© Carolyn Caro

Rock alternatif : Sheriff, fais-moi punk !

C’est un petit (un gros ?) morceau d’histoire du rock français, dans son versant alternatif, qui visite les rayons de La Rayonne en ce mois de janvier, avec la venue des Sheriff. Peut-être pas le plus connu mais l’un des groupes phares du courant alternos français des années 80-90, à base de rythmiques amphétaminées et de textes candides au service d’hymnes express. Une dizaine d’années après leur reformation, ils viennent y fêter les 40 ans de leurs débuts, couronnée d’un livre hommage publié par leur label Kicking Records.

La formule est assez simple, pour ne pas dire simpliste : des guitares tranchantes, une rythmique punk, école pied au plancher, un chant harangueur, des paroles mi-engagées, mi-dégagées, un côté rock en BD. C’est la recette, immuable, sèche mais bavarde, rêche mais cossarde, du rock alternatif à la française. Un truc légèrement plus débraillé que le punk anglais, peut-être plus punk que le punk anglais au fond, un truc qui ne se prend pas au sérieux, se joue toujours tongue-in-cheek, comme on dit là-bas. La révolution ? Oui, mais en se marrant, l’anarchie ok, mais du fond d’un canapé. On les connaît, les groupes qui ont donné ses lettres de non noblesse (surtout pas) au genre dans les années 80 (et un peu 90), âge d’or de cette Valstar Academy : Les Négresses vertes (dans une veine lorgnant la world-musette), la Mano Negra (versant internationaliste hispanisante), Les Wampas (un peu psychobilly popu), Ludwig von 88 (crossover jusqu’au reggae), Les Garçons bouchers (ex-oi! convertis au musette des faubourgs).

Et puis il y a les punks purs et durs comme Bérurier Noir (qui fut sans doute le premier à emmerder le Front national et sera bientôt le dernier), et un groupe peut-être un peu moins ancré dans la mémoire historique du genre, peut-être parce que Montpelliérain, peut-être pas (ils constituent, avec OTH, une solide scène locale) : Les Sheriff, joli collectif de tirailleurs-défourailleurs cultivant l’urgence avec l’application d’un tailleur de bonsaï. Le modèle ? Les New-Yorkais Ramones, un quatuor d’échalas à cheveux longs et idées (en apparence) très courtes jouant un genre de punk chewing-gum accessible aux enfants de 5 ans aimant taper sur des casseroles. Pour comprendre la raison de ce cousinage, il faut remonter à la genèse des Sheriff.

Pas de chance elle est borgne

Nous sommes en 1984, on est en plein tournant de la rigueur, et Jean-Marie Le Pen vient de réussir son examen de passage médiatique dans “L’Heure de vérité” (3 millions de téléspectateurs entre la messe et la Suze), les sidérurgistes sont en furie et Yves Montand vient de faire 20 millions de vues (même si ça ne se dit pas encore comme ça) sur Antenne 2 avec l’émission “Vive la crise !” Bref, c’est pas la joie. Et comme par hasard, le rock alternos est en plein boom quand les Sheriff se forment du côté de l’Hérault. Aux commandes, trois jeunes hommes appartenant à cette catégorie de musiciens qui non seulement ne sont pas passés par le conservatoire mais doivent penser que c’est le meuble où l’on range les conserves. Ils ne savent pas, mais vraiment pas, jouer. Cela leur vaut de se faire remercier de quelques groupes de punk (où il est pourtant admis de ne pas savoir jouer, c’est même un plus, c’est dire le niveau). Ils viennent par exemple de quitter Vonn. Et forment leur propre groupe en représailles sonores. Manu (Emmanuel Larnaud) est le batteur, Olivier (Tena), le chanteur, et Philippe tient la guitare, vite remplacé par Fred (Frédéric Bessière). Ils recrutent un bassiste, Michel (Conegero) puis, en 1989, un second guitariste, Fab (Fabrice Albert-Birot).

Problème, même pour jouer du Ramones, leurs qualités techniques font défaut. L’équivalent d’un joueur de foot du dimanche se faisant les croisés en tentant un coup du final à l’entrée de la surface de réparation. Manu prend donc les rênes de la composition de morceaux originaux, ce qui fait de lui l’un des rares exemples dans l’histoire du rock de batteurs tenant la ligne musicale de sa petite entreprise (entre ici Phil Collins !). Olivier, comme souvent les chanteurs, s’occupe des textes de futurs classiques comme (Pas de chance) Elle est borgne ou Ne fais pas cette tête-là (on l’aura compris, on n’est pas exactement chez Leonard Cohen, mais ce n’est pas le but, bien au contraire).

On fait du bruit

En attendant de publier un disque, les Sheriff écument les scènes alternatives, d’abord celles de leur région, puis d’un peu partout ailleurs, vivant une vie de débrouille, de bières tièdes et de siestes entre un vieil ampli et un chien malade. Ne pas oublier que l’on parle d’une époque où jouer dans une salle est un parcours du combattant, une ère où les bourre-pifs sont plus nombreux que les Smac (elles n’existent pas encore), où les disquaires sont rares et où se procurer des instruments n’est pas aussi facile qu’aujourd’hui. Où la musique de jeunes est encore une musique du diable remisée au fond des MJC ou de bars suintant la vieille transpiration houblonneuse. Où jouer du punk en somme c’est vivre la vie punk jusqu’au bout. Le punk, pourtant, Les Sheriff refusent d’y adhérer tout à fait. Eux se définissent, à l’instar des Ramones, toujours comme un groupe de rock. Comme eux, sur scène, ils jouent fort et vite, et se réclament aussi bien d’Elvis, Chuck Berry et Gene Vincent (mais n’étaient-ils pas punks eux-mêmes ?). Sur scène, ils se présentent souvent en moins de dix mots : “On est les Sheriff et on fait du bruit !”

Trois ans après leur formation, ils sortent enfin leur premier album, qui a pour titre Pan ! (un bon résumé de ce qu’il contient), puis son successeur, 3, 2, 1... Zéro !, en 1988 et un troisième en 1989, Le grand, le maigre, le petit et le gros (tous trois chez Gougnaf Mouvement, label phare de l’époque qui comptait une antenne à Lyon et abritait des groupes comme Les Thugs ou Parabellum). La sortie de Du goudron et des plumes (1991) précède leur premier album live : le culte Les Deux Doigts dans la prise, titre emprunté à un de leurs hymnes (“Mets les doigts / Oui, dans la prise / Tu deviendras / Vite hystérique / Pour recharger tes batteries / Les deux doigts dans la prise”). Le live comprend également une reprise des Stooges (I Feel Alright). Les années 80 ne sont plus qu’un souvenir depuis un bon moment quand le groupe sort ce qui est considéré comme son climax artistique : son plus généreux, guitares sous stéroïdes mais esprit conservé, auréolé de cette fausse candeur maison que viennent contrebalancer des textes légèrement plus concernés. Il a pour titre Soleil de plomb et c’est un ex-membre des cousins d’OTH qui signe le texte du premier titre, le dévastateur À la chaleur des missiles.

Bombardement tardif

Les deux albums suivants sont ceux d’un léger déclin (Allegro turbo, 1995) puis du crash (Électrochoc, 1998). Les Sheriff se séparent en pleine tournée, au fin fond de l’Italie, alors même que le compositeur du groupe, Manu, a déjà quitté le navire, deux ans auparavant, schéma classique de la formation qui ne survit pas davantage au départ de son leader que le gaullisme n’a survécu à la mort de Charles de Gaulle. Chacun vaque alors à ses occupations, souvent au sein d’autres groupes et parfois ensemble (au sein de The Hop La !). Jusqu’à ce que les 15 ans de l’association montpelliéraine Tout à Fond ne convoque tout le monde sur scène. Le plaisir est là comme au premier jour et les Sheriff refont quelques dates dont une devant 7 000 personnes et donnent rendez-vous à leurs fans dans 15 ans. Il n’en faudra pas plus de deux pour qu’ils remontent sur scène chaque année jusqu’à une sorte de consécration au Hellfest en 2018. Surtout, jusqu’à un album original en 2021 (après que leur label Kicking Records a réédité leur discographie).

Grand Bombardement tardif qui, contrairement au titre du morceau d’ouverture, n’est pas un Requiem 5 étoiles mais une vraie preuve de vie. Les années sont là, comme semble le reconnaître le crâne de dinosaure de la pochette mais l’énergie est restée intacte et le feu (re)brûle encore. Et même, les Sheriff jouent mieux qu’avant, tirent dans le mille. Il n’en fallait pas plus pour que cette année, pour leurs 40 ans, le patron de leur label Kicking Records, Stéphane Cupillard, également éditeur et grand spécialiste de la scène punk française (et montpelliéraine), leur consacre avec le concours du journaliste d’Ouest-France, Jean-Noël Levavasseur, un livre somme baptisé La Saga des Sheriff qui ne se penche pas que sur la musique mais surtout sur les origines (qui sont ses membres ? D’où viennent-ils ? Quelle fut leur enfance ?) et sur leur fin provisoire en 1998. Un must à lire en attendant leur date lyonnaise à La Rayonne.

Les Sheriff –Le 24 janvier à La Rayonne

La Saga des Sheriff par les Sheriff de Jean-Noël Levavasseur et Stéphane Cupillard (Kicking Records)

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