Umuko © Patrick Berger

Dorothée Munyaneza : danser et célébrer la créativité du Rwanda

La Maison de la danse accueille l’artiste britannico-rwandaise Dorothée Munyaneza avec deux spectacles où il est question de mémoire et de traumatisme mais surtout de joie et d’amour. Entretien.

Après avoir quitté le Rwanda en juillet 1994 pour rejoindre sa mère en Angleterre, Dorothée Munyaneza s’est forgé un parcours artistique multiple, d’abord en tant que musicienne et chanteuse, puis comme danseuse et chorégraphe.

Artiste associée à la Maison et à la Biennale de la danse dont l’édition 2023 nous a fait découvrir Toi, moi, Tituba… (hommage aux figures féminines noires de la résistance souvent effacées), elle revient dans le cadre d’une Cosmologie qui lui est consacrée avec deux spectacles : Umuko qui célèbre la culture rwandaise autour de cinq jeunes artistes talentueux et Inconditionnelles (présenté au théâtre de la Croix-Rousse) où elle met en scène le texte de Kae Tempest, figure du slam, de la poésie et du théâtre anglophone, relatant l’histoire d’amour entre deux femmes en prison.

Un concert est proposé avec également une rencontre autour de la littérature aux côtés de Lucie Campos, directrice de la Villa Gillet, ainsi qu’une projection de films d’artistes rwandais. Placée sous le signe de la créativité, de la fête, du rassemblement et de l’espoir, cette Cosmologie révèle les ponts que Dorothée Munyaneza crée depuis des années avec le Rwanda pour nous faire découvrir l’incroyable richesse des artistes qui y vivent.

Lyon Capitale : Umuko, le titre de votre pièce, évoque un arbre au Rwanda, que représente-t-il ?

Dorothée Munyaneza : Umuko est un arbre qui me fascine depuis que je suis toute petite, il pousse là où il veut, de manière libre, il a beaucoup de fleurs rouges et est d’une remarquable incandescence dans le paysage très vert du Rwanda. J’ai compris peu à peu qu’il portait une forte symbolique dans la culture rwandaise, notamment dans les croyances mythologiques que l’on a dû mettre de côté de manière violente lorsque les Pères Blancs ont christianisé le peuple, avec la colonisation et le génocide. C’était un arbre où se recueillaient les personnes qui vénéraient un être divin et cela a fait basculer pas mal de choses dans les croyances profondes locales. J’avais envie de revenir vers umuko, ce qui me constitue mais aussi le peuple rwandais, de parler du lien à nos propres croyances, de revenir à quelque chose qui perdure et a survécu, de le faire avec la jeunesse et avec l’art qui, pour moi, est une forme de résistance à l’oubli et à l’anéantissement.

Cette pièce réunit cinq artistes rwandais aux talents multiples.

Oui, ils ont entre 20 et 31 ans et appartiennent à une génération d’artistes pluridisciplinaires. Ils sont musiciens multi-instrumentistes (percussions, guitare électrique, piano à lames métalliques…), pratiquent les danses traditionnelles, urbaines et contemporaines, ont de belles voix et sont eux-mêmes porteurs de cultures anciennes. Pour Umuko, je puise dans leur richesse mais aussi dans l’arbre que je vais contempler à chaque fois que je retourne au Rwanda. Ses racines vont puiser très loin pour permettre aux branches de se déployer et ces branches pour moi ce sont ces jeunes, chacun est un arbre à son endroit, et ensemble ils sont aussi les branches d’Umoko. Ils ont cette capacité à puiser profondément dans des formes très claires de nos cultures rwandaises tout en étant curieux et créatifs car ce n’est pas moi qui les ai transformés en créateurs, ils l’étaient déjà, je les ai juste réunis pour les emmener là où je voulais aller.

Dans vos spectacles précédents, vous abordiez les traumatismes, notamment celui du génocide, qui marquent les corps. Ici, vous allez plus vers la joie et la vie.

Oui, je n’entre pas par la porte du traumatisme mais par une forme de beauté de la vie, de comment dans la vie et même à travers le traumatisme, il peut y avoir une joie d’être ensemble, d’être encore ici et de la célébrer. Mais il ne s’agit pas que du Rwanda car le monde est traumatisé, on passe par des temps ténébreux, des moments de violence inouïs et je pense que l’on fait partie d’un système traumatique. La question est de savoir comment on arrive à créer du lien pour éviter le repli sur soi et trouver des formes qui portent face à la violence, de l’élan face à ce traumatisme, comment parler de notre moment présent. Avec Umuko, je tisse des liens pour aller vers la poésie qui parfois nous échappe et nous emmène vers d’autres mondes et j’espère que le public recevra cet éclat-là qui est en nous. Les danses sont des danses de joie qui nous unissent et pour moi c’est une de mes pièces les plus lumineuses…

Vous présentez également une pièce de Kae Tempest dont vous avez fait la mise en scène.

Au début, c’était une traduction que L’Arche m’a demandé de faire puis, quelques années plus tard, le théâtre des Bouffes-du-Nord a acheté les droits et m’a demandé de le mettre en scène. J’aime l’écriture de Kae Tempest, sa poésie et sa musicalité. Cela parle d’une histoire d’amour entre deux femmes dans l’univers carcéral mais surtout de la vie, des expériences, des hauts et des bas qui justement peuvent mener à l’incarcération car ces femmes ont un passé dévastateur, notamment par la violence des hommes. Elle aborde des questions de nos réalités et en même temps parle d’amour comme geste libérateur, de comment rendre hommage aux personnes marginalisées, mises sous silence, comment on cultive l’empathie, elle parle aussi de vitalité, de ce que peuvent apporter l’art et la poésie. Ce sont toutes des comédiennes et j’ai intégré le chant, une création sonore et la danse afin de les emmener vers le mouvement et le déplacement dans l’espace, car oui, elles dansent dans cet enfermement !

Umuko – Les 18 et 19 mars à la Maison de la danse
Inconditionnelles – Du 26 au 28 mars au théâtre de la Croix-Rousse
Programme complet : maisondeladanse.com

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