Au Café de la gare, il a "lancé" toute une génération d'acteurs (Coluche, Miou-Miou, Dewaere, Depardieu, la bande du Splendid), mais lui, a toujours refusé de rentrer dans le système.
Lyon Capitale : Quel effet ça vous fait d'être pris pour une sorte de monument : le père fondateur du café-théâtre ?
Romain Bouteille : Je suis considéré comme ça, mais ce n'est pas vrai ! C'est une version simplifiée de la réalité pour les journalistes. En fait, je suis un anarchiste du café-théâtre. J'ai réuni une équipe d'anarchistes d'après 68 (Coluche, Miou-Miou, Dewaere...) et on a fabriqué un café-théâtre, le café de la gare, en anarchie complète. Tout le monde était patron et il était interdit d'interdire ! Comme ça a très très bien marché, avec très peu d'argent investi, tout le monde s'est mis à faire du café-théâtre. Le problème, c'est qu'ils ont oublié l'anarchie, alors ça leur a coûté très cher ! Il y a des café-théâtres qui ferment sans arrêt, d'autres qui sont obligés de se transformer en garage et de louer la salle pour survivre.
Peut-on vous qualifier de "comique" ?
Pour moi "comique", c'est une insulte ! Moi je fais du théâtre ambitieux sur le plan du texte (Les droits des hommes courbes est un spectacle en vers, ndlr). S'il est passionnant, le texte n'a pas forcément besoin de faire rire. Mais le rire est commode car il me donne une indication sur la compréhension des gens.
Ne trouvez-vous pas le café-théâtre un peu "ras-le-slip" ; souvent, ça ne vole pas très haut !
C'est vrai que le café-théâtre attire les petits opportunistes qui aiment bien raconter des bonnes blagues.
Les premiers à se ruer dans l'espoir de gagner de l'argent, de devenir une vedette, c'est bien sûr les commerciaux, ceux dont papa a les moyens et qui n'ont pas de diplômes. Sûrement pas des artistes ! Il y a beaucoup de gens astucieux, malins, mais pas d'artistes. Ce qu'ils font ressemble trop à la vente des chignoles au BHV.
Aucun de ceux qui passent à la télé ne trouve grâce à vos yeux ?
A la télé, je n'en connais aucun qui m'intéresse ! Rien que le fait qu'ils soient encadrés du petit écran, déjà ça définit leur but. En plus, ils en sont encore à des sketchs de 2 minutes hyperformatés pour la télé. Et ils ont tout accepté. Un artiste peut obéir un tout petit peu, par exemple à la salle qui est devant lui, mais pas à ce point-là ! Et pas à un formateur d'artistes, sinon, il sent la frime et l'opportunisme.
Beaucoup de ceux qui sont passés par la Café de la Gare : Coluche, Miou-Miou, Dewaere, Depardieu, et la bande du Splendid ont accédé au star-system. Pas vous. Est-ce par choix ou par accident ?
Je ne demande pas, et on ne me propose pas... Et puis je ne suis pas à table avec eux, ça ne m'intéresse pas, je m'ennuie tout de suite et ça se voit. Il faut avoir des répliques rapides, superficielles, dire du mal des gens... Il y a tout un code pour faire partie de ce monde-là.
Un producteur, il sent très bien que je ne l'aime pas. Or, comme il veut être aimé, il ne va pas me téléphoner ; ça tombe bien !
Est-ce de Coluche dont vous étiez le plus proche ?
Pendant deux ans, il a été le plus proche. Mais après, il est devenu dans le style dictateur. Il ne voulait plus d'anarchie, il voulait pouvoir dire : "toi t'es bon, toi t'es nul" ; il voulait commander, et moi, je ne supportais ni de commander, ni d'être commandé ! Comme on n'avait pas le droit de le virer, tout le monde lui a dit : "on va te laisser le théâtre pour toi tout seul", alors là, il s'est dégonflé et il est parti. On n'avait pas le droit de virer quelqu'un, sous aucun prétexte. C'était une loi, il y en avait une douzaine, et moi, j'étais le garde des Sceaux. Il ne fallait pas enfreindre ces lois, car à ce moment-là, on devenait une démocratie.
Par la suite, avez-vous suivi la carrière de Coluche ?
Ouais, de loin. Coluche, c'était un personnage taillé pour la réussite sociale académique, pour devenir un riche, quoi ! Il était très fort pour devenir une idole, ça c'est sûr, car pour devenir une idole, il ne faut pas avoir trop de scrupules !
Il était un riche qui a fondé les Restos du Cœur !
D'un côté, on peut être révolté contre l'état de misère dans lequel on maintient les gens, et d'un autre côté, on peut aimer commander. Or c'est l'esprit de compétition, le goût du commandement qui nous foutent dans une misère noire aujourd'hui. (...) J'aimais bien Coluche, mais c'est plus fort que moi, je n'aime pas les riches ; je n'ai jamais rencontré, de ma vie, un riche qui m'ait plu. Pour être riche, il faut voler l'argent, d'une manière détournée ou pas. Il faut des domestiques, il faut des fayots, des personnes qui font la police pour vous protéger, il faut un petit gouvernement, il faut des Lederman (agent de Coluche ou le Luron, ndlr) avec lesquels on discute pourcentages... Il faut aimer la dictature, mais faite par soi-même.
Pourquoi êtes-vous contre toute hiérarchie ?
Je suis un peu matheux, je suis pour le rendement. Je n'aime pas l'argent ou le travail qu'on jette par les fenêtres. Or hiérarchiser un travail, ça revient à en jeter 87%. La hiérarchie interdit l'initiative individuelle des gens. Elle ne peut qu'encourager les gens à accepter la drogue de l'obéissance, qui n'est pas désagréable, qui est même assez confortable, mais qui rend bête. A force d'interdire l'initiative, on enlève toute imagination et on la remplace par la routine. Un homme prisonnier perd sa faculté de créer. En arrivant à injecter cette drogue aux gens, on peut devenir soi-même milliardaire. Mais on perd alors l'avantage de tous ces petits génies qu'on aurait eu dans un autre système.
Vous appelez à ne pas voter, car "voter peut provoquer un président grave". Ne pas voter aussi...
C'est sûr que le gouvernement n'est pas d'accord avec moi ! Leur intérêt, c'est d'être élu, quel que soit l'élu, avec le maximum de voix, car économiquement, c'est ce qui permet de signer des contrats à plus long terme et plus importants.
Vous n'avez jamais voté ?
Ah non, surtout pas ! Le vote, c'est du strict camouflage d'une certaine dictature qu'on appelle démocratie.
Aucun candidat n'est porteur d'un discours qui vous intéresse ?
Ça serait plus intéressant d'avoir Bové comme président, mais ça ne ferait que des nuances ! On n'a jamais vu un président tenir ses promesses une fois élu ! Il est très clairement au service des multinationales et il ne peut rien faire qui leur déplaise.
A Lyon, le film Le Graphique de Boscope dans lequel vous jouez est à l'affiche du CNP Terreaux depuis 1974. Que vous inspire cette étonnante longévité ?
La pièce a été bien rodée ; on l'a tourné pendant deux ans, ensuite on a tourné le film en moins d'une semaine, et sans un centime. C'est une curiosité ; on peut dire que c'est le seul film fait par une troupe d'anarchistes ! Mais je ne sais pas pourquoi les gens aiment encore ça, car ça devrait au contraire les choquer !
> Romain Bouteille, Les Droits des hommes courbes, du 21 au 24 février à 21h à l'Espace Gerson. 1 place Gerson, Lyon 5e. 04 78 27 96 99.
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