Courtney Geraghty © Jeanne Claudel

Entretien avec Courtney Geraghty, directrice du théâtre de la Croix-Rousse  : "Je préfère le mot "inclusif” au mot “woke” !"

À l’orée de cette deuxième partie de saison, nous avons souhaité donner la parole à Courtney Geraghty, aux manettes du théâtre de la Croix-Rousse depuis quatre ans. Le projet qu’elle défend a le mérite d’être clairement défini : inclusif (“woke” diront certains), orienté vers la défense des minorités sexuelles et des plus démunis. De surcroît, le théâtre de la Croix-Rousse parvient à attirer de plus en plus de jeunes spectateurs.

Lyon Capitale : Quel bilan faites-vous de ces quatre ans passés à la direction du théâtre de la Croix-Rousse ?

Courtney Geraghty : Au premier janvier 2025, cela fera quatre ans que je dirige le lieu. Évidemment, mon arrivée en pleine crise Covid a été difficile. Ce n’était pas évident de rencontrer l’équipe du théâtre, les artistes, le public dans ce contexte. On était encore dans une période d’annulations en chaîne… N’empêche que notre projet s’est rapidement mis en place. Et le public a été au rendez-vous. On a vu revenir des spectateurs fidèles mais aussi un nouveau public, plus jeune. Si bien que dès le début on a eu un excellent taux de fréquentation. Et cela s’est confirmé durant les trois saisons suivantes, mais aussi celle en cours.

Vous avez aussi dû résoudre un problème de management, vous aviez demandé un audit…

Les questions de ressources humaines se gèrent sur plusieurs années, c’est très long. Mais ce que je peux affirmer, c’est que l’équipe du théâtre s’est stabilisée. Elle est mobilisée, en soutien au projet artistique.

Quand on vient au théâtre de la Croix-Rousse, on voit à quel point vous touchez un public jeune…

Sur les représentations scolaires, on est restés fidèles à ce qui était fait auparavant. Je pense que c’est davantage sur le public individuel que nous avons réussi à attirer plus de jeunes. C’est tout simplement grâce aux sujets et aux œuvres que l’on a dans la programmation. Les thèmes que nous mettons en avant sont en prise avec notre société. C’est ce qui les interpelle. Mais c’est un ensemble, il y a aussi les tarifs avantageux, notre équipe de com et des relations avec le public qui fait un super boulot, et les soirées conviviales que l’on organise. Il y a une cohérence entre l’image que nous voulons donner et le fond, les spectacles qui sont à l’affiche. C’est ce qui permet aux jeunes, mais pas que, de s’y retrouver.

Au théâtre de la Croix-Rousse, vous avez des toilettes non genrées. Vous organisez un “Festiv·iel” dédié au féminisme et aux questions de genre. Vous utilisez l’écriture inclusive dans votre communication, vous définiriez-vous comme woke ?

Je ne choisirais pas ce terme, mais plutôt celui d’inclusif. Je préfère utiliser des termes qui divisent moins, notre objectif n’est pas de créer de la polémique. Ce qui est sûr, c’est que nous sommes un théâtre féministe. Les toilettes non genrées, l’écriture inclusive accompagnent notre engagement sur ce thème.

“On travaille toutes ces questions d’âge, de corpulence, d’origine, de religion, de tout ce qui peut invisibiliser des catégories de population”

Ne craignez-vous pas de rebuter des spectateurs qui ne se retrouveraient pas dans ces thèmes que vous mettez en avant ?

En tout cas, ce n’est pas ce que montrent les chiffres de fréquentation. On a un nombre grandissant de spectateurs. Quand je vais dans d’autres théâtres, je vois bien que nous ne sommes pas les seuls dans cette tendance. En fait, nous ne disons pas autre chose que : qui que vous soyez… vous êtes les bienvenus, et sur un pied d’égalité.

Personnellement au début, j’ai eu du mal avec l’écriture inclusive. Maintenant, j’écris même mes SMS avec ! Et puis l’inclusion, ce n’est pas seulement en direction des minorités sexuelles. La saison dernière nous avons programmé un Hamlet joué par des comédiens en situation de handicap [porteurs de trisomie 21, NdlR]. Nous avons eu également une pièce comme Home qui aborde la question des personnes âgées, de même qu’Augures, qui donne la parole à des comédiennes d’une plus ancienne génération.

On travaille toutes ces questions d’âge, de corpulence, d’origine, de religion, de tout ce qui peut invisibiliser des catégories de population. On a aussi eu des représentations adaptées en langue des signes. Mais ce que nous essayons de développer en ce moment, ce sont les spectacles accessibles aux personnes malvoyantes et aveugles, les “chuchotines”. Des jeunes, formés pour cela, chuchotent des informations à l’oreille de ces personnes durant le spectacle. C’est très personnalisé, à l’inverse des audiodescriptions. Nous le proposons sur les trois quarts de nos spectacles.

Dans votre éditorial de cette saison, vous vous inquiétiez de la montée des nationalismes. Depuis il y a eu l’élection de Donald Trump…

Oui, en tant qu’Américaine, j’en ai été particulièrement touchée. Au-delà des atteintes au secteur public – au sens large : pas seulement la culture mais aussi l’éducation et la santé – que l’on peut craindre de tels gouvernements, ce qui me fait peur c’est leur projet de société. Ce n’est pas basé sur le “vivre ensemble”, l’acceptation de notre prochain, quelles que soient les différences. C’est le contraire de ce que l’on promeut à la Croix-Rousse.

Deux ou trois spectacles à conseiller particulièrement ?

Deux ou trois, ce n’est pas assez ! Mais George de Molière est un formidable spectacle, le texte de Molière y est scrupuleusement respecté dans une version loufoque et belge. Cosmos de Maëlle Poésy est un coup de cœur de l’équipe. C’est l’histoire de treize pilotes américaines qui bénéficièrent d’un programme secret de la Nasa afin d’envoyer une femme sur la Lune. J’aime beaucoup Autophagies d’Eva Doumbia, un spectacle culinaire déjà passé au Point-du-Jour que nous reprenons. Et puis Le Premier Artifice, un spectacle de cirque queer qui se déroulera place de la Croix-Rousse, en juin, dans un chapiteau que l’on montera pour les 30 ans du Théâtre de la Croix-Rousse.


Prochains spectacles à La Croix-Rousse : 
Plutôt vomir que faillir, de Rébecca Chaillon, du 14 au 17 janvier

La Fracture & Koulounisation, de Yasmine Yahiatène et Salim Djaferi du 21 au 2 janvier

George de Molière, par le Clinic Orgasm Society, du 28 janvier au 1er février


https://www.croix-rousse.com/au-programme

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