DECES DE RAYMOND BARRE : ESPRIT LIBRE CONTRE ESPRITS LIBRES

A coup de provocations, l'ancien maire ne s'est pourtant pas fait que des amis... en particulier à Lyon Capitale.

"Vous auriez dû faire exécuter cette scribouillarde". C'est le conseil donné par Raymond Barre, alors maire de Lyon, en plein conseil municipal à son premier adjoint Christian Philip. La "scribouillarde" en question, c'est Anne-Caroline Jambaud, une des fondatrices de Lyon Capitale. Entre l'ancien premier ministre et l'hebdomadaire, les rapports ont toujours été houleux. "Lyon Capitale, vous défoncez le caniveau !" avait-il encore lâché en conférence de presse. Barre avait d'ailleurs un temps interdit Lyon Capitale de mairie.
Il faut dire que Lyon Capitale a été résolument "anti-barriste" dés l'annonce de sa candidature à la mairie de Lyon. Barre était sans doute un brillant universitaire et un homme d'Etat, à la parole étonnamment libre. A l'heure de sa mort, c'est cet aspect qui a été le plus unanimement salué. Nicolas Sarkozy a ainsi évoqué un "esprit libre et indépendant" et un "personnage à part dans le personnel politique français". Pour François Fillon, il était "un Premier ministre qui n'a jamais hésité à dire la vérité aux Français". Mais Barre a pu aussi mettre sa grande liberté de parole au service de provocations qui ont suscité des polémiques virulentes, en particulier lorsqu'il dénonça un "lobby juif", ou qu'il témoigna en faveur de Bruno Gollnisch, Maurice Papon, ou de l'abbé Escrivà de Balaguer, fondateur de l'Opus Dei, lors de son procès en béatification. Barre a pu aussi mettre dans l'embarras ses propres amis, lorsque par exemple, il fait "vider" la place des Terreaux pour accueillir le numéro un chinois, Jiang Zemin, alors que dans le même temps, à quelques mètres de là, Lyon Capitale accueillait le dissident chinois Wei Jingsheng.
Entre Barre et Lyon Capitale, c'était surtout deux regards sur la ville radicalement différents. L'ancien maire, au fond, estimait la fonction un peu étroite pour sa stature. Quelques années avant de s'y porter candidat, il avait d'ailleurs exclu de l'exercer, lâchant qu'il n'avait "aucun goût pour le ramassage des poubelles"... De fait, Raymond Barre n'a guerre fait plus qu'un mi-temps à la mairie de Lyon, se consacrant à la promotion internationale de sa ville et laissant le quotidien à son cabinet et à son premier adjoint. Le temps passé à Lyon lui pesait, lui qui confiait souffrir dans cette ville de solitude intellectuelle.
Le moins bon maire de Lyon ?
En 6 ans, son mariage de raison avec Lyon n'aura pas évolué en union passionnée : en 2002, les Lyonnais l'ont placé dans un sondage, en avant-dernière position des 5 maires du siècle. A l'heure de sa mort, il est de bon ton de dresser un bilan élogieux de son passage à la mairie de Lyon. Et les candidats aux prochaines municipales, Gérard Collomb (PS) et Dominique Perben (UMP) en tête, se dispute déjà son héritage. On cite le classement de la ville au patrimoine mondial de l'Unesco, le salon Biovision, le G8 ou encore les deux premières lignes de tramway. On se souvient cependant de sa mise en minorité humiliante de 1997 sur le dossier des crèches, l'échec cuisant de son "plan performance", mais aussi la crise de confiance sans précédent qui agita les cadres-fonctionnaires de la communauté urbaine, stigmate le plus cruel des dysfonctionnements relevés pendant toute cette mandature dans les exécutifs de la Ville et du Grand Lyon. Comme l'a confié avec un petit sourire navré son ami lyonnais Robert Batailly : "Il pensait que ce serait plus facile". Barre, qui avait hérité d'une droite divisée, la laissée en charpie... offrant ainsi la ville à la gauche et au PS Gérard Collomb.

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