Gwenaël Morin est bien connu du public lyonnais. Il a dirigé le théâtre du Point-du-Jour de 2013 à 2018. Ses mises en scène de grands classiques du répertoire (Lorenzaccio, Tartuffe, Antigone, Woyzeck) ont laissé dans notre mémoire d’inoubliables souvenirs. Il revient à Lyon, aux Célestins, afin de présenter sa dernière création, Le Songe de Shakespeare. Entretien.
Lyon Capitale : Pour quelles raisons avez-vous choisi Le Songe de Shakespeare ?
Gwenaël Morin : J’avais déjà monté beaucoup de tragédies, j’avais envie d’une comédie. C’est aussi par rapport à une invitation que m’avait lancée le Festival d’Avignon [où la pièce a été jouée l’été 2023, NdlR]. Et d’une façon plus spécifique, ça correspondait à des interrogations personnelles. Je venais d’avoir 50 ans, je me posais des questions par rapport à mes débuts au théâtre, de quelle manière j’avais commencé, avec une si grande envie, je me demandais si c’était encore valable aujourd’hui. Le Songe m’a paru une excellente pièce pour me confronter à ce questionnement. On retrouve dans la pièce une réflexion sur la sauvagerie du désir, que l’on peut rapprocher de notre sauvagerie à dépecer la planète. Il y a une espèce de trinité entre les forces humaines, les forces naturelles et les forces spirituelles qui m’a intéressé.
Vous avez monté beaucoup de classiques…
Je pense que l’acte créateur, pour ce qui me concerne, a lieu dans la relation avec les acteurs, sur le plateau. Ce que j’aime dans le fait de monter des classiques, c’est que c’est indiscutable. Ce sont un peu des lieux communs, des endroits publics où l’on peut tous aller mais où c’est à chacun de trouver son propre chemin, de faire sa propre balade. C’est à moi de trouver mon parcours singulier dans cet espace. Et puis quand je décide de monter Le Songe avec quatre acteurs, évidemment que je ne peux pas en donner une lecture conventionnelle. J’ai un rapport de confrontation plus que de représentation avec le texte.
Vous avez une façon qui vous est particulière de monter les textes, brute, directe…
J’espère que cela n’empêche pas une forme de délicatesse. Cette brutalité n’est pas une esthétique. Même si cela peut sembler frontal, il y a chez les acteurs dans mes spectacles une forme de retenue, de finesse. Ce n’est pas vociférant, ça peut même être très doux. C’est comme certains groupes heavy metal ou punk qui se révèlent plus subtils que l’on ne pouvait le penser. Je cherche beaucoup plus à faire un théâtre simple qu’un théâtre brutal. C’est vrai que je n’ai jamais pratiqué les grosses productions avec d’énormes décors, des images vidéo, des dispositifs compliqués. Certains le font très bien comme Frank Castorf ou Christoph Marthaler. Mais ce que j’aime au théâtre, c’est qu’en réunissant trois ou quatre personnes, avec presque rien, on peut faire advenir tous les mondes imaginables. J’aime cette immédiateté. Et même dans ma vie personnelle, amoureuse, j’aime que ça se passe au jour le jour. En cela, je ne cours pas le risque d’être un conservateur !
Dans quel état d’esprit revenez-vous à Lyon où vous avez passé de nombreuses années ?
Je suis ravi de revenir aux Célestins. Ils ont une formidable programmation. Ce qui avait commencé avec Claudia Stavisky et Patrick Penot se confirme avec Pierre-Yves Lenoir. On peut voir beaucoup de choses différentes les unes des autres, et toutes intéressantes. Je suis curieux de voir comment réagira le public lyonnais, comment il a évolué. J’ai l’impression que Les Célestins ont enfin réussi à se débarrasser de cette image de bon vieux théâtre de droite, bourgeois. Ça a bien évolué !
De jeunes metteurs en scène revendiquent avoir été influencés par vous…
C’est vrai ? J’en suis très touché. Ce que j’aimerais, c’est que de jeunes artistes refusent qu’on leur dise : tu ne peux pas le faire, pas maintenant. On me l’a dit souvent et j’ai toujours trouvé des solutions. Si des jeunes s’inspirent de cette attitude tant mieux.
Le Songe – Du 11 au 15 décembre aux Célestins