Dominique Verrière, secrétaire général du syndicat UFAP-UNSA Lyon
Dominique Verrière, secrétaire général du syndicat UFAP-UNSA Lyon

"On a instillé dans l’esprit des détenus que tout était permis" déplore Dominique Verrière

Dominique Verrière, secrétaire général du syndicat pénitentiaire Ufap-Unsa Lyon, est l'invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.

La porte d'entrée d'une maison brûle. Les flammes montent jusqu'au toit. Un homme cagoulé tire à la la Kalachnikov contre la façade. Les volets roulants sont fermés. Il fait nuit noire. Les occupants dorment. Il est aux alentours de trois heures du matin, dans la nuit de dimanche 20 avril à samedi 21 avril dans un lotissement paisible de Villefontaine, en Isère. Une nuit de terreur digne d'une scène de guerre.

La vidéo postée sur Instagram est accompagnée d'un texte : "1000 euros à la clé pour toute adresse de surveillant donnée - 2000 € pour chaque adresse chef ou grader - 5 000 € pour adresse directeur de prison. Et merci au personnel pénitentiaire de vendre leurs collègue pour une poignée de billet #DDPF"

DDPF, pour "défense des droits prisonniers français". Les initiales ont également été découvertes taguées sur la porte du garage de la même maison.

Cette attaque ressemble fort à celles en série qui visent, depuis une semaine, les centres et agents pénitentiaires un peu partout en France.

Sauf qu'à Villefontaine, les occupants du pavillon n'avaient aucun lien avec l'administration pénitentiaire. Ils habitaient dans un lotissement où vivent un certain nombre d'agents pénitentiaires, non loin de la prison de Saint-Quentin-Fallavier.

Parquet national antiterroriste saisi

Le parquet national antiterroriste (PNAT) s'est saisi et a ouvert une enquête cpour "participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de crime contre les personnes", "tentative d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste" et "dégradation ou détérioration en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes en relation avec une entreprise terroriste".

Dimanche 20 avril, une voiture a été retrouvée incendiée sur le boulevard des Nations Unies, aux abords de la prison de Lyon-Corbas. Un tag "DDPF" a été retrouvé sur un mur de la maison d'arrêt, près de l'accès pour les véhicules. À Villefranche-sur-Saône (Rhône) près de Lyon, ces quatre lettres ont aussi été taguées près de l'entrée d'un immeuble, dans une rue où vit un agent pénitentiaire. La porte du bâtiment a été incendiée.

"Les incendies et les violences, sans les Kalachnikov, ce sont des choses qui se vivent au quotidien dans les établissements pénitentiaires depuis des années" se désole Dominique Verrière, secrétaire général du syndicat pénitentiaire Ufap-Unsa Lyon. C’est une exportation de la violence à l’extérieur des murs avec des moyens plus amples, et la possibilité de créer des scènes beaucoup plus impressionnantes.

Selon La Tribune Dimanche, les premiers éléments d’enquête montreraient que l'ombre de la DZ Mafia se cache derrière la sigle DDPF et les récentes attaques de prisons.  DZ Mafia – DZ pour “Djazaïr” (Algérie en arabe), l'un des plus gros groupes de narcotrafiquants de France, avec des ramifications partout sur le territoire. "Une sorte de franchise criminelle, une fédération d’associations criminelles, explique Jean-Michel Décugis est grand reporter au service police et justice du journal Le Parisien-Aujourd’hui en France. C’est comme une pieuvre qui a pris toutes les villes et diversifie ses activités au racket de commerces, de restaurants ou de boîtes de nuit à l’extorsion de fonds avec une capacité de projection, notamment dans la région de Lyon."

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Il vient de publier, avec ses confrères Vincent Gautronneau et Jérémie Pham-Lê, Tueurs à gages. Enquête sur le nouveau phénomène des shooters (Flammarion). Le pitch : recrutés sur Snapchat ou Telegram, Nike aux pieds, survêtement Lacoste en panoplie, ils ont entre 14 et 20 ans et exécutent des contrats, pour quelques milliers d’euros, afin de régler des comptes entre gangs de narcotrafiquants. Ils se surnomment shooters et diffusent leurs exploits sanguinaires sur les réseaux sociaux. Bienvenue dans la France du XXIe siècle.

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Sentiment d'impunité en prison

"Tout ça ne date pas d'aujourd'hui, déplore Dominique Verrière. Ça fait longtemps que nous savons que le sentiment d’impunité est renforcé, notamment en termes de réglementation. En 2009, une loi a permis aux règles pénitentiaires européennes de se développer, interdisant un certain nombre d’actes, dont le plus connu : les fouilles réglementaires à l’issue des parloirs pour les personnes détenues. On a instillé dans l’esprit de ces personnes que tout était permis. Et depuis, cela ne cesse de se développer dans ce sens-là, malgré un discours ultra sécuritaire à l’époque."

L'un des problèmes soulevés : la surpopulation carcérale. "Les ratios font qu’on baisse en effectif, alors qu’on explose en population carcérale. Le problème, c’est vraiment la surpopulation carcérale et la gestion des trafics dans la prison."

Les attaques de prisons et menaces à l'endroit des agents pénitentiaires pourraient être une réponse directe à la volonté du gouvernement des établissement de haute sécurité destinées à accueillir les 200 détenus les plus dangereux liés au crime organisé, notamment les narcotrafiquants.


La retranscription complète de l'entretien avec Dominique Verrière

Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd'hui Dominique Verrière. Merci d'être venu sur le plateau de 6 minutes chrono. Dominique Verrière, vous êtes secrétaire général du syndicat pénitentiaire Ufap-Unsa-Lyon. 2 centres pénitentiaires et des agents ont été pris pour cible dans la nuit de dimanche 20 au lundi 21 avril à la maison d'arrêt de Corbas et la prison de Villefranche-sur-Saône. Une semaine après le début d'une vague d'attaques nocturnes contre les prisons françaises. Une vidéo circule aussi à Villefontaine, en Ièsre, où l'on voit quelqu'un avec une Kalachnikov tirer sur une maison dont la porte est en train de brûler. Votre réaction première en voyant ces scènes, ce sont clairement des scènes de guerre.

Oui, ce sont des scènes de guerre, des scènes de violence auxquelles le public lambda, les gens ne sont pas habitués. Malheureusement, nous, on y est un peu habitués. Pas à la Kalachnikov, mais aux incendies et aux diverses violences. C’est quelque chose qui se vit au quotidien dans les établissements pénitentiaires depuis des années. C’est une exportation de la violence à l’extérieur des murs avec des moyens plus amples, et la possibilité de créer des scènes beaucoup plus impressionnantes.

Quand on voit cette vidéo diffusée sur Instagram par le groupe DDPF, avec écrit en-dessous, tecto : "1000 euros à la clé pour toute adresse de surveillant donnée - 2000 € pour chaque adresse chef ou grader - 5 000 € pour adresse directeur de prison. Et merci au personnel pénitentiaire de vendre leurs collègue pour une poignée de billet #DDPF" Un apple à la dénonciation. On essaye de corrompre. On arrive quand même à des stades qu'on aurait pu voir au Mexique.

Oui, tout s’achète. Ce n’est pas tellement étonnant. Il y avait déjà des livraisons par drone, facturées, pour se faire livrer un téléphone, de la drogue, ou même de la viande. C’est facturé, et on en fait la promotion. C’est la modernité, si j’ose dire, c’est l’ubérisation à tout crin du service qui peut être rendu.

Mais là, quand même, on a franchi un cap dans le mode du modus operandi...

...savoir-faire clairement. Bien sûr, et dans le sentiment d’impunité aussi.

Les agents pénitentiaires aujourd'hui dans les prisons françaises, les maisons d'arrêt, ont-ils l'impression qu'il y a un sentiment d'impunité des délinquants enfermés ?

Bien sûr. Mais encore une fois, ce n’est pas d’aujourd’hui. Ça fait longtemps que nous savons que le sentiment d’impunité est renforcé, notamment en termes de réglementation. En 2009, une loi a permis aux règles pénitentiaires européennes de se développer, interdisant un certain nombre d’actes, dont le plus connu : les fouilles réglementaires à l’issue des parloirs pour les personnes détenues. On a instillé dans l’esprit de ces personnes que tout était permis. Et depuis, cela ne cesse de se développer dans ce sens-là, malgré un discours ultra sécuritaire à l’époque.

Justement, vous parliez de réglementation, de loi. Le gouvernement envisage de mettre les plus gros narcotrafiquants dans des quartiers de haute sécurité : sans portable, sans rien. C’est-à-dire qu’ils ne pourraient pas continuer leurs affaires depuis la prison. C’est en lien avec tout ce qui se passe, la vague qu’on a vue, des prisons brûlées, des rafales de Kalachnikov. C’est clairement en lien, une conséquence directe ?

Je n’en sais rien. Je n’irai pas jusque-là. C’est une analyse que veut livrer notre ministre par rapport à ça. Je n’en suis pas si convaincu.

Parce que j'ai vu dans la presse que, selon les premiers éléments de l’enquête, il y aurait l’ombre de la DZ Mafia derrière tout ça, et non pas la "DDPF".

Oui, mais c’est possible. Peu importe, j’ai envie de dire. Le sujet n’est pas tellement de savoir qui c’est. Le sujet, c’est de comprendre comment on en est arrivé là, et pourquoi on a laissé faire tout ça pendant autant d’années. Encore une fois, je pense qu’il y a une responsabilité de la part de nos élus, qui votent des textes sans prendre en compte les avis des personnels de terrain. Ces derniers les soumettent pourtant souvent en amont sur les textes censés être votés. Et ils font n’importe quoi parce qu’ils ne connaissent pas notre terrain.

Les élus sont déconnectés de ce qui se passe dans les prisons, clairement ?

Bien sûr, bien sûr.

Et aujourd'hui, dans les prisons, quel est le sentiment qui règne chez les agents pénitentiaires ?

C’est un sentiment d’isolement. Les élus, certains viennent de temps en temps, certains essaient sincèrement. Mais ils sont quantité négligeable parmi les 577 parlementaires. Et parallèlement, on est aussi lâchés par les magistrats, parce qu’ils remplissent les prisons sans prendre en compte les problématiques que cela nous pose au quotidien à chaque arrivée. On est en surpopulation. À la maison d’arrêt de Moulins (dans l'Allier, NdlR), on a franchi 200 %. On bat des records tous les mois. C’est du jamais vu.

Est-ce qu’il y a aussi des problèmes, et je ne vise pas les agents pénitentiaires – ce sera vraiment la dernière question – de corruption ? C’est-à-dire que c’est très facile de corrompre quelqu’un en lui proposant 10 000 euros pour laisser passer un portable, quand on gagne 10 fois moins.

C’est possible que ça existe. On a déjà eu quelques cas. Mais il n’y a même pas besoin de ça aujourd’hui. Entre les projections, qu’on ne peut pas toutes intercepter parce qu’elles sont tellement nombreuses, et le sous-effectif... Les ratios font qu’on baisse en effectif, alors qu’on explose en population carcérale. Le problème, c’est vraiment la surpopulation carcérale et la gestion des trafics dans la prison.

On vous réinvitera pour en discuter un peu plus longuement, parce que le sujet est d’importance. Quand on voit les vidéos, on a l’impression d’être dans des pays en guerre. Merci beaucoup d’être venu sur le plateau de 6 minutes chrono, et pour plus d’informations, évidemment, www.lyoncapitale.fr. À très bientôt, au revoir.

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