Sophie François, directrice du service archéologique de la Ville de Lyon, est l’invitée de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
Une porte et une voie antiques ont été découvertes lors de fouilles au cimetière de Loyasse, sur la colline de Fourvière. Des vestiges rares, bien conservés, qui racontent l’entrée de Lugdunum.
Une voie d’accès à Lugdunum, bien conservée
Le service archéologique de la Ville de Lyon vient de mettre au jour une portion de voie romaine monumentalisée, ainsi que les vestiges d’une porte d’entrée de la cité antique de Lugdunum. Le tout a été découvert au cimetière de Loyasse, à l’occasion d’un projet d’aménagement pour un jardin du souvenir.
"On accompagne les projets de la Ville, et donc il y a eu une prescription d’archéologie préventive", explique Sophie François, directrice du service, sur le plateau de 6 minutes chrono. La voie dégagée, appelée "voie de l’Océan", reliait Lyon à la Manche. "On a aussi trouvé les premiers vestiges de la voie, donc antérieurs au 1er siècle, avec un énorme radier de fondation", décrit-elle.
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Une tour et un fossé en lien avec la bataille de Lyon ?
Autre découverte : une tour circulaire défensive et une porte d’accès à la ville. "Il faut imaginer une tour de plus de 10 mètres de haut, avec une maçonnerie de 1,50 mètre de large", précise Sophie François. À côté, les fondations d’une demi-porte sont apparues, avec les encoches de vantaux en bois, aujourd’hui disparus.
Un fossé a également été identifié à proximité immédiate. Il pourrait être lié à la bataille de Lyon en 197 après J.-C., qui opposa les prétendants à l’Empire Clodius Albinus et Septime Sévère. "On a un fossé en V, de plus de 2 mètres de large, 1,50 mètre de profondeur. On l’associe à des chroniques qui disent que des fossés ont été creusés pour empêcher les troupes de Septime Sévère d’entrer", raconte l’archéologue. Dans ce fossé comblé, les fouilleurs ont découvert les restes d’un cheval, et des centaines de tessons de céramique, permettant une datation précise.
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La découverte des ossements d'un cheval laisse aussi planer le doute sur la possibilité d'avoir trouvé la localisation du cirque de Lugdunum, l'un des mystères les plus anciens de la cité. De fait, si le théâtre, l’odéon et l’amphithéâtre de Lugdunum sont bien identifiés, le cirque antique de la ville reste, lui, une énigme. Aucun vestige n’a été formellement localisé, bien que son existence soit attestée par plusieurs inscriptions antiques.
Les vestiges ne seront pas présentés au public tout de suite. "On les renfouit dans un premier temps pour les préserver", indique Sophie François. Un projet de valorisation pourrait voir le jour, à condition qu’il soit soutenu politiquement. "Ce sera aussi un choix financier que les élus devront faire, probablement au prochain mandat."
Plus de détails et d'images dans la vidéo :
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La retranscription complète de l'émission avec Sophie François :
Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler de vestiges antiques et d'une découverte exceptionnelle qui a eu lieu ces dernières semaines au cimetière de Loyasse, près de Fourvière. Le service archéologique de la Ville de Lyon a retrouvé la première porte monumentale antique de la cité de Lugdunum, qui date du 1er siècle, ainsi qu'une voie romaine quasi intacte. On l'appelle la voie de l'océan, qui permettait de relier Lyon à la Manche. Ce sont des découvertes assez impressionnantes, et pour en parler, nous recevons Sophie François, qui est directrice du service archéologique de la Ville de Lyon. Bonjour Sophie François. Merci d'être venue sur notre plateau. On va rentrer dans le vif du sujet : est-ce que d'abord, vous pouvez nous donner le contexte de ces découvertes ? Comment est-ce qu'on est tombé dessus finalement ?
Oui, alors le service archéologique, on accompagne les projets de la Ville, et donc il y a eu une prescription d'archéologie préventive, donc en amont de travaux d'aménagement, car le projet était de construire un jardin du souvenir sur le site du cimetière de Loyasse.
Et alors, on va rentrer un petit peu plus dans le détail, parler d'abord de la voie, ce qu'on appelle la voie de l'Océan. Il y avait des rumeurs sur sa localisation. Est-ce qu'on s'attendait... cette voie qui relie donc Lyon à la Manche, on s'attendait à la trouver ici ?
Alors, on connaissait en fait son passage à Vaise, mais là on se situe en dehors de la ville de Lugdunum. Et donc là, c'est une découverte importante puisqu'on a vraiment la voie d'entrée dans la ville. Et la différence par rapport aux zones rurales, c'est qu'on a à la fois trouvé les premiers vestiges de la voie, donc antérieurs au 1er siècle, qui sont simplement des cailloutis, et puis on a une monumentalisation de la voie avec un énorme radier de fondations. Il y a plus de 1 mètre de mortier et de cailloux pour venir asseoir les grandes dalles de granit qui permettent en fait d'accéder à la cité. Et la particularité aussi de cette voie, c'est qu'elle est extrêmement bien conservée, et surtout, elle tourne. Elle est légèrement relevée sur le côté pour pouvoir rentrer à l'intérieur de la cité.
D'ailleurs, c'est peut-être bien de le rappeler, la cité était vraiment perchée sur la colline de Fourvière, donc il y avait un fort dénivelé. Et ces voies permettaient d'accéder, grâce à ces pavés — qui permettaient une voie très stable, si j'ai bien compris — à un haut sommet.
Oui tout à fait. Comme c'est vraiment des grandes dalles de granit qui sont extrêmement bien jointoyées, il devait y avoir aussi, avec le pendage, une évacuation des eaux possible, donc pas d'orniérage. Et donc une bonne stabilité. Et puis voilà, cette voie relevée, ça permettait aux charrettes et puis aux piétons aussi d'approvisionner et de rentrer dans la ville de Lyon.
Et justement, vous faites une parfaite transition. On parle de l'entrée de Lugdunum. On a aussi trouvé des vestiges d'une tour circulaire qui était à côté d'une porte. Vous pouvez nous en dire plus ?
Oui, alors en fait, on a trouvé — et c'est ce qu'on a trouvé en premier au diagnostic — une tour circulaire qui fait, il faut imaginer, 8 mètres de diamètre, une maçonnerie qui fait 1 mètre 50 de large. Donc c'est extrêmement important. On n'a évidemment pas l'élévation, mais il faut imaginer une tour circulaire de plus de 10 mètres de haut. Donc voilà, une tour défensive qui se voyait de loin, avec évidemment une enceinte, donc les courtines. Et puis juste à côté de cette tour — et ça, c'est vraiment la découverte de la fouille qui nous a permis d'ouvrir toute la surface destinée à l'aménagement — une porte d'entrée. Alors les portes romaines sont quasiment toutes construites de la même manière, donc pas vraiment de surprise sur la configuration. En tout cas, on a une demi-porte, on a une voie pour les piétons, avec deux bâtons — les bâtons évidemment en bois ont disparu, mais on a vraiment les encoches pour ces bâtons — et puis au centre, une ou deux voies — celles-là, on ne sait pas — pour vraiment les charrettes, avec une simple porte. Donc on est sur une entrée monumentale de la ville. Aujourd'hui, si vous allez à Autun ou à Nîmes, il y a encore des portes de ce type-là qui sont conservées en élévation. Nous, à Lyon, on a effectivement la voie et la fondation de cette tour et de cette porte.
C'est une question peut-être... est-ce que, voilà, on contrôlait les entrées et les sorties de la ville ? Je ne sais pas si on a ce genre de données qui nous reviennent des histoires. Il y avait... ou est-ce que la porte était ouverte, on passait, et puis voilà ?
Contrôle, certainement. Fermée aussi à certains moments, à des moments clés de bataille. Donc oui, c'est vraiment un endroit important aussi de circulation. Ce qu'on peut noter, c'est que la voie, elle est aussi extrêmement large. Donc c'est probablement plutôt une place qui se situe devant la porte pour pouvoir rentrer à l'intérieur de la ville et approvisionner.
Vous avez parlé de bataille. Il y a aussi des fossés qu'on a trouvés qui coupent la voie, si j'ai bien compris, ou du moins à côté de la voie de l'océan dont on a parlé, avec notamment les ossements d'un cheval. Est-ce que vous pouvez un petit peu développer ? Je crois que la photo va passer dans la vidéo. Ce sont donc des traces d'une bataille, la bataille de Lyon, qui aurait eu lieu en 197 après Jésus-Christ. C'est possible de nous la résumer, voilà, cette bataille de Lyon que tout le monde ne connaît peut-être pas ?
Oui, tout à fait. Alors, elle est connue par les textes. C'est une bataille entre deux prétendants à l'Empire : Clodius Albinus, qui est installé à Lyon, et Septime Sévère, qui arrive du nord avec ses troupes. Cette bataille, on pense qu'elle a eu lieu sur le plateau de la Duchère, mais il y a plusieurs hypothèses, et on n'a aucune trace archéologique. Et aujourd'hui, dans cette voie maçonnée, il y a un grand fossé qui a été creusé — plus de 2 mètres de large, 1 mètre 50 de profondeur, un fossé en V — et en fait, on l'associe à des chroniques écrites qui nous disent que Lyon a été... qu'il y a des fossés qui ont été creusés à l'extérieur de la ville pour empêcher finalement les troupes de Septime Sévère de rentrer dans la ville. Donc là, on en a vraiment une trace factuelle, majeure, très lisible. Et donc, malheureusement, Clodius... malheureusement... en tout cas, l'histoire est que Clodius Albinus a perdu la bataille. Les troupes de Septime Sévère sont quand même rentrées dans la ville et ont détruit la ville. Ça marque aussi le début de l'abandon, finalement, du plateau de Fourvière, et les habitations vont plutôt se localiser ensuite, descendre du côté Saône et Presqu'île. Et dans ce comblement de fossé — la voie n'a jamais été réparée, donc on n'a pas remis les dalles — le fossé s'est comblé, et donc dans le comblement du fossé, on a trouvé un cheval. Et là, on est assez tenté de faire peut-être un lien avec le cirque, qui serait possiblement au niveau du cimetière de Loyasse, là aussi, mais sans découverte majeure. Donc on a ce cheval, et puis surtout des centaines de caisses — des centaines de tessons de céramique — qui vont nous permettre de dater, et qui nous ont déjà permis de dater, en fait, le creusement de ce fossé et l'abandon du site au IIIe siècle, en tout cas de la voie pavée, au IIIe siècle après Jésus-Christ.
Pour le cirque, ça va, on parle au conditionnel, parce qu'on ne sait pas du tout où est son emplacement. On sait qu'il est là, peut-être qu'il ne l'est pas, on ne sait pas. J'ai une dernière question rapidement, parce qu'on est à la fin des six minutes chrono. La Ville veut renfouir les vestiges pour les préserver. Pourquoi ne pas sortir ces vestiges pour les exposer plutôt ?
Alors, en fait, on les renfouit dans un premier temps pour les préserver. On doit finir la fouille d'une seconde parcelle. Donc on a simplement des tas de terre à déplacer. Et puis l'enfouissement des vestiges, c'est la meilleure préservation. Il faut qu'on prenne du temps, avec des architectes, pour construire un vrai projet. Et donc l'idée, c'est de ne pas les détruire, de les conserver sous terre, de réfléchir avec des architectes, et ensuite de proposer un projet qui permette à tous de venir voir cette porte et cette entrée de ville.
Ça peut prendre dix ans ou... c'est difficile à répondre ?
J'espère moins.
Après, le cimetière de Loyasse s'est aussi engagé dans une démarche patrimoniale avec des visites. Et donc, mes collègues sont vraiment très investis. Et ce sera aussi un choix financier que les élus devront faire, probablement au prochain mandat.
Très bien, ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup Sophie François d'avoir répondu à nos questions. Quant à vous, plus de détails sur cette actualité antique sur lyoncapitale.fr. À très bientôt.
On peut regretter de ne plus être à l'âge d'or de l'archéologie lyonnaise avec le maire Edouard Herriot et Amable Audin en charge du secteur !