Mais tu ne m'as pas demandé mon avis. Et tu pars. C'est que l'aventure de Lyon Capitale (précédemment Côté Scène) est étroitement liée à celle du Théâtre de la Croix-Rousse. Pour être plus précis et plus impudique, j'oserais dire que ces deux aventures se rejoignent dans l'histoire des hommes que nous sommes, toi et moi. Pourquoi avons-nous été tout de suite amis, tout de suite proches, tout de suite de la même famille ? Tout de suite fidèles l'un à l'autre, tout de suite solidaires l'un de l'autre, tout de suite dans les mêmes combats, tout de suite dans les mêmes espérances, tout de suite ensemble, quoi !
Je t'ai connu lorsque tu étais critique aux "Dernières heures lyonnaises ". Tu avais écrit un article sur l'un de mes spectacles, La Caresse, avec Catherine Mouchet qui sortait du triomphe de Thérèse, le film d'Alain Cavalier, où elle avait reçu le grand prix d'interprétation à Cannes. Cet article restituait avec une telle sensibilité, une telle délicatesse le sujet même de la pièce, puisqu'il s'agissait de rêver sur la mémoire des caresses sur la peau, que j'ai cherché à savoir qui était ce critique si sensible aux caresses. C'était toi. De là est né ce compagnonnage silencieux où l'on ne dit pas les choses, mais où elles existent de toute évidence. Cathy Bouvard est arrivée presque avec toi. Elle fut une Secrétaire générale géniale pendant les cinq premières années du Théâtre de la Croix-Rousse. Puis elle partit vers les Subsistances. Cet épisode fut douloureux pour les uns et pour les autres mais toi, tu nous gratifias à ce moment-là de toute ton attention, de ton immense désir que nous ne reniions pas le passé mais qu'au contraire, nous le gardions précieusement, comme une promesse d'avenir. Anne-Caroline Jambaud, dès Côté Scène, fit elle aussi partie de notre histoire. Je me souviens du Numéro spécial que nous avions fait à propos des 10 ans de Lyon Capitale et du Théâtre de la Croix-Rousse. Numéro mémorable où tous les journalistes de ton journal avaient écrit en des portraits concis, l'histoire artistique, politique, sociologique de ces dix dernières années. Je me souviens aussi de toute l'équipe de Lyon Capitale qui était venue découvrir mon premier one man show, Moi tout seul. Je me souviens de nos dîners avec Philippe où nous refaisions le monde avec ironie mais mine de rien, sérieux. Il serait trop long d'évoquer nos souvenirs communs. Tu sais que j'ai toujours défendu l'idée que Lyon Capitale était une aventure en tout point remarquable, parce que comme celle du Théâtre de la Croix-Rousse, elle n'avait pu résister au temps que par une urgence de faire, une urgence de partager, et une urgence d'aimer les autres. Oui, cher Jean-Olivier, ce sont ces urgences-là qui battent encore dans nos cœurs, ces urgences-là qui te donnent envie de tenter une nouvelle aventure, ces urgences-là qui me disent que pour le moment, il faut encore que j'achève de propulser La Croix-Rousse, nouvelle scène nationale, dans l'avenir.
Tu vas évidemment beaucoup nous manquer. Je vais me sentir un peu plus seul mais bon, ça c'est la destinée humaine. Je viens de t'avoir au téléphone, ta voix était libre et gaie. Tu m'as parlé d'un tour de la Méditerranée. C'est donc qu'avec Philippe, vous êtes heureux de réinventer votre vie. J'ai envie de te dire : chapeau l'artiste ! Et si un jour tu as besoin de moi, je te trouverai une place au Théâtre de la Croix-Rousse (je saurai bien convaincre nos tutelles à ce moment-là que ta présence chez nous serait vitale...)."
Philippe Faure, directeur du Théâtre de la Croix-Rousse
Lettre à Jean-Olivier
à lire également
Les commentaires sont fermés