Dans son atelier de Sainte-Foy-lès-Lyon règne un clair et très léger désordre. "C'est mon vrai plaisir. La joie qu'il y a à faire monter la lumière dans un tableau est ineffable" confie Jacques Oudot. Au terme d'une carrière politique de près de 15 ans, l'ancien adjoint à la culture de la ville de Lyon, de 1989 à 1995, et le vice-président de la Région chargé de la culture depuis 1986 peut désormais tout entier se consacrer à son art. "Je n'ai pas de rancœur (...) J'ai pu créer des choses extraordinaires..." raconte-t-il, alors qu'il vient d'être évincé des listes de Charles Millon aux élections régionales.
C'est sous son "règne" que furent réalisés de grands projets comme la rénovation du musée des Beaux-arts, la transformation d'Octobre des arts en Biennale d'art contemporain, le musée d'art contemporain, le théâtre de la Croix-Rousse ou encore l'Opéra Nouvel. De superbes témoins de la flamboyance des années Noir. Sans compter ses créations régionales comme le chèque culture, la Villa Gillet ou Rhône-Alpes Cinéma.
Une carrière émaillée d'épisodes épiques, comme celui de l'enterrement de l'œuvre d'art de Parmeggiano dans le jardin du palais Saint-Pierre. Cet épisode insensé, provocateur et génial contribua à propager dans la ville cette sentence devenue proverbiale : "Oudot ? Il est fou !" L'élu, jugé "stalinien", "terroriste" ou plus gentiment "loufoque" a su s'attirer de solides inimitiés dans le milieu culturel et surtout politique. Mais la complexité du personnage tient essentiellement à la multiplicité de ses visages, tout à la fois peintre, chirurgien, chercheur, père de famille, écrivain, politique ou médecin thermaliste.
Cet homme pétri de culture, qui entretient une correspondance suivie avec de grands intellectuels comme Régis Debray, apparaît très vite comme une figure à part sur l'échiquier politique. Capable de grands enthousiasmes, Oudot pouvait littéralement s'enflammer ; certains se souviennent l'avoir vu fondre en larmes dans son bureau parce qu'il ne pouvait pas leur accorder la subvention tant souhaitée. "J'étais un peu trop artiste pour être politique" analyse-t-il. "Oudot considère la culture comme un combat, une vraie aspiration. Il ne gère pas la culture ; il la rêve. Quand il rencontre les artistes, c'est souvent le pape Jules II face à Michel Ange" estime le directeur de la Croix-Rousse Philippe Faure, tandis qu'à l'Institut Lumière, Thierry Frémaux reconnaît que Jacques Oudot a toujours été "un vrai interlocuteur". C'est sûrement exact pour les institutions et les artistes reconnus, nettement moins pour les petites compagnies, les arts mineurs et la culture émergente qui ont beaucoup souffert de son mépris et d'une politique culturelle de prestige. "Mégalo ? J'ai effectivement une certaine ampleur dans mes rêves : je préfère Goethe à Céline et je suis peut-être trop chercheur d'absolu" reconnaît l'ancien adjoint.
Farouchement honnête, Jacques Oudot aurait hérité du surnom d'Eliott (l'incorruptible) auprès des RG tandis qu'il regardait avec peine et incompréhension le rêve noiriste s'effondrer sous le poids des affaires. "Je ne suis pas sûr de m'être trompé sur Michel Noir" confiait-il au moment de tourner la page de la carrière politique qu'il avait engagée à ses côtés. Lors de ses obsèques, Michel Noir a rendu un vibrant hommage à cet homme passionné jusqu'à la souffrance. Selon ses proches, ses dernières années, pourtant marquées par une longue maladie, ont été plus apaisées, adoucies par la peinture, la lecture et l'amitié.