@Antoine Merlet

Ce que changerait la réforme du mode de scrutin à Lyon

Un maître de conférences de droit public de Lyon donne les clés pour comprendre les impacts de la réforme du mode de scrutin spécifique à Lyon.

Le Premier ministre a invité le maire de Lyon à un échange en tête à tête à l'Elysée, vendredi 7 février, pour évoquer la proposition de loi visant à réformer le mode de scrutin des élections municipales de Lyon, Paris et Marseille.

François Bayrou veut en effet inscrire la proposition de la loi pour un changement de scrutin dans les trois plus grandes villes de France dans l’agenda de l’Assemblée dès le mois de mars, pour une adoption rapide. Avant d’arriver au Sénat avant l’été. L'usage veut qu’un changement de mode de scrutin intervienne au plus tard un an avant l'échéance électorale des municipales 2026.

Objectif : 1 Lyonnais électeur = 1 voix

Le Premier ministre ne fait que reprendre le souhait du président de la République. Il y a un an, le 16 janvier 2024, Emmanuel Macron s'était prononcé en faveur d’ "une réforme en profondeur" de la loi Paris-Lyon-Marseille (PLM), qui prévoit un mode de scrutin spécifique pour les élections municipales dans les trois plus grandes villes françaises.

François Bayrou, lui-même maire de Pau, estime que le système actuel de scrutin dans les trois plus grandes villes de France (Paris, Lyon et Marseille) n’est plus satisfaisant. comme dans toutes les autres communes de France, la règle qui veut qu’un Parisien égale une voix, un Lyonnais égale une voix, un Marseillais égale une voix.

Pour y voir plus clair, Lyon Capitale s'est longuement entretenu avec Christophe Chabrot, maître de conférences de droit public (HDR) à la faculté de droit Julie-Victoire Daubié de l'université Lyon 2 (qui dirige également l’axe Métropole(s) et Territoire au sein du centre de recherches juridiques Transversales).

Que prévoit la loi PLM ?

A Paris, Lyon et Marseille, contrairement aux quelques 35 000 communes de France où les élections se passent en deux temps, en vertu de la loi PLM, le scrutin se déroule en trois temps. Comme pour les villes de plus de 1 000 habitants, les élections municipales se passent au scrutin de liste proportionnel à deux tours, avec prime majoritaire. Chaque arrondissement (ou secteur de deux arrondissements à Marseille) élit un conseil propre qui désignera le maire d'arrondissement (ou de secteur). Le conseil municipal global de la ville est constitué d'une partie des élus de chaque arrondissement. 

Note : (un scrutin majoritaire donne tous les sièges à la liste arrivée en tête. Aux municipales, les sièges sont bien au contraire répartis entre les différentes listes ayant obtenues des voix, avec un correctif majoritaire par la prime électorale accordée à la liste arrivée en tête)

Un peu comme aux Etats-Unis avec les grands électeurs au juste ?

En quelque sorte. Et c'est ce conseil municipal qui élit ensuite le maire de la commune.

Dans quel contexte a été votée cette loi et quelle était l'idée ?

La loi PLM a été adoptée en mars 1982 dans un contexte de décentralisation à l'initiative du ministre de l'Intérieur Gaston Defferre. La loi a été appliquée pour la première fois lors des élections municipales de mars 1983. L'idée était de donner aux grandes villes une organisation plus proche des habitants, avec la création d'arrondissements, sortes d'échelons intermédiaires entre le pouvoir municipal et les habitants. Si Toulouse dépasse Lyon en nombre d'habitants, cela posera deux questions : est-ce que Lyon serait toujours appelé à avoir des arrondissements, ne faisant plus partie des "trois plus grandes villes de France" (argument retenu par le Conseil constitutionnel pour accepter ces spécificités), et est-ce que Toulouse devrait se diviser en arrondissements ?

"La loi PLM date 1982, donc avec des bases démographiques qui datent de 40 ans."

Peut-on parler d' "anomalie démocratique", pour reprendre l'expression des deux députés macronistes qui ont déposé la proposition de loi visant à modifier la loi PLM ?

Non. Le fait qu'il y ait un mode de scrutin spécifique n'est pas une anomalie, c'est autorisé par la Constitution. L'anomalie réside plus dans l'organisation du scrutin. On voit des dérives démocratiques dans le sens où les voix des électeurs n'ont pas le même impact sur le conseil municipal selon les arrondissements dans lesquels on est. Deux problèmes se juxtaposent. Le premier problème est le poids des arrondissements dans le nombre de conseillers municipaux qu'ils envoient. C'est fixé par la loi mais la dernière fois que la loi a statué, c'était en 1982, donc avec des bases démographiques qui datent de 40 ans. A cette époque, le 7e arrondissement – autour de Gerland – comptait 50 000 habitants. Aujourd'hui, il en compte 87 000, soit 74% de plus. Le 7e arrondissement, c'est presque 17% de la population totale lyonnaise mais le nombre d'élus qu'il « envoie » au conseil municipal n'est que de 12%. Il a donc un déficit de représentation démographique de – 4,5 points entre son poids démographique et son poids au conseil municipal. A l'inverse, le 6e arrondissement représente un peu plus de 9,5% de la population totale lyonnaise mais a un nombre de sièges représentant 12 % du conseil municipal. Pour résumer, le 7e arrondissement a le même poids au conseil municipal que le 6e arrondissement qui a 30 000 habitants de moins. Le 6e arrondissement est surreprésenté au conseil municipal, de l'ordre de 2,6 points, Là, on peut parler d'anomalie démocratique parce quand vous votez dans le 7e, votre influence sur le conseil municipal est sous-représentée et quand vous votez dans le 6e elle est sur-représentée. Il y a aussi un déficit de 3 points dans le 3e arrondissement, dont la population représente près de 19,5% de la population globale lyonnaise mais ne pèse que 16,5% des élus au conseil municipal. Si on simplifie, sur cet arrondissement, c'est plutôt au détriment de la gauche et au bénéfice de la droite. À l'inverse, le 9e arrondissement représente 10 % de la population et a 9 sièges au conseil municipal sur 73, soit près de 12% des sièges, donc un solde positif de 2 points. A savoir si c'est ça qui avait permis à Gérard Collomb d'être élu en 2001 puisque le 9e est plutôt de gauche...

"Le maire de Lyon peut être élu avec une minorité d'arrondissements remportés puisque tous n'envoient pas le même nombre de conseillers au conseil municipal."

Cela veut-il dire que les candidats à l'élection municipale peuvent se concentrer sur les arrondissements qui "envoient" le plus de conseillers ? 

Plus ou moins, oui : un maire peut être élu avec une minorité d'arrondissements, ou de secteurs à Marseille, remportés puisque tous n'envoient pas le même nombre de conseillers au conseil municipal. Le poids des arrondissements dans le nombre de conseillers municipaux envoyés est donc le premier problème. Le second problème, qui s'ajoute, c'est la prime majoritaire. Quand on élit les conseillers d'arrondissement, la liste arrivée en tête obtient la moitié des sièges. L'autre moitié est partagée entre toutes les listes, y compris celle qui est arrivée en tête. Couplé avec la représentativité du conseil d'arrondissement au conseil municipal, c''est un phénomène d'éviction parfois critiquable. 

Lors des élections municipales de 2020, la droite a remporté le 6e arrondissement avec 6 300 voix, soit à peine plus que 50% des suffrages. La liste Écologie-Les Verts a fait 33%, avec 1 200 voix, et une liste LREM dissidente à 17%. La droite - donc LR, LREM Modem - avec 50% des voix a obtenu 78% des sièges au conseil d'arrondissement, et a envoyé 78% des élus de l'arrondissement qui sont allés siéger au conseil municipal. Là aussi c'est assez inéquitable parce que le 6e arrondissement est déjà sur-représenté en nombre d’élus municipaux et que la liste majoritaire y est sur- sur-représentée, au détriment des voix et élus d’opposition de l’arrondissement. Et deuxième effet induit, avec ce système de prime majoritaire et de découpe, la liste LREM dissidente, qui avait quand même eu 17% des voix, n'a aucun siège au conseil municipal. Pour résumer, cette prime majoritaire pose problème parce qu'elle se couple avec un déficit de représentation proportionnelle, ce qui créé une réelle distorsion entre les habitants et leur représentation dans les conseils.

"Dans le 7e arrondissement, en 2020, la gauche avait gagné avec 60% des voix, et elle envoie 90% des élus d’arrondissement au conseil municipal."

Ce mode de scrutin n'est donc plus vraiment adapté à Lyon ?

Le mode de scrutin est adapté , en soi, et on peut le conserver à Lyon, ça se discute. Une autre hypothèse serait par exemple de passer à une circonscription unique découpée en secteurs/arrondissements, sur le modèle régional. Mais la mise en oeuvre du mode de scrutin actuel produit aujourd’hui de vrais problèmes démocratiques. Dans le 7e arrondissement, la gauche avait gagné avec 9 000 voix, c'est-à-dire 60% des voix, et elle envoie 90% des élus d’arrondissement au conseil municipal. C'est-à-dire que sur les 9 sièges qu'on lui donne, elle en envoie 8 alors, qu'elle n'a que 60% des voix. Donc avant de penser au changement de mode de scrutin, qui en soi n'est pas une anomalie même s’il peut se discuter, il faut corriger ces distorsions. Car je pense que les Lyonnais ont intégré cette élection en trois temps, j'aurais même tendance à avoir l'impression que les gens aiment bien avoir leur conseil et maire d'arrondissement élus par eux directement. 

Selon vous, pourquoi le Premier ministre a demandé un peu contre toute attente aujourd'hui de réfléchir à ce mode de scrutin ?

Je ne comprends pas vraiment. En fait, ça il reprend un discours d'Emmanuel Macron, au printemps dernier, qui avait lancé ce projet de réforme faisant l’effet d’une petite bombe, on ne sait pas sans qu’on ne sache très bien pourquoi. Etait-ce pour faire diversion ? A mon avis, il y a des sujets qui sont beaucoup plus nécessaires et importants. En fait, l'élection de Lyon ressemble un peu à l'élection de la métropole de Lyon, avec pareillement cette élection de conseillers métropolitains dans 14 circonscriptions qui élisent ensuite le président. On retrouve un peu le même problème. La réflexion sur le mode de scrutin de Lyon s'alimente, ou complète, la réflexion sur le mode de scrutin pour la métropole de Lyon.

Juridiquement, peut-on changer le scrutin après mars 2025 pour les élections de mars 2026 ?

Normalement, on ne modifie pas un mode de scrutin un an avant les élections. Donc il faudrait adopter une loi en mars 2025 pour qu'elle soit effective en mars 2026. Mais il s’agit juste d'une obligation législative, et ce qu'une loi a fait, elle peut le défaire.

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