LIBRES PROPOS SUR RAYMOND BARRE PAR XAVIER ELLIE

Neuilly connut un autre destin et les gones de Montchat et du boulevard des Belges n'eurent pas à s'en plaindre.
Contrairement à ce qui a parfois été dit ou écrit, Raymond Barre s'attacha à Lyon avec patience, opiniâtreté et succès.
Porte-voix efficace de Lyon pendant 25 ans, il défendit avec brio les intérêts et les projets de la capitale des Gaules, sans ménager sa peine et sans exclusive.
Esprit libre, Raymond Barre l'était incontestablement ; il s'était forgé ses propres convictions durant son enfance et son adolescence à l'Ile de la Réunion, entouré de tendresse familiale mais aussi confronté à la mesquinerie d'une société hyper-provinciale et semi-coloniale, lors de l'épreuve qui avait injustement pesé sur son père à la fin des années 1920.
Très doué pour l'étude, il trouva dans la littérature, le droit et l'économie de quoi satisfaire sa soif de comprendre et son ambition de servir.
Professeur d'Economie à Tunis, à Caen, à Paris, Raymond Barre était surtout connu pour être un homme d'Etat.
Par l'ampleur de ses conceptions, par sa vaste culture historique et économique, par ses expériences humaines, par son allonge internationale, son intégrité personnelle et sa netteté de langage, Raymond Barre avait indiscutablement ce sens de l'intérêt supérieur et du rayonnement national ; qualités que les français reconnaissent spontanément aux leaders énergiques capables de tirer ce peuple difficile des situations hasardeuses où le plongent parfois la douceur du climat et le flottement des mœurs.

Maîtrisant les mécanismes du pouvoir, ses ressorts secrets et son cynisme, il n'hésitait pas, comme adepte de la realpolitik, à recevoir dans l'intérêt de la France, des chefs d'Etat et des puissants peu recommandables.
Etait-il machiavélien ? Sans doute; mais il était aussi extraordinairement naïf, toujours surpris de n'être pas aimé pour lui-même ou de ne pas être apprécié à sa juste valeur, dont il avait une claire conscience.
Enveloppé de la froideur de l'Etat, il restait un être humain, complexe et contradictoire, insaisissable et finalement solitaire. Tendre ou brusque, courtois ou glacial, proche ou hautain, il avait ses chouchous, tel Gérard Collomb, dont il appréciait la culture et dont il avait décidé qu'il serait son successeur.
Il avait aussi ses bêtes noires et ses dadas : il abhorrait les contreparties si répandues des grands marchés publics, il détestait le RPR de l'époque dont il pensait qu'il l'avait, à l'élection présidentielle de 1988, volontairement cisaillé. Et il avait vainement rêvé du canal Rhin-Rhône.
Son héritage politique, sitôt sa disparition connue, est âprement disputé et nul ne peut douter qu'il sera, avec son bataillon de fidèles centristes et de blondes papillotées, l'arbitre de la prochaine municipale de Lyon; chacun se découvre barriste.

Fidèle en amitié pour ses proches, ses collaborateurs et les lyonnais même s'il ne se gênait pas pour fustiger les Ainay qui se contentaient de regarder couler la Saône. Il était aussi constant dans ses inimitiés, notamment à l'égard de la presse et des journalistes qui le lui rendaient mot pour mot, trait pour trait.
Animal politique, il ne dormait que d'un œil et fonçait comme un rhinocéros sur l'imprudent ou l'imbécile qui ne l'avait pas compris ou qui avait travesti ses actes ou ses propos.
Dans la vie quotidienne, son train de vie était simple et frugal.
Dans l'exercice de ses fonctions, il assumait et appréciait les fastes et l'apparat de notre monarchie républicaine.
Comme sa charmante épouse, Eve, à l'intelligence raffinée et à la personnalité affirmée, il aimait la vie, les réceptions brillantes, la musique viennoise et la cuisine des mères.
Sachant recevoir à l'ancienne, avec un mot pour chacun, il mettait ses invités à l'aise, quelle que soit leur position ou leur fonction.
Doté d'une mémoire redoutable utilisée comme une arme fatale, il se souvenait de tout, de tous et de chacun, d'une parole, d'un geste, d'un signe, d'un soutien, d'une offense.
On le disait rancunier – c'était vrai – c'est qu'il avait été blessé. Mais son humanisme sincère le retenait d'être jamais venimeux ou méchant.
Servi par sa voix inimitable, et par ses lectures de Chateaubriand et de Tocqueville, il préférait l'humour, qu'il avait fin, abondant et ravageur; il faisait rire, même les communistes.
Toujours digne, avec son élégance classique et un peu surannée, Raymond Barre restera pour ceux qui l'ont connu et pour l'éternité, une personnalité riche aux dons exceptionnels, marquée par la fidélité aux siens, à ses idées, à son labeur et à la grandeur et au rayonnement de sa patrie.
Irritant, âpre, difficile pour ceux qui le gênaient, le combattaient ou se méprenaient sur sa vraie nature.
Facile, généreux, marrant, aimant, aidant pour ceux qui l'admiraient ou l'adoraient.

Homme de conviction, libéral, catholique, social et européen, homme d'Etat comme Colbert ou Turgot, homme de bonne volonté, Monsieur Barre aura su garder au cœur de ses vies son mystère et sa différence.

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