Après avoir créé les week-ends de création aux Subsistances et le festival Les intranquilles, et avant de lancer une fête des fleuves (à l'horizon 2010), il réédite les Assises internationales du roman, cette semaine, à Lyon. Son énergie et son franc-parler lui valent parfois quelques critiques, dont celle de constituer un petit "empire" culturel à Lyon. Réponses sans détour.
Lyon Capitale : Pourquoi avez-vous créé un événement autour du roman ?
Guy Walter : Parce que c'est une forme universelle en constante métamorphose. Le roman fait preuve d'une adaptabilité assez incroyable ; c'est une forme qui se différencie selon les cultures, les situations et qui ressemble un lectorat vaste, hétérogène. On pouvait donc créer un événement très public, en même temps que rigoureux.
Pourquoi avez-vous appelé cet événement du terme assez austère d' "assises" ?
Parce que ce n'est ni un festival, ni un salon. Le terme d'assises dit bien notre volonté de réunir un public, des auteurs, de prendre le temps de la réflexion, d'entrer dans les univers romanesques pour en comprendre la force. Les Assises ne célèbrent pas les auteurs ni les livres, mais essayent de nous faire entrer dans l'expérience de l'écriture et de la lecture. On est donc loin de toute forme de consumérisme culturel et détachés de l'actualité éditoriale. Avec l'équipe du "Monde des livres", on essaie de comprendre quelles sont les lignes de force qui traversent le roman sur un plan international et de créer ainsi un temps fort de la réflexion sur la littérature, et sur le monde. Car réfléchir à la littérature, c'est réfléchir au monde qui nous entoure, aux vies qu'on mène.
A l'issue de la première édition, l'auteur irlandais Colum Mac Cann a dit que les Assises pourraient être "l'un des festivals littéraires les plus importants au monde". Rien que ça ! Est-ce votre ambition ?
Ce serait démesuré et un peu grotesque ! Notre ambition, c'est surtout que chaque édition soit un temps fort de la réflexion sur le roman. Et que la littérature, la pensée littéraire, soit au cœur de l'événement. Colum Mac Cann est très célèbre, et souvent invité, de partout. Je crois que c'est la première fois qu'il avait le sentiment que les écrivains se parlaient entre eux et s'adressaient à un public qui lui même réagissait vraiment. Cela est tout simplement dû au mode d'organisation, à l'esprit dans lequel on travaille, aux contraintes qu'on s'est imposées. On demande aux écrivains d'apporter une contribution écrite, mais ils sont contents d'y répondre, parce qu'ils savent que leur parole va être entendue et discutée. Ce souci d'exactitude n'est pas incompatible avec un public vaste. On a prouvé qu'on pouvait faire un grand événement médiatique, convivial et en même temps rigoureux, précis.
De quelles rencontres attendez-vous le plus cette année ?
J'ai déjà lu les textes, je suis donc très confiant sur la qualité de toutes les interventions... Je trouve très belle la question de la fissure géographique : comment une zone d'instabilité géo-politique engendre-t-elle des formes d'écriture ? C'est un sujet très juste politiquement aujourd'hui, donc j'en attends beaucoup. De plus, Nuruddin Farah est un immense écrivain somalien de langue anglaise, Dany Laferrière est complètement génial et l'albanais Fatos Kongoli m'intéresse beaucoup. La rencontre avec Carlo Ginzburg pourrait être passionnante et assez inattendue. Cet historien prestigieux va parler de la façon dont la littérature, et le roman en particulier, ont influencé sa pratique de l'histoire. Autre forme étrange : le dialogue qu'aura Adam Thirwell avec des images d'archives d'écrivains ; je suis curieux d'entendre comment Thirwell va répondre à Nathalie Sarraute, Marguerite Duras, Wladimir Nabokov...
Peut-on dire que le langage est au cœur de votre travail, aux Subsistances comme à la Villa Gillet ?
On peut définir une institution par les disciplines qu'elle aborde : aux Subsistances, théâtre, danse, nouveau cirque ; à la Villa Gillet, sciences sociales et humaines, philosophie et littérature. Mais ce qui unit toutes ces disciplines, c'est qu'elles appartiennent toutes au langage, qu'elles sont des paroles adressées. On n'a pas le goût des formes pour le goût des formes. Les formes nous intéressent parce qu'elles sont éloquentes, parce qu'elles expriment quelque chose. C'est ça l'importance du langage : l'interaction entre les individus, la construction d'un monde, l'invention d'une réalité.
Entrer dans l'expérience des langages artistiques, c'est clairement la vocation des Subs, de la Villa, et des Assises en particulier. Il s'agit d'éveiller des langages nouveaux qui nous permettent de mieux comprendre le monde, de mieux nous exprimer, d'aller au plus près de la complexité du réel.
Vous organisez les Assises internationales du roman, les Intranquilles, les week-ends de création aux Subsistances, prochainement une fête sur les fleuves...
Vous êtes devenu l'un des plus grands producteurs d'événements artistiques à Lyon. Pourquoi développez-vous cette dimension événementielle ? Est-ce un passage obligé pour attirer le public, les médias ?
Faire événement en soi ne m'intéresse pas. Que les Assises soient un événement d'envergure international fortement médiatisé, c'est vrai. Mais je souhaite qu'elles le soient parce qu'elles ont une signification profonde. Ce qui m'intéresse, c'est de créer des zones d'intensité et de réflexion.
Aux Subsistances, on organise les week-ends de création non pas pour qu'il y ait beaucoup de spectacles mais parce que la pluralité des propositions artistiques permet à des sensibilités très différentes de s'exprimer. Ça permet à chacun de se construire un parcours au cours duquel il a le droit de comprendre, ne pas comprendre, hésiter, aimer, moins aimer. Pour choisir d'aller voir un spectacle, il faut savoir de quoi il s'agit, il y a un présupposé de connaissance. Alors que s'il se passe plein de choses sur un site pendant quatre jours, les gens vont aller voir sans être tenus de savoir ce que c'est. Donc ça lève des tas d'inhibitions culturelles !
Vous pouvez noter qu'on produit tous ces événements sans bénéficier de budgets surpuissants - même si on ne manque pas d'argent. Si des dispositifs comme les nôtres, actifs et novateurs, peuvent créer autant de réalités nouvelles dans une ville et dans une région, c'est avant tout grâce aux convictions, à l'intelligence au travail et la force des idées.
Le volet culturel du plan de mandat de Gérard Collomb est très clairement influencé et nourri par vos réalisations et vos projets. Presqu'exclusivement ! Est-ce parce vous êtes plein d'idées, qu'il y a un déficit de projets par ailleurs, ou parce que vous avez vos entrées à la mairie pour décrocher les budgets ?
Soyons clairs : la relation, de dialogue et de confiance, que j'ai avec le maire, repose entièrement sur le contenu de notre travail. Il n'y a aucune connivence politicienne ou politique : je n'ai pas "d'entrées" à la mairie de Lyon qui me permettent de décrocher des budgets. Je ne suis pas dans la sphère privée du maire. J'ai simplement réussi à convaincre mes interlocuteurs de la validité de nos projets. Le maire a fait l'analyse que dans sa ville, les Subs et la Villa étaient un élément moteur. Et comme il a envie d'une ville prospective, internationale, novatrice, eh bien il se retourne vers nous, sans négliger pour autant ce qui existe par ailleurs. Tout cela, c'est le fruit du boulot, et peut-être aussi d'une forme de franchise. Oui j'ai soutenu le maire, parce qu'à un moment, ça suffit de dire que par déontologie, il ne faut pas prendre position. Moi, j'ai pris position en tant que citoyen.
La Villa Gillet a souvent été la cible d'attaques politiques ou politiciennes, notamment de la part du Front national. Les Subsistances ont été un peu contestées pendant la campagne électorale par Fabienne Lévy, la "madame culture" de Dominique Perben, candidat UMP à la mairie. Qu'est-ce qui fait que les structures que vous dirigez se retrouvent la cible des politiques ?
Il s'agit uniquement de contestations politiciennes, provincialistes et factieuses, voire réactionnaires. Et en plus, extrêmement limitées. Ça se résume à quelques personnes, et en temps de campagne électorale. Qu'une institution, parce qu'elle incarne le changement, qu'elle a des convictions et qu'elle les énonce clairement, fasse l'objet d'une contestation, c'est normal. Mais ceux qui nous contestent le font sur des arguments objectivement faux, mensongers, politiciens. Car la Villa Gillet comme les Subsistances sont des lieux très populaires, très publics et on a une légitimité très grande dans tous les médias, locaux, régionaux, nationaux et internationaux.
Vous dirigez deux institutions et plusieurs événements. Comment réagissez-vous à ceux qui soupçonnent Guy Walter de constituer une "empire" culturel à Lyon ?
C'est totalement idiot ! Ce serait me reprocher de travailler et de réussir mon travail ? C'est tellement bête que je ne sais pas quoi en dire. Les exemples de double direction sont multiples : Thierry Raspail dirige le musée et la biennale d'art contemporain, Guy Darmet la Maison de la Danse et la biennale de la danse, Thierry Frémaux dirige le Festival de Cannes et l'Institut Lumière ! D'ailleurs, franchement, personne ne me le reproche ! Ce que j'entends d'abord et partout, c'est que les Subsistances et la Villa Gillet sont de formidables lieux de travail. Et de temps en temps, il y a une espèce de crotte locale qui râle, mais c'est tout. Diriger deux institutions, ça permet de travailler vite, bien, et de comprendre plein de choses ! Si c'était trop ça se verrait : je raterais mon boulot. Mais je travaille beaucoup, avec des convictions, et les résultats sont là. Il y a quelques institutions à Lyon qui sont dirigées par des gens qui ne font que ça et on aimerait bien qu'il se passe quelque chose !
Vous voyagez beaucoup ; quelle image Lyon a-t-elle selon vous à l'international ?
Il y a eu un premier saut qualitatif avec Noir qui a déprovincialisé la ville, c'est évident, notamment sur le plan culturel. Là, on est au seuil d'une autre métamorphose. La ville a énormément changé sur le plan sociologique ; elle s'est internationalisée économiquement, institutionnellement, scientifiquement, tout cela est vrai. Mais pour que Lyon soit une zone d'énergies fortes sur le plan culturel, il y a encore beaucoup à faire. Quand je compare avec Berlin ou Barcelone, c'est sûr qu'on n'y est pas ! Cest encore une ville qui a des pesanteurs provinciales. Les Subsistances et la Villa Gillet peuvent aider Lyon à s'en libérer, nous et bien d'autres.
Les Assises Internationales du roman, jusqu'au 1er juin aux Subsistances, Lyon 1er.
04 78 39 10 02. www.villagillet.net
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