Le 21 novembre, le tribunal de grande instance de Paris décidera de la recevabilité, ou non, de la plainte pour diffamation déposée par la puissante organisation Opus Dei contre l'auteur drômoise et l'éditeur du polar Camino 999, qui se passe en grande partie à Lyon. L'association de la prélature de l'Opus Dei estime en effet que "le mélange de fiction et de réalité" de ce polar qualifié de "fiction journalistique" est attentatoire à l'honneur et la considération du mouvement traditionnaliste catholique.Il faut dire que Camino 999 (le titre fait clairement référence au livre le plus célèbre du fondateur de l'Opus Dei, Camino, formé de 999 maximes spirituelles) n'y va pas par quatre chemins. Ce polar haletant, qui suit une enquêtrice de la Brigade criminelle de Lyon, impute en effet crimes et détournements de fonds (avérés) à des membres (fictifs) de l'Opus Dei qualifié de "Santa Mafia, bras armé du Vatican". Mais franchement, rien de plus méchant que le best-seller Da Vinci Code, que l'Opus Dei s'était bien gardé d'attaquer (lire ci-contre). De Lyon à l'Argentine, Camino 999 décrypte les relations troubles entre le pouvoir et l'argent au sein de l'Opus DeiPourtant, c'est ce polar que l'Opus Dei a choisi d'attaquer, et selon un argumentaire assez déconcertant. Contrairement à l'usage qui impose de citer clairement les passages considérés comme diffamatoires, maître Varaut, avocat de l'association cultuelle, estime que l'ouvrage "doit être considéré comme entièrement diffamatoire" et ne cite qu'une série imprécise de pages. Reconnaissant que les descriptions faites de l'Opus Dei dans l'ouvrage sont "souvent exactes", maître Varaut estime que c'est le mélange de "fiction et réalité sans précaution particulière et sans avertissement aux lecteurs" qui pose problème. Si le tribunal décide de renvoyer l'affaire au fond, les juges auront donc à se prononcer sur l'épineuse question du statut de la fiction et ses rapports à la réalité. Que ressortirait-il d'une bataille juridique dans les arrière-cuisines de la création littéraire ? L'enjeu du délibéré du 21 novembre est de taille. Au-delà de l'existence même d'une petite maison d'édition indépendante, qui ne se relèverait pas des 30 000 euros de dommages et intérêts réclamés, c'est "la liberté d'expression et de création littéraire qui est mise en danger" estime l'éditeur Jean-Jacques Reboux. Les romanciers devront-ils à l'avenir truffer leurs ouvrages de notes pour expliciter ce qui relève de la fiction et de la réalité, au risque de devenir illisibles ? Devront-ils s'interdire d'aborder des sujets sensibles ? Un John Le Carré pourra-t-il continuer à évoquer les exactions des multinationales en Afrique ou une Dominique Manotti le démantèlement des usines Daewoo de Lorraine ? L'Opus Dei se garde bien de réclamer la censure ou le retrait de l'ouvrage. Mais pour Jean-Jacques Reboux, le message de cette assignation, avec sanction financière à la clé, est clair : "mesdames, messieurs les écrivains, tournez votre souris sept fois dans votre disque dur avant d'écrire, pesez non seulement vos mots, mais aussi vos sujets, nous vous avons à l'œil, et nous avons les moyens, vous non." Une menace d'auto-censure pèse sur l'un des derniers espaces de liberté : le roman."Pourquoi nous et pas le Da Vinci code ?"C'est en substance ce qu'a demandé Me Pierrat, qui défendait l'auteur et l'éditeur de Camino 999, lors de l'audience du 7 novembre dernier. A la sortie du best-seller de Dan Brown, l'Opus Dei avait préféré se lancer dans une vaste opération portes ouvertes, par ailleurs rondement menée, plutôt que d'attaquer au tribunal. Le Da Vinci Code met pourtant clairement en scène des prélats de l'Opus Dei hypocrites, psychopathes et assassins ! "Je trouve le bouquin de Dan Brown bien plus virulent que le mien !" estime Catherine Fradier. Dans un communiqué, l'Opus Dei justifie ce changement d'attitude par le fait que dans le Da Vinci Code, l'Opus Dei ne serait, en substance, que la victime collatérale d'une thèse mettant en cause la divinité du Christ et l'origine de l'Eglise. Alors que là, dans le titre même de Camino 999, "l'Opus Dei est directement et explicitement visé". "Peut-être qu'ils se sont attaqués à nous parce qu'ils pensaient qu'on n'aurait pas les moyens de se défendre ?" s'interroge Jean-Jacques Reboux, qui s'est heureusement adjoint les conseils d'un bon avocat grâce à un appel à souscription suivi par 150 personnes. "Après la lune" est une toute petite maison d'édition sans commune mesure avec les éditions Lattès, adossés au puissant groupe Lagardère. En l'assignant en justice, l'Opus Dei a-t-elle voulu obtenir, à bon compte, un jurisprudence susceptible de dissuader ensuite tout éditeur de l'attaquer ? L'OPUS DEI DEBOUTEMercredi 21 novembre, les magistrats de la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grand instance de Paris ont déclaré nulle l'assignation en diffamation déposée par l'Opus Dei contre l'auteur de "Camino 999" Catherine Fradier et l'éditeur Jean-Jacques Reboux. L'Opus Dei a donc été déboutée de sa demande (30.000 euros de dommages et intérêts), et a été condamnée à verser 2.000 euros de dommages et intérêts à l'auteur et l'éditeur au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. La justice ne débattra donc pas, sur le fond, du caractère diffamatoire ou non de ce polar lyonnais."Tant mieux pour les écrivains, la liberté d'expression et... nos nerfs !" se réjouit Jean-Jacques Reboux des éditions Après la lune. "Cette décision judiciaire est d'une importance vitale. Pour Catherine Fradier, qui va pouvoir continuer à écrire des romans mettant en lumière certains éléments sombres de notre société. Pour les éditions Après la Lune, qui vont donc pouvoir continuer à exister - une condamnation nous aurait contraint à mettre la clef sous la porte - et à publierdes livres de fiction, dans les conditions - difficiles - qui sont celles des petits éditeurs" poursuit-il.
L'Opus Dei menace la fiction
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