Carmen d’Abou Lagraa © David Bonnet

Maison de la danse : Carmen, la liberté mise à nu !

Abou Lagraa crée pour le Ballet de l’Opéra de Tunis sa vision engagée – il refuse le féminicide – et d’une extrême sensualité de Carmen, le célèbre opéra de Bizet.

Après plusieurs années d’absence sur le plateau de la Maison de la danse, Abou Lagraa revient pour notre plus grand bonheur avec Carmen, auréolé d’un immense succès en Tunisie.

L’aventure a commencé par une commande de Syhem Belkhodja – directrice du Ballet de l’Opéra de Tunis – qui souhaitait la création d’un opéra avec des artistes 100 % tunisiens. Le chorégraphe relève le défi : il met en scène et chorégraphie dans son intégralité l’opéra de Bizet (2 heures 40) avec chœurs, orchestre, chanteurs solistes et dix-huit danseurs.

Présentée en février 2024 au Théâtre de l’Opéra de Tunis, puis dans plusieurs festivals, l’œuvre a déjà conquis plus de 23 000 personnes. La version qu’il présente ici est écourtée, essentiellement dansée et musicale, réalisée avec treize danseurs et danseuses du Ballet. Cette collaboration unique se concrétise aujourd’hui par la création d’un pont culturel élaboré sur trois ans avec sa compagnie, comprenant formations et créations, histoire de transmettre et développer la danse en Tunisie.

Une quête collective où femmes et hommes sont libres et égaux

Cheveux longs détachés et rebelles pour les femmes, corps qui s’emparent de l’espace avec une sensualité exacerbée, mouvements amplifiés par la fluidité des vêtements, les interprètes de Carmen distillent, dès leur entrée, le désir de danser ensemble, de se défier dans une quête collective où hommes et femmes sont libres, égaux et solidaires.

Avec cette version épurée, sans décor et qui se concentre sur la danse, Abou Lagraa refuse la mort de l’héroïne et, tout en respectant la narration et les éléments dramaturgiques de l’opéra, démultiplie les Carmen pour donner plus de force à la figure de la femme.

Jouant sur le féminin/masculin, il fait porter pantalons, vestes et jupes aussi bien aux hommes qu’aux femmes car, dit-il, “le personnage de Carmen n’est pas qu’un corps fantasmé, désiré par les hommes. Elle représente surtout la liberté et nous sommes tous des Carmen, épris d’un même désir de liberté !”.

La sensualité comme arme politique

Avec des interprètes qui à ses côtés ont su très vite faire éclater la volupté de leur corps, Abou Lagraa nous relie à l’essence même de sa danse, exigeante et instinctive, pleine d’ondulations, de soubresauts et de spirales incessantes, qui libère le bassin et crée le trouble au contact de l’autre.

Plus que dans ses précédents spectacles, la sensualité est portée à l’extrême. Naturelle pour lui, il la transforme en une arme politique, un lieu d’émancipation et d’affirmation de soi. Avec elle, il revendique le lâcher-prise, l’abandon des carcans pour aller à l’essentiel du mouvement dans une écriture qui se délie et circule indifféremment du corps des hommes à celui des femmes. Sa danse brise les tabous car la sensualité fait partie de la culture du Maghreb et il n’est écrit nulle part qu’il est interdit de se toucher et d’être sensuel.

Écrite en perpétuels mouvements de masse qui évoquent la force de la Méditerranée, unissant le Maghreb et l’Europe, la chorégraphie suscite des flux de séduction, de joie et de provocation, des tensions, des portés avec également le beau duo lascif entre Don José et Carmen autour de la rose. Elle fait surgir aussi des solos féminins où le corps resplendit de sa chair sous les lumières moirées d’Alain Paradis. Il nous invite à l’abandon dans une dramaturgie remplie du plaisir des sens, de la musique et des corps et démontre une parfaite maîtrise dans l’art de chorégraphier de grands ensembles. Inutile de chercher autre chose qu’un tourbillon vital ! Refusant la mort de Carmen, Abou Lagraa détourne la scène où elle est poignardée par l’homme jaloux en créant une danse saisissante avec des hommes qui dénoncent eux-mêmes les violences faites aux femmes.

Une danse vibrante !

Sans concession sur son travail depuis trente ans, le chorégraphe a élaboré un langage qui mêle avec élégance, classique, contemporain et une danse hip-hop au sein de laquelle il puise, non pas la force et la masculinité, mais l’énergie, se reconnaissant dans les mouvements en vagues fluides ou saccadées du popping (danse debout). Si l’on perçoit cette approche dans la pièce, on savoure ce moment suspendu où il glisse à l’intérieur de la Habanera (L’Amour est un oiseau rebelle) une écriture hip-hop sur la musique revisitée et percussive qui modernise d’autant l’opéra.

Depuis toujours, Abou Lagraa creuse une danse qui éprouve son être au monde, sincère et éprise de liberté. Il la transmet ici de manière généreuse et somptueuse à des artistes dont la présence charnelle et la puissance érotique nous enchantent. Il nous offre un ballet où des femmes et des hommes sont révélés à eux-mêmes par sa danse vibrante !

Carmen - Abou Lagraa – Du 18 au 21 février à la Maison de la danse

Rencontre avec le chorégraphe, le 20 février à 19 h (entrée libre et gratuite)

maisondeladanse.com

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