parle de la défiance des Français envers les politiques par exemple. Il y a à la fois des choses matérielles et puis des choses qui sont plus symboliques qui devraient être réparées de manière, ensuite, à pouvoir faire autrement et le faire autrement ça veut dire arriver à imaginer. On avait terminé d'ailleurs les Journées de l'économie l'an dernier sur cette question sur comment on peut réinventer aujourd'hui une manière de vivre ensemble. Et je pense que ce vivre ensemble est extrêmement important. Il y a des indicateurs de bien-être qui nous montrent qu'après les Jeux Olympiques, les gens ont trouvé qu'on vivait mieux parce qu'on était plus proches les uns des autres. Et ce besoin d'être plus proches les uns des autres est présent aussi en économie. Je pense que c'est un des points qui est important si on veut arriver à ce qu'on soit dans une économie différente où on trouve des solutions donc à nos problèmes. Et donc rassembler, c'est le dernier terme justement, c'est que très souvent on est dans des situations d'isolement. Par exemple, les entreprises ont un management souvent qui est vertical et on voit bien qu'un véritable enjeu en France c'est de passer à un management un peu plus horizontal, où les individus prennent des initiatives donnent du sens à leur travail et finalement arrivent à s'impliquer. Je pense que l'entrée des nouvelles générations dans la vie économique dépend de ces questions si on arrive à réparer imaginer et rassembler pour leur donner un avenir.
Et cela implique, pour imaginer des alternatives, pour imaginer autre chose, qu'il faut arriver à s'extraire des cadres de pensée traditionnels qui sont les nôtres. Comment fait-on, justement, pour sortir de ces schémas de ces logiciels qu'on a depuis très longtemps ?
Alors on peut dire, modestement, que les Journées de l'économie peuvent aider à partir du moment où on confronte les travaux des chercheurs qui imaginent des scénarios, à partir d'un certain nombre de données en disant : "voilà ce qui marche et voilà ce qui ne marche pas". Deuxièmement, je pense qu'il faut confronter le local et le global. Très souvent, on peut avoir entre deux communes, deux régions, deux pays des expériences et si on mutualisait un peu, on s'apercevrait qu'il y a quand même des voies qui fonctionnent mieux que d'autres. Et donc, on peut changer la vie quotidienne des gens en s'inspirant d'un certain nombre d'expériences. Et si on les mixe, avec la capacité des entreprises à avoir des stratégies innovantes car aujourd'hui on a des entreprises par exemple qui ont un plan climat assez avancé, qui investissent, alors que l'État avance recule de manière un peu hésitante, une entreprise elle est obligée si elle a un plan d'investissement de le faire sur dix ou vingt ans. Donc on a à la fois des citoyens des entreprises qui sont prêts à changer on a des chercheurs qui proposent finalement des réflexions qui peuvent être utiles. On peut comparer avec ce qui se passe dans une autre région, ou dans un autre pays, on le fera puisqu'on a la maire de Manchester qui vient au Jeco, exemple typique. Avec Lyon, ce sont deux villes de la première révolution industrielle. Ces deux villes qui cherchent à se réinventer. Peut-être qu'on peut arriver comme ça à avoir des mutualisations d'expériences qui nous permettront aussi, au niveau des citoyens, d'améliorer leur vie quotidienne.
Parlons de l'élection présidentielle américaine : l'économie reste l'une des préoccupations des Américains, mais finalement aussi des Français. Quel que soit le scénario, que ce soit Kamala Harris ou Donald Trump qui passe, ça change quoi pour l'Europe ?
Je ne pense pas que l'Europe puisse compter beaucoup sur les États-Unis. Il y a une tendance protectionniste qui va exister. Par contre, je pense que là où ça peut changer, c'est pour l'Ukraine, en particulier où certainement que là le soutien des États-Unis à l'Ukraine, peut être assez différent selon les résultats de l'élection. Mais par contre, pour les Européens, ce qui est clair aujourd'hui c'est qu'il faut qu'ils aient une ambition réelle. Il y a deux rapports qui sont parus récemment un rapport rédigé par Enrico Letta (ancien président du Conseil italien) et un autre par Mario Draghi (NdlR : ancien président du Conseil des ministres d'Italie) qui dit il faut faire plus qu'un grand marché unique, et il faut absolument qu'on soit présent dans les nouvelles technologies. On n'arrête pas de nous parler de l'intelligence artificielle, on y reviendra pendant les Journées de l'économie, mais quand même, ce qui est très inquiétant c'est qu'on a deux grandes puissances qui sont en train de devenir les leaders de ces nouvelles technologies, la Chine et les États-Unis. Et l'Europe est en train de se faire distancer. On fait moins de gains de productivité que ces économies, on est en train de s'appauvrir relativement, et à la fin, on va être dépendant réellement de ces technologies. C'est quand même des pays qui utilisent immédiatement ces technologies au niveau militaire. Donc on est dans une situation où ça serait quand même terrible, après le projet de Jean Monnet qui est quand même une jolie construction avec l'idée que l'Europe est finalement un ensemble de pays qui vont privilégier la paix, et on serait dans cette situation d'affaiblissement à la fin.