Au vu de la manière dont l’écriture cinématographique a fini par contaminer positivement son art, il fallait bien qu’un jour Jean Echenoz écrive sur un cinéaste, fût-il fictif.
Bon, s’il était entraîneur de football plutôt que cinéaste, Robert Bristol officierait quelque part dans les divisions inférieures où la lumière des stades est tremblante et le public aussi clairsemé qu’inenthousiaste.
Oui mais voilà, Robert Bristol est cinéaste et, si elle comporte son lot d’avanies et de désillusions, c’est tout de même une vie autrement plus aventureuse. Sous la plume de Jean Echenoz, reconnaissons que c’est même carrément Byzance, ou quelque chose dans ce goût-là.
Pour son énième roman (on ne compte plus depuis longtemps), l’auteur de Je m’en vais et Courir s’intéresse donc à la petite vie de ce petit cinéaste (à qui l’on doit notamment Priez pour elle, tout de même récipiendaire d’un clap de bronze aux Journées cinématographiques de Panazol). Et plus particulièrement à sa tentative de porter à l’écran L’Or dans le sang, une rocambolesque mésaventure romantico-africaine adaptée d’une autrice à succès, elle.
Sa production fragile, son tournage laborieux, son succès à faire réviser la théorie de la relativité, bref la lose à tous les étages. Et puis soudain ce n’est même plus le sujet. Parce que d’un étage justement, un type s’est jeté depuis l’immeuble même où vit Bristol et qu’il se pourrait peut-être qu’il y fût pour quelque chose, on ne sait pas trop, et d’ailleurs on s’en fiche.
On croise ici un milicien botswanais friand de cinéma d’auteur allemand des années 70, une actrice vaporeuse mais sur le retour, une autrice de best-sellers excessivement bijoutée, une Citroën Aircross, un acteur si bellâtre qu’il en devient trop “facile à décrire” et toute une galerie de personnages bien salés qu’Echenoz assaisonne en sus d’un commentaire permanent sur les situations ou le texte en train de s’écrire et d’apartés jamais inopportuns flirtant avec le meta, au gré d’une écriture qui manie l’ellipse avec le manche d’un je-m’en-foutisme de façade et l’humour avec la lame d’une dérision quasi permanente coupant court à la mélancolie jadis echenozienne.
Quoique si Bristol semble toujours un peu ailleurs, c’est peut-être parce qu’il n’est pas tout à fait de ce monde et en regrette un qu’il n’a jamais pu vraiment bâtir : une filmographie digne de ce nom. On ne peut pas en dire autant de la bibliographie de son créateur.
Bristol – Jean Echenoz, Les Éditions de Minuit, 208 p., 19 €