Des chercheurs lyonnais tentent de comprendre de quelle manière les expositions aux polluants impactent la dynamique du moustique tigre en ville.
"La probabilité d’apparition de ces épidémies est assez élevée." L'alerte aux maladies (dengue, de chikungunya et Zika) transmises par le moustique tigre est signée de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses).
Hasard du calendrier, ce même 17 septembre, étaient dévoilés les résultats d'une enquête menée par des scientifiques lyonnais sur ces tout petits insectes très discrets qui piquent, de jour comme de nuit, et ruinent toute activité extérieure... et intérieure.
Nom de code : SERIOUS pour "Social and Environmental RIsk factors in the emergence of mOsquito-borne diseases in Urban areaS", consacré au rôle des activités et comportements humains dans la prolifération du moustique tigre en milieu urbain. Un projet assez sérieux au point d'avoir été retenu et financé par l'Agence nationale de santé à hauteur de 410 000 euros.
Depuis leur arrivée dans l'Hexagone en 2004, les moustiques tigres prolifèrent à vue d'œil, y compris dans la métropole de Lyon. C'est justement sur ce territoire qu'une étude menée par des chercheurs de l'Université Claude Bernard Lyon 1- laboratoire d'écologie microbienne (LEM) et de l’Université Lumière Lyon 2 avec le laboratoire Environnement, Ville et Société (EVS), en partenariat avec l’Entente Interdépartementale de démoustication Rhône-Alpes, ont planché.
Sur les 4 000 personnes ayant répondu à l'enquête entre octobre 2023 et février 2024, 86% se disent gênés par le moustique tigre et 83% disent agir contre le moustique tigre. Ils décrivent des stratégies de protection personnelle comme l'usage de vêtements couvrants, la fermeture des fenêtres ou encore l'utilisation de spray et crèmes répulsifs.
Lire aussi : Dans la métropole de Lyon, 86% des habitants se plaignent du moustique tigre
"Ce ne sont pas seulement les habitants qui doivent être impliqués, ce sont aussi les collectivités, la voirie évidemment, les architectes..."
Christina Aschan-Leygonie, maître de conférences en géographie à l'université de Lyon 2.
"1 personne sur 2 ne sait pas quel est le rayon de vie d'un moustique tigre qui est très petit, qui est sur juste quelques centaines de mètres, même encore moins. Et tant qu'on ne sait pas ça, on pense que soi-même on n'a pas un rôle très important dans ce travail de réduction de la présence de moustiques tigres et des gîtes larvaires, explique Christina Aschan-Leygonie, maître de conférences en géographie à l'université de Lyon 2. On peut déjà travailler avec les voisins pour essayer d'ensemble supprimer tous les lieux possibles de développement de moustiques tigres, donc les gîtes larvaires, les lieux où il y a de l'eau qui peut stagner. Mais ce ne sont pas seulement les habitants qui doivent être impliqués, ce sont aussi les collectivités, la voirie évidemment, les architectes parce qu'on a beaucoup de problèmes dans l'architecture actuelle."
Impact des activités humaines sur la prolifération du moustique tigre
La question que les scientifiques se posent en milieu urbain : quel est l'impact des activités humaines sur la prolifération des moustiques tigres ? Les pistes sont à l'étude.
"Pour l'instant, ajuste Claire Valiente Moro, enseignante chercheuse au laboratoire d'écologie microbienne de Lyon 1 et coordinatrice du projet interdisciplinaire SERIOUS, c'est compliqué d'apporter une réponse claire. Ce qui a motivé, en fait, l'hypothèse d'un lien entre l'exposition à des micro-polluants en ville et la présence du moustique en ville justement, c'est sa capacité à continuer à proliférer alors que les villes qui, par définition sont des environnements soumis à des pollutions diverses et variées, donc pas très propices."
En laboratoire, les scientifiques exposent le moustique tigre à différents micro-polluants, seul, ou en cocktail, et regardent sa capacité à se développer pour comprendre de quelle manière ces expositions impactent la dynamique du moustique en ville.
En laboratoire, les scientifiques exposent ce moustique tigre à différents micro-polluants d'origine agricole, pharmaceutique, industrielle, seul, ou en cocktail, et regardent son temps de croissance, sa capacité à plus ou moins bien transmettre des virus pour analyser de quelle manière ces expositions impactent la dynamique du moustique en ville.
"On se rend compte que ce moustique tigre est tolérant à beaucoup de choses. En fait, quand on fait des concentrations croissantes de ces micro-polluants, on se rend compte qu'on est obligé d'aller au-delà des doses environnementales qu'on est susceptible de retrouver dans les gîtes larvaires en ville. Donc ces concentrations-là n'ont aucun effet. Au contraire, on peut se rendre compte que certains peuvent accélérer son développement. Ça questionne."
Le projet SERIOUS
En raison des risques sanitaires liés à la présence du moustique tigre dans les zones urbaines récemment colonisées, il apparaît important de mieux comprendre le rôle des facteurs sociaux (comportements et pratiques humaines) et environnementaux (impact humain sur l'environnement) comme facteurs de risque d’émergence des maladies vectorielles. En effet, la mosaïque urbaine offre au moustique une multitude de réservoirs d’eaux stagnantes favorables au développement des larves. Il a été suggéré chez certaines espèces de moustiques que des perturbations anthropiques de l’environnement peuvent avoir un effet direct sur la physiologie des moustiques mais également un effet indirect en impactant leur microbiote.
Or, il est maintenant admis que ces microorganismes, principalement acquis et influencés par l’eau des gîtes larvaires, jouent un rôle important dans la biologie des moustiques et leur capacité à transmettre des pathogènes.
En combinant observations in situ et expérimentations en milieu contrôlé, ce projet vise à évaluer l’impact combiné des pratiques humaines (via une enquête d’opinion et de pratiques) et des activités humaines (émission de polluants) sur la prolifération du moustique tigre en milieu urbain. Nous formulons l’hypothèse qu’une mauvaise sensibilisation de la population aux bonnes pratiques de gestion de cette espèce associée à l’intensification des activités humaines contribuerait à favoriser son implantation en ville. Améliorer nos connaissances sur les facteurs biotiques et abiotiques impliqués dans l’écologie du moustique tigre en milieu urbain pourrait permettre de mener une nouvelle réflexion pour la mise en place de préconisations applicables aux habitants et aux acteurs de la santé et de la ville afin de créer un habitat durable et peu favorable à la colonisation par ce moustique.
Auteur : Claire VALIENTE MORO (Laboratoire d'écologie microbienne), coordinateur du projet
L'intégralité de l'entretien avec Christina Aschan-Leygonie et Claire Valiente Moro
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Aujourd'hui nous avons deux invités, à ma droite nous avons Christina Aschan-Leygonie, maître de conférences en géographie à l'université de Lyon 2, et à ma gauche, nous avons Claire Valiente Moro, enseignante chercheuse au laboratoire d'écologie microbienne de Lyon 1. Merci d'être venues sur ce plateau. Vous faites partie d'une équipe de scientifiques impliqués dans un projet de recherche pluridisciplinaire qui s'appelle SERIOUS - "sérieux" en anglais - , consacré au rôle des activités et des comportements humains dans la prolifération des moustiques tigres en milieu urbain. Ce projet est, c'est le cas de le dire, très sérieux puisqu'il y a une enquête qui a été menée, et à laquelle Christina Aschan-Leygonie vous avez participé. Est-ce que vous avez fait jouer vos compétences en géographie de la santé ? Est-ce qu'on peut dire qu'il y a des territoires dans la métropole de Lyon un peu plus touchés par le moustique tigre que d'autres ou pas ?
Christina Aschan-Leygonie : Alors nous notre objectif, avec cette enquête, n'était pas d'observer les territoires qui étaient les plus touchés, parce que finalement le moustique tigre est présent sur l'ensemble du territoire, alors plus ou moins selon les caractéristiques des quartiers évidemment. Par exemple, le centre, le hyper centre, la place Bellecour, etc., il y a moins de moustiques puisqu'il y a moins de gîtes présents (gîte larvaire : outil indispensable au développement de certains insectes, NdlR). Mais oui, une des questions qu'on s'est posée c'était effectivement où est-ce qu'on était quand même le plus embêté. C'est vrai qu'on n'a pas de différence particulière sur le territoire, un peu partout le moustique tigre pose un problème extraordinaire.
Et sur l'enquête, oui l'enquête qui a été menée sur 4 000 personnes, il y a un taux quand même ahurissant, je crois que c'est 86% des gens qui se sentent embêtés par le moustique tigre. Donc c'est bien qu'il touche tout le monde.
Christina Aschan-Leygonie : Voilà partout et on a eu des réponses de l'ensemble des communes sur le territoire, donc non on n'a pas observé, on n'a pas pu observer parce que finalement on est quand même obligé de faire une analyse beaucoup plus précise au niveau de la présence du moustique. Donc c'était pas là-dessus. Par contre, l'apport de la géographie, c'est vraiment sur cette question du travail en commun des acteurs du territoire contre cette but de réduire un peu la présence du moustique.
Claire Valiente Moro, qu'est-ce qu'on peut dire sur l'impact des activités humaines sur la prolifération des moustiques tigres ?
Alors pour l'instant c'est compliqué d'apporter une réponse claire. Ce qui a motivé, en fait, l'hypothèse d'un lien entre l'exposition à des micro-polluants en ville et la présence du moustique en ville justement, c'est sa capacité à continuer à proliférer alors que les villes par définition sont des environnements qui sont quand même soumis à des pollutions diverses et variées. Donc pas
très propices on pourrait se dire… On peut penser qu'a priori ça devrait être pas très propice et donc nous on a soulevé cette hypothèse par rapport à un état des lieux de la littérature où finalement en laboratoire on a on est en train d'exposer ce moustique donc dans des conditions contrôlées à différents micro-polluants d'origine agricole, d'origine pharmaceutique, industrielle, seuls ou en cocktail et on regarde sa capacité à se développer, son temps de croissance, sa capacité à plus ou moins bien transmettre des virus pour regarder en fait si ces expositions, cet exposome (ensemble des expositions environnementales au cours de la vie, y compris les facteurs liés au mode de vie, dès la période prénatale, NdlR), de quelle manière il va impacter la dynamique du moustique en ville. Est-ce que c'est de manière positive ? Est-ce que c'est neutre ? que c'est négatif ?
Il y a déjà des premières pistes ?
Alors ce dont on se rend compte c'est que ce moustique est tolérant à beaucoup de choses. En fait, quand on fait des concentrations croissantes de ces micro-polluants, on se rend compte qu'on est obligé d'aller au-delà des doses environnementales qu'on est susceptible de retrouver dans les gîtes larvaires en ville. Donc ces concentrations-là n'ont aucun effet. Au contraire, on peut se rendre compte que certains peuvent accélérer son développement. Donc ça questionne.
Christina Aschan-Leygonie, comment on peut faire pour essayer d'enrayer la prolifération de ce moustique tigre ?
Alors enrayer, peut-être pas, mais réduire, sûrement. Réduire un peu, c'est un peu l'espoir effectivement de toutes les personnes qui travaillent sur cette question. Et une des grandes questions qui est centrale là-dedans, c'est effectivement comment on peut faire pour que tout le monde se sente concerné, non seulement par son existence mais aussi par ce qu'ils peuvent faire, et notamment donc les habitants. Si on revient sur la question de cette enquête, on a vu qu'il y a 1 personne sur 2 parmi ceux qui ont répondu à l'enquête, qui ne savent pas quel est le rayon de vie d'un moustique tigre qui est très petit, qui est sur juste quelques centaines de mètres, même encore moins. Et tant qu'on ne sait pas ça, on pense que soi-même on n'a pas un rôle très important dans ce travail de réduction de la présence de moustiques tigres et des gîtes larvaires.
Une fois qu'on sait ça, qu'est-ce qu'on peut faire ?
On peut déjà travailler avec les voisins pour essayer d'ensemble supprimer tous les lieux possibles de développement de moustiques tigres, donc les gîtes larvaires, les lieux où il y a de l'eau qui peut stagner. Alors ce n'est pas simple puisque ce ne sont pas seulement les habitants qui doivent être impliqués, ce sont aussi les collectivités, la voirie évidemment, les architectes parce qu'on a beaucoup de problèmes dans l'architecture actuelle.
C'est un problème de santé publique finalement général qui concerne tout le monde ? J'avais une dernière petite question, il reste 10 secondes mais ce n'est pas grave, quand même sur l'Union européenne qui vient d'accepter la commercialisation du premier vaccin contre le chikungunya. Un petit mot rapide, c'est une première.
Claire Valiente Moro : C'est une première, oui. Alors pour l'instant, il n'y a pas forcément urgence à vacciner toutes les populations en France métropolitaine parce qu'on n'a pas d'épidémie, mais si on se rend à l'étranger dans les Dom Tom, où là-bas circulent les virus, ça peut valoir le coup de se faire vacciner en amont pour ne pas revenir avec le virus ici, localement, et puis après déclencher…
Le chikungunya qui est porté par notamment le moustique. Voilà. L'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire qui quand même parle d'un "risque assez élevé d'épidémie" quand même.
Oui. l y a un risque, il n'est pas nul, il faut rester vigilant.
Intéressant.