Kathie Werquin-Wattebled est directrice régionale de la Banque de France en Auvergne-Rhône-Alpes. Après deux années de disette sur le plan monétaire, l’économiste annonce une reprise pour les investisseurs malgré les hauts et les bas des dernières séquences politiques.
Lyon Capitale : Dans sa déclaration de politique générale à l’Assemblée, Michel Barnier a annoncé son intention de ramener le déficit public à 3 % du PIB à l’horizon 2029, après un dérapage attendu à 6,1 % cette année. Pour y parvenir, le gouvernement compte trouver 60 milliards d’euros dès l’année prochaine. Environ deux tiers de cet effort budgétaire, soit 40 milliards, proviendront d’une réduction des dépenses publiques. Cela vous paraît réaliste ?
Kathie Werquin-Wattebled : Pour commencer je rappelle toujours que nous sommes totalement indépendants de l’État. Nous, on gère la politique monétaire. L’État gère la politique budgétaire, qui repose sur des choix de société. Après ce n’est pas parce que nous sommes très indépendants que nous ne devons pas faire attention à l’articulation de ces deux politiques. Il ne faudrait pas neutraliser la politique de l’État et inversement. Nous devons discuter ensemble. C’est important. C’est pour cela que le gouverneur de la Banque de France prend régulièrement la parole dans la presse. Sa parole s’appuie sur des faits objectifs, dont les projections de croissance que nous publions chaque mois. Ses prises de parole n’ont pas vocation à dire ce que doit faire le gouvernement, mais elles peuvent servir à alerter. Par exemple, nos modèles montrent clairement que réduire les dépenses de l’État, donc du déficit public, trop rapidement pourrait faire basculer des millions de gens dans la pauvreté. Dernièrement, on en a eu un bon aperçu avec l’Argentine et son nouveau gouvernement, où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Comment s’incarne cette indépendance de la Banque de France vis-à-vis du pouvoir politique ?
Avant le Covid, nous avions des taux directeurs très bas. Quand je faisais des interventions, on me disait que nous étions à la botte du gouvernement pour l’aider à se financer. On a eu ensuite un grand moment de solitude en 2022-2023 quand on a remonté les taux de 50 à 400 points de base. Je pense que l’on a bien montré que notre objectif fondamental, c’était une inflation à 2 %. Nous avons seulement fait notre travail. On savait bien que ça allait avoir un impact sur la croissance et sur l’endettement de l’État. Pour comprendre : en 2020, la charge de la dette était de 29 milliards. C’était un moment magique parce que plus l’État s’endettait, moins ça lui coûtait cher grâce aux taux négatifs. En 2024, on est déjà sur 58 milliards de coût de la dette. Le problème c’est que selon nos projections actuelles, on est sur 80 milliards de charge de la dette pour 2027. Concrètement, cela veut dire que le 1er janvier, quand l’État démarre son année, il n’a pas encore payé un professeur, ni un médecin, ni aucun fonctionnaire, ni investi nulle part, ni rénové un hôpital, ni construit une école, mais déjà il doit collecter des impôts pour rembourser 80 milliards.
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Cela fait quand même des années que les économistes, les agences publiques alertent sur la crise de la dette. La Banque de France aussi. Aujourd’hui, est-ce que vous avez l’impression que la France sort du déni et se rend compte qu’elle vivait au-dessus de ses moyens ?
Oui je le crois. Je crois qu’aujourd’hui les Français sont tous au courant que l’on ne pourra pas poursuivre comme avant. Tout le monde a entendu parler du poids de la dette, toutes générations confondues. Je pense que c’est positif. C’est important car pour implémenter une politique il faut qu’il y ait une majorité de personnes qui soient en adéquation avec elle. Je pense qu’il y a eu un électrochoc ces derniers mois. D’ailleurs, il est assez impressionnant de voir la modération des représentants des entreprises et des syndicats patronaux sur le débat entre hausse des impôts et réduction des dépenses. On voit bien qu’il n’y a personne qui s’y oppose frontalement. L’étape d’après devrait être que chaque acteur – État, collectivité, ministères, entreprises… – gère ses propres contradictions, notamment sur les réductions de dépenses. Tout le monde est d’accord sur le principe mais d’abord pour les autres. Ce peut être sur la prise en charge du taux de chômage ou sur les remboursements de la santé… La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût. Je pense que chaque acteur économique devrait se demander s’il vit au-dessus de ses moyens, ainsi que son degré d’acceptabilité de réduction de budgets.
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On parle de charge de la dette insupportable. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
Soyons clair. Il est extrêmement improbable que la “signature France” ne trouve plus d’investisseurs pour financer sa dette. J’espère ne jamais voir cela de mon vivant. Pour l’heure, il n’est pas imaginable que des investisseurs se disent qu’il est trop risqué de financer la France. Concrètement, ce n’est pas aujourd’hui que la France fera défaut sur le remboursement de sa dette. On a quand même cette chance d’être dans la zone euro, ce qui nous protège. J’aimerais bien savoir comment la France se financerait si l’on était encore au franc. Non, quand on dit que la dette est insupportable, c’est lorsque l’économie pédale. Lorsque les entreprises travaillent, paient de la TVA, paient de l’impôt sur les sociétés et que cela sert d’abord à payer la dette publique au lieu d’autre chose. C’est donc ce qui est en train de se passer.
Si je vous suis, au fond, la France est trop grosse pour tomber ?
Oui, on peut le voir comme cela. Quand un investisseur étranger achète notre dette, il sait très bien que l’Union européenne impose des contraintes. Concrètement, la France va devoir ramener son déficit public à 3 % en 2030. Ce système agit donc comme une sécurité par rapport à un pays qui peut faire ce qu’il veut en matière de budget. Ce n’est pas notre cas. Ensuite, nous sommes quand même un pays qui a une réputation, une histoire et un poids dans le monde. La France n’a jamais fait défaut. Surtout qu’il est aujourd’hui plus intéressant de financer notre dette que celle de l’Allemagne. Les investisseurs se rémunèrent plus cher chez nous. Il y a donc beaucoup de raisons de prêter à la France. Il n’y a pas de risque de défaut final.
Mais alors la charge de la dette est-elle véritablement un problème si l’on est toujours en capacité d’emprunter ? Le Japon, où la dette repose sur le financement national, tient bien depuis plusieurs décennies avec une dette à 266 % de son PIB.
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