Après le président Nicolas Sarkozy, c'est le premier ministre François Fillon qui, mercredi devant l'Assemblée Nationale, s'est dit "choqué", avant de demander une "réforme profonde" de la procédure pénale.
Ce type d'interpellation dans une affaire de simple diffamation n'est cependant pas une première en France. En janvier 2004, à Lyon, le militant étudiant Marc Jampy (Hippocampe), poursuivi en diffamation après avoir critiqué dans Le Progrès la direction de l'Université Lyon 3, avait déjà eu le droit à un sort comparable. "C'est vrai, ce n'est pas une première. Mais je comprend la stupeur du journaliste de Libération et de son avocat. Être interpellé chez soi, mis à nu, enfermé..." confie-t-il. A l'époque, il avait longuement raconté à Lyon Capitale sa mésaventure. Nous avons sorti son témoignage de nos archives. Le voici :
'Moi, militant avéré des droits de l'homme, j'étais dans une cellule'
"Mardi 20 (janvier 2004) à 15h30. J'étais chez moi à rédiger la première page de ma thèse. Deux policiers de la Sûreté générale ont sonné à la porte: "M. Jampy ? On a un mandat d'amener contre vous, pour jeudi 22, à Paris. Vous allez venir avec nous, on va vous déferrer devant le parquet de Lyon. Il y a de grandes chances que vous restiez en maison d'arrêt jusqu'à jeudi et qu'on vous monte à Paris. Vous avez cinq minutes pour faire vos affaires." J'ai eu le temps d'appeler mon avocat, Alain Jakubowicz. Ils m'ont amené dans une voiture banalisée à l'hôtel de police. Là, on m'a demandé de me déshabiller pour me fouiller... Ensuite on m'a mis dans une cellule de 5m2, avec porte en bois, judas, toilettes à la turque et couchette en béton, sans me dire combien de temps j'allais y rester. On sent qu'ils passent le balai, mais il y a des traces de merde ou de sang sur les murs. (...)
'J'étais très mal à l'aise. Désemparé, confronté à l'arbitraire. Je n'avais rien à faire, rien à lire. (...) Moi, militant avéré des droits de l'homme, j'étais dans une cellule. (...) Au bout d'une heure, ils m'ont sorti de ma cellule, avec un jeune arrêté pour vol avec violence. Ils nous ont menottés, fait monter dans un fourgon cellulaire et emmenés au tribunal. Sur place, nouvelle fouille. Cette fois, ils m'ont confisqué mes lacets. Et nouvelle cellule. Finalement, au bout d'une demi-heure, ils m'ont annoncé que j'étais libéré. J'ai appris après que c'était grâce à la pugnacité de Jakubowicz, qui a remué ciel et terre pour me faire sortir. Mais j'ai dû monter à Paris jeudi, à mes frais, pour m'entendre dire par le juge d'instruction que j'étais mis en examen." Relaxé en première instance, il a finalement été condamné en appel dans cette affaire compliquée. Mais il n'a évidemment jamais été question d'une peine de prison...
'J'appelle mes concitoyens à refuser de se déshabiller dans un commissariat'
L'affaire avait alors ému son avocat, Alain Jakubowicz, qui dénonçait deux dysfonctionnements majeurs. De la part du juge, tout d'abord : "Il prétend qu'il a dû le faire parce que Jampy ne s'est pas présenté de lui-même. C'est faux ! Il lui a envoyé une convocation complètement nulle sur laquelle il n'y avait même pas le nom du juge!" Jakubowicz pointait aussi un dysfonctionnement de la police "qui, pour un mandat d'amener du 22 janvier, ne trouve rien de plus urgent que de venir le chercher deux jours avant, en sachant que la seule solution serait la prison! (...) Le juge a lancé un mandat d'amener comme il aurait lancé autre chose et les policiers sont allés chercher le gamin comme ils auraient arrêté un trafiquant de drogue. Et ils l'ont mis à poil dans le commissariat, alors qu'il avait seulement dit quelque chose qui n'a pas plu à son président d'université."
Une semaine plus tard, l'avocat lançait un appel lors d'une conférence de presse : "A ma connaissance, aucun texte n'impose à un citoyen de se déshabiller. (...) J'appelle mes concitoyens à refuser, sans violence, de se déshabiller dans un commissariat de police." Quatre ans après, Alain Jakubowicz maintient cet appel : 'L'affaire Jampy, c'était exactement la même chose que de Filippis. On en a moins parlé parce qu'il n'était pas journaliste, mais responsable associatif. A l'époque, cela m'avait scandalisé. J'en avais profité pour lancer cet appel, car la garde-à-vue est pour moi l'objet d'un vieux combat. Je le confirme aujourd'hui. La fouille au corps est prévue dans les textes. Mais il n'y a aucune obligation de s'y soumettre. Quand bien même il y en aurait une, j'en appelle au discernement des policiers, qui devraient avoir des consignes en ce sens. Ils doivent faire le tri lorsque la fouille est effectivement nécessaire pour la sécurité des personnes et des policiers, et lorsqu'elle ne l'est pas. On nous dit que c'est pour éviter les suicides : ce n'est pas en mettant les journalistes à poil qu'ils vont les éviter !' Revenant sur l'affaire de Filippis, il estime qu'il n'aurait jamais dû accepter la fouille : 'Je comprend sa réaction, il avait laissé ses deux gosses seuls, il n'avait qu'une urgence, celle de sortir. Mais ce qui s'est passé est honteux. Je lance un appel à la vigilance. Quand on se retrouve dans ce genre de situation, on devrait dire 'non, je ne le fais pas'.'
Marc Jampy, lui non plus, n'a rien oublié de cette affaire. Il espère que l'interpellation du journaliste de Libération sera l'occasion d'une vraie réforme : "la proposition de Sarkozy de dépénaliser la diffamation me semble judicieuse" estime-t-il. Il a de bonnes raisons de le penser.
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