Auteur surréaliste, Raymond Roussel (1877-1933) était un grand excentrique. Son univers romanesque est tellement singulier et déconcertant qu'il est rarement présenté sur les scènes de théâtre. La compagnie Locus solus a pourtant décidé de mettre en scène Impressions d'Afrique, parodie ironique et haute en couleur du colonialisme, datant de 1907. "Parce que c'est drôle, vif, bizzare, mystérieux, bête, foisonnant et surtout très étonnant" résume le metteur en scène Thierry Bordereau.
Foisonnant et étonnant, le récit raconte - entre autres fantaisies - l'histoire de trois naufragés retenus prisonniers par Talou VII, roi d'une localité africaine, qui proposent de prendre part à la délirante revue donnée en l'honneur du sacre du monarque. Talou accepte mais promet aux auteurs d'être suppliciés si leur numéro n'est pas à la hauteur...
La scénographie regorge d'astuces pour donner vie à des saynètes souvent irreprésentables. C'est ainsi qu'une bataille échevelée est dessinée à la craie sur un tableau noir tandis que le cabaret des "incomparables" tient dans une petite valise qui s'ouvre sur des lettres argentées et une guirlande qui clignote... De même, les numéros de music-hall des naufragés, joués jusqu'à l'hystérie, sont présentés avec humour et système D comme ce numéro de tir en 24 balles pour tuer le blanc d'un œuf mollet !
Raymond Roussel aimait la fête à neuneu et le carnaval de Nice, le grand-guignol et les décors de carton pâte ? Locus solus a imaginé un petit décor à cette image, fait de bric et de broc, dérisoire, désuet, mais plein de poésie et d'humour. Un étonnant cabinet de curiosités, plein de tiroirs à surprises, de chausses-trappes et de détails surréalistes, clins d'œil savoureux à Marcel Duchamp et au ready-made. Un néon vertical surmonté d'une mini-peluche de gorille figure un immense arbre de caoutchouc, un crocodile en jouet affublé d'une perruque, un roi africain en tenue d'apparat...
L'ensemble est surprenant et réjouissant. Mais la langue de Roussel est un tel bloc, compact et proliférant, que les comédiens - pourtant très bons - trébuchent parfois, souvent au bord de l'asphyxie. Les spectateurs aussi, qui frisent l'indigestion. S'ils n'étouffent pas sous le flot verbal de ces Impressions d'Afrique surréalistes et délirantes, ils risquent de succomber à la chaleur éprouvante qui règne dans la petite salle du théâtre des Marronniers. Mais peut-être s'agit-il là aussi d'une "impression d'Afrique" ?
> Impressions d'Afrique, d'après Roussel, par la compagnie Locus Solus, jusqu'au 4 mars au théâtre des Marronniers, Lyon 2e. Du mercredi au samedi à 20h30, dimanche 17h. 04 78 37 98 17.