Nous le publions tel quel, sans changer un seul mot, ni de l'entretien, ni du titre, ni du texte introductif.
Entretien avec Alain Morvan, recteur (20/09/2005)
Ardéchois de naissance, Alain Morvan est recteur de l'Académie de Lyon depuis 2002. En osant sanctionner Gollnisch et en entamant un dialogue musclé avec Lyon 3, Morvan a eu le culot de secouer "l'édredon duveteux" d'une certaine complaisance lyonnaise. Un courage d'autant plus remarquable qu'il ne manque ni de panache, ni d'humour.
Le recteur dynamite
Lyon Capitale : Etes-vous une grande gueule ?
Alain Morvan : Assurément si on entend par là le fait de parler haut et clair des valeurs, au nom de sa mission. Cela implique un devoir de prise de parole qui n'est pas incompatible avec la fameuse "obligation de réserve". Carriérisme et opportunisme ne m'intéressent guère, bien qu'ils ne soient pas rares dans la fonction publique. Si c'était le contraire, ça se saurait !
Vous êtes haut fonctionnaire et vous ne vous sentez pas pour autant tenu à la plus grande discrétion...
Le fonctionnaire d'autorité a surtout le devoir d'être clair et donc de parler vrai, plutôt que de s'évertuer à passer entre les gouttes. Un ancien ministre, auteur d'un livre sur Henri IV, m'a adressé ce livre dédicacé à "Alain Morvan, homme libre". On me dit volontiers incantatoire. C'est que j'ai une haute idée de mes fonctions. J'ai une vision assez mystique du service public. Et puis, dans la vie je pense qu'il faut aller tout droit. Quiconque avance en droite ligne finit par croiser un jour sa mission, voire sa destinée.
Vous parliez de colère tout à l'heure. Qu'est-ce qui vous met en colère ?
Il faut se mettre en colère chaque fois que l'essentiel est en cause. Quand on a l'impression que certains de nos semblables oublient qu'il est des choses intolérables. Il y a des dossiers sur lesquels il ne faut pas transiger. De petite lâcheté en petite lâcheté, on produit de grandes catastrophes. J'ai beaucoup médité sur la fin de la république de Weimar...
Vous faites sans doute allusion la réaction très ferme que vous avez eue aux propos de Bruno Gollnisch l'an dernier. C'est sur ce dossier qu'on s'est aperçu...
... Qu'il y avait un recteur, c'est tout. C'est le plus grand compliment qu'on puisse me faire. Certains ont trouvé que j'allais trop loin. Mais pour rompre avec une certaine tradition lyonnaise, que j'ai appelée celle de "l'édredon duveteux de la complaisance", il fallait fermement replacer le débat sur le terrain de l'éthique universitaire puis de l'éthique tout court.
C'était par rapport aux propos de Gollnisch mais aussi par rapport à tout un système en place à Lyon 3...
Exactement. Il y a une tradition dans cette bonne ville qui consiste à faire semblant de ne pas comprendre ce que veut dire l'autonomie des universités. L'autonomie, ce n'est pas la liberté d'agir en dehors de la loi. Certains bien sûr regrettent (et je les comprends) le temps où le Recteur n'osait rien dire. Certaines règles n'ont pas cours dans cet établissement et ce n'est pas tolérable. Je le dis très calmement. J'aimerais voir plus de transparence, qu'on réponde à mes courriers, qu'on me rende des comptes sur des violences qu'il y aurait eu sur une étudiante, sur certains paiements obscurs, sur la
façon dont certains diplômes auraient été accordés. Qu'on écoute la chambre régionale des comptes...
En arrivant saviez-vous tout cela ?
Pas du tout. Contrairement à ce qu'on essaie de faire croire, en arrivant ici, j'étais sans préjugés, il n'y avait aucune crispation de principe.
On a dit en ville que vous preniez si fortement position sur les propos de Gollnisch pour vous rendre inamovible à votre poste...
Je sais. C'est strictement ridicule et seul des esprits de petite
envergure peuvent imaginer de tels calculs. Dans le même genre, on a aussi raconté qu'une de mes filles serait la filleule de madame Chirac ! Tout ça relève du fantasme. Certains sont incapables d' imaginer qu'on puisse faire une bonne action pour de bonnes raisons. C'est préoccupant. Vous savez, dans la fonction publique, il y a trois secrets : "Pas de vagues, pas de vagues, pas de vagues". Pour moi, c'est ça qui aurait été habile. Cela m'assurerait beaucoup de sérénité aujourd'hui.
Vous n'êtes pas serein ?
Si, mais j'ai dépensé un nombre d'heures incalculable sur ces histoires de révisionnisme. C'est du stress, des attaques. Et croyez-vous qu'il soit agréable d'avoir dû modifier les accès à mon domicile, prendre des précautions autour de mon véhicule, etc.? J'ai une femme et des enfants, ce n'est pas drôle pour eux.
Pensez-vous qu'après votre départ que beaucoup espèrent à Lyon 3, tout redeviendrait comme avant ?
Mon coup de pied dans la fourmilière a été tel que rien, je le pense, ne peut redevenir comme avant. Comme si une pierre blanche (on peut imaginer d'autres couleurs) avait été posée. On ne pourra plus regarder, je l'espère, d'un oeil bonasse et complaisant ce qui se passe en certains endroits.
Etes-vous choqué que Raymond Barre ait décoré Gilles Guyot avant de quitter Lyon ?
Restons-en au niveau des principes. Les décorations, ça va, ça vient. Il ne faut pas mépriser les distinctions: ce serait de l'arrogance intellectuelle. Par définition, il faut être attentif à qui les reçoit. Attention à ne pas créer de désespérance ou d'incrédulité chez nos concitoyens.
Vous êtes un jacobin et ne le cachez pas. N'est-ce pas perçu à Lyon comme une provocation ?
Si je dois faire mon autocritique, je suis, il est vrai, taquin et
titilleur. C'est amusant et ce n'est pas nécessairement improductif. Et puis, prendre la défense de l'Etat, ce n'est pas un crime ! En tout cas ce ne devrait pas l'être ! Je suis très attaché à l'égalité de traitements entre les régions. Instruit par l'expérience, j'emploie maintenant le mot Etat avec discrétion... mais toujours avec conviction. Pour moi un vrai service public, c'est le service de l'Etat. Et je pense que les Universités ont désormais besoin que leur autonomie soit encadrée, évaluée.
On vous reproche aussi d'avoir favorisé de façon arbitraire le déplacement d'une professeure.
J'ai nommé une jeune enseignante au collège de Vaise, dans le 9e. C'est parfaitement exact. Le seul scandale de cette affaire c'est que l'on tente de faire passer pour une carambouille une mesure d'un bout à l'autre régulière. Je dois être bien gênant pour que l'on cherche à brouiller mon image.
Tout petit déjà vouliez-vous déjà être recteur, étiez-vous habité par l'Etat ?
Pas au point d'en faire une mystique comme aujourd'hui. J'étais un jeune homme rangé, je suis un vieux monsieur indigne ! (il rit) Mais, vous savez, c'est quand même malheureux de voir tant de conformisme autour de soi. Et d'être obligé à plus de 60 ans de jouer un rôle de franc-tireur et d'insolent que pourraient tenir des gens plus jeunes. Je n'ai pas participé à mai 68 mais tout de même ! Je pense que le devoir prioritaire de l'Education nationale est de développer l'esprit critique, les valeurs.
Quelle est la pire dérive de l'Education nationale ?
L'économisme mal compris, vouloir produire des formations en adéquation absolue avec les métiers. Ce qui fait que quand il y a des mutations économiques ou technologiques, les gens sont jetés comme des mouchoirs en papier. Il faut dans l'enseignement un minimum de dimension généraliste même dans des filières axées sur les métiers.
Quel est votre mot préféré ?
L'honneur et le courage.
Votre insulte préférée ?
Con et tous ses dérivés. Petit, grand, sale... Un jour au lieu de "sale con", quelqu'un a grommelé "vieux con" en ma présence. J'ai accusé le coup (il rit).
Vous êtes un linguiste. Qu'est-ce qui vous énerve dans le langage courant ?
Quand on dit "conséquent" au sens "d'important", "réaliser" à la place de "comprendre", "initier" à la place de "prendre l'initiative", "démarrer" pour "commencer". Et je déteste la présence impropre du trait d'union dans "compte rendu".
Qu'est-ce qui vous irrite dans la vie ?
Attendre. Et les petits messieurs qui grenouillent autour des pouvoirs, les carriéristes et les courtisans, ceux que Jules Romains appelle les "champignons d'antichambre". Se méfier. Certains peuvent être vénéneux. Notre système en produit trop.
Vos héros ?
De Gaulle, belle figure solitaire. Churchill, comme orateur, avec son sens des formules qui tirait toujours l'esprit humain vers le haut. Rostropovitch. J'ai croisé son regard une fois, un regard d'une ferveur, d'une jubilation surnaturelle. Et puis j'ai une admiration secrète : Stauffenberg. Un petit hobereau courageux qui failli réussir a tuer Hitler.
Vos zéros ?
Ceux qui dénigrent l'Ecole en avançant derrière une pseudo-critique libérale qui cache un vrai mépris social.
Finalement, êtes-vous un provocateur monsieur le Recteur ?
J'espère. C'est la moindre des choses quand on a des responsabilités. Vous ne trouvez pas ?
Propos recueillis par Philippe Chaslot