Maurice Berger est pédopsychiatre, spécialiste de la prise en charge des mineurs violents. Pour lui, seule une révolution judiciaire pourrait enrayer l’escalade de la violence chez les jeunes, le Code de la justice pénale des mineurs étant une “catastrophe idéologique”.
Jamais une telle situation ne s’est présentée dans l’histoire de notre pays : une hausse dramatique des actes violents commis par des mineurs et une réponse pénale de plus en plus faible. Pourquoi la situation actuelle est si grave ? Pourquoi en est-on arrivé là ? Quelles solutions peut-on envisager ?
Telles sont les questions qu’aborde le docteur Maurice Berger, après 35 ans d’expérience en pédo-psychiatrie dédiée aux mineurs violents.
Lyon Capitale : Mineurs violents, État inconsistant. Pour une révolution pénale (L’Artilleur), paru en début d’année, clôt une trilogie consacrée à la montée de la violence en France. Sur la violence gratuite en France (2019) décrivait les processus psychiques à l’œuvre chez les sujets violents, Faire face à la violence en France (2021) approfondissait cette compréhension en proposant des réponses concrètes. Que montre ce troisième et dernier volet ?
Maurice Berger : Il montre qu’alors que nous avons atteint un niveau de violence tel que nous ne sommes plus en sécurité sur aucun point du territoire français, nous assistons à une érosion de la peine. Le rapport du Sénat de 2022 sur la délinquance des mineurs indique que si le nombre des délits non violents diminue, celui des agressions augmente, mais des politiques et des juges n’ont pas saisi l’importance de sanctuariser l’intégrité du corps humain, de le préserver des attaques. Une révolution pénale est donc nécessaire.
Selon vous, le raisonnement politique et judiciaire actuel n’est plus adapté à l’époque face à la violence. Pour quelles raisons ?
Un contrat de base de notre civilisation consiste à déléguer à l’État l’utilisation de la force dans l’espace public, nous lui confions ainsi la préservation de notre intégrité physique. Or elle n’est pas protégée, sauf parfois par la police au moment d’une agression. Ce contrat est rompu parce que nous avons installé une tradition d’impunité au lieu d’une tradition de responsabilité. Un adolescent violent m’affirme : “Comme mineur, je ne peux pas être condamné, même si je fais quelque chose de grave.” On a presque l’impression que la justice des mineurs ne prend vraiment les choses au sérieux que dans les situations où il y a un mort, ce qui est alors médiatisé. Notre pays sacralise idéologiquement l’individu et sa liberté personnelle au détriment de la sacralisation de la protection du corps. Il suffit de constater la faiblesse des sanctions concernant les refus d’obtempérer, qui reviennent à aller et venir à sa guise, même lorsqu’ils provoquent des blessures, qui plus est sur des forces de l’ordre. Mais la primauté de la liberté individuelle n’est plus un concept opérant face à la généralisation des comportements violents et du refus de respecter l’autorité. Elle s’accompagne, comme tous les droits, de devoirs, entre autres celui de ne pas mettre autrui en danger, de ne pas frapper. La loi a perdu sa fonction structurante. Car on doit légiférer à partir d’un projet de société qui devrait prendre comme axe directeur la volonté absolue de protéger l’intégrité physique des citoyens. Dit autrement, quelle société voulons-nous ?
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En tant que pédopsychiatre, que pensez-vous du Code de la justice pénale des mineurs entré en vigueur en septembre 2021 ?
Ce code votée sans discussion pour “éviter les excès du débat” est une catastrophe idéologique. S’il a permis que soit prononcée plus rapidement qu’auparavant une décision de culpabilité, ses défauts sont majeurs. Le principe de la césure, qui consiste à déterminer la culpabilité du mineur lors d’une première audience, puis à indiquer la peine six mois plus tard afin d’évaluer comment le mineur a évolué, entraîne une perte du sens de la peine, car beaucoup de mineurs ne font le lien entre leur délit et la sanction que si le temps entre l’acte et sa condamnation est réduit. De plus, la sanction devrait porter sur la gravité de la blessure infligée à autrui et pas sur l’évolution du mineur pendant les six mois qui suivent la première audience. Et la décision judiciaire elle-même n’a de sens que si elle peut s’accompagner de la possibilité d’une incarcération rapide, éventuellement courte. Au contraire, ce code interdit les peines de prison de moins d’un mois, et impose une alternative à l’incarcération pour les peines entre un et six mois, souvent sous forme d’un séjour à domicile avec un bracelet électronique alors que beaucoup de membres de la famille de l’agresseur sont en prison au même moment ou présentent des troubles psychiatriques importants. Ce texte légal ne part jamais de certains besoins des mineurs violents dont celui d’être face à un interdit clair, à un empêchement d’agir, à la constatation que leurs actes ont des conséquences, donc que le réel et autrui existent.
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