Transfert des prisons à Corbas, Georges Boyer : "une opération extraordinaire"

Il nous livre les objectifs visés par l'administration pénitentiaire pour ce nouvel établissement, mais aborde aussi les questions de la violence, de la drogue et du suicide en prison. Interview exclusive.

Lyon Capitale : Combien de détenus vont être transférés de Saint-Paul Saint-Joseph à Corbas ?
Georges Boyer : En février 2008, on était à quasiment 896 à Perrache et 65 ou 66 détenus femmes : plus de 950 détenus sur l'ensemble de la structure.
Toutes les femmes sont parties sur Roanne, on a donc un chiffre qui concerne uniquement les hommes et qui est de l'ordre de 500. La baisse est donc considérable depuis juillet/août 2008. L'objectif premier de Corbas étant d'éviter les situations d'asphyxie dès les premiers jours.

Quelle est l'atmosphère des derniers jours à Saint-Paul Saint-Joseph ? Les détenus sont-ils inquiets de ce transfert ?
On communique pas mal avec eux, en leur donnant un certain nombre d'informations. Mais les détenus sont avant tout des personnes comme toutes les autres et chaque changement génère interrogation et inquiétude. " Où vais-je me retrouver ? Ma famille pourra-t-elle venir me voir facilement ? Vais-je choisir le co-détenu avec lequel je vais habiter ? Quelles seront les conditions de détention ? Est-ce que j'aurai un accès plus rapide au travail ? Qu'est-ce que cela va m'apporter à moi ? "

L'éloignement de cette prison peut être en effet un vrai problème pour les familles.
La ligne de bus 85 va être poussée pour aller jusqu'au parking de la maison d'arrêt. On sait aujourd'hui qu'il n'y a pas de difficulté à venir, de n'importe quel point de Lyon grâce aux transports publics. Mais c'est vrai que Perrache est un nœud routier important, on est maintenant à l'extérieur de ce réseau dense, les choses seront moins pratiques mais seront toutefois différentes de ce qu'on a pu connaître il y a quelques années avec des affectations géographiques très isolées.

Est-ce que vous-même, vous appréhendez ce transfert ? Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
C'est compliqué, c'est une opération extraordinaire, fermer des prisons avec toute leur histoire ne se reproduira pas avant très longtemps. En même temps, ouvrir un établissement résolument dans son temps, avec des perspectives de travail différentes, c'est très intéressant. C'est complexe mais en même temps du plus grand intérêt professionnel, on ne transfère pas des biens, mais des personnes, avec des missions.

Certains détenus ont déclaré préférer une prison comme Saint-Paul Saint-Joseph plutôt qu'une prison moderne comme Villefranche, qu'ils jugent, pour certains, " déshumanisée ". Ne craignez-vous pas cette même réaction pour Corbas ?
C'est extrêmement difficile de répondre. On va peut-être avoir les mêmes réactions à ce qui pourrait être perçu comme étant un plus grand isolement
ou une surveillance déshumanisée. C'est une réalité, je pense que c'est incontournable. Mais les détenus vont trouver des conditions d'hygiène enfin dignes, des locaux adaptés aux contraintes de vie de groupe, avec un plateau sportif extérieur, un gymnase, des salles d'activités, des promenades qui auront une autre dimension. C'est une somme d'évolutions et la plus conséquente, me semble t-il, est que l'on va mettre en place un certain nombre de dispositifs qui imposeront au personnel de l'établissement, quelle que soit leur qualification, du contact plus réel, plus fréquent et plus constant avec l'ensemble des détenus. Le fait de distinguer prévenus et condamnés va permettre un regard différent. Avec un bâtiment uniquement habité de prévenus, on aura un regard surtout dirigé vers l'affaire, l'instruction en cours, le jugement à venir. Pour les condamnés, ce sera plus une démarche " exécution de la peine, préparation à la sortie ". On créera donc un lien plus intéressant que la tolérance pour tel ou tel acte d'indiscipline qu'on tente d'excuser en raison de l'insalubrité des locaux.

Il y aura moins de personnel pénitentiaire à Corbas, alors même que les syndicats des conseillers d'insertion et des surveillants dénoncent un manque de moyens.
On était globalement 420 pour les prisons de Lyon et on sera 60 à 70 de moins à Corbas, mais la configuration de cette prison impose une réduction des effectifs. Puisqu'on en aura moins, on a tendance à dire qu'il faudra les utiliser de manière plus rationnelle que dans les prisons de Lyon. Il faut tirer tous les intérêts des moyens technologiques qu'on a à notre disposition pour consacrer un vrai temps à l'observation des populations pénales. Cette distinction s'explique aussi par l'éclatement qu'il y avait entre le Fort Montluc (ancienne prison pour femmes, NDLR) et Saint-Paul Saint-Joseph, maintenant toute cette population pénale sera réunie au même endroit, à Corbas.

Cet effectif est-il pour vous suffisant par rapport aux missions demandées ?
Je ne vais pas vous dire qu'il est suffisant en tant que tel, évidemment qu'on aimerait tous avoir plus de personnels, de moyens... Ceci étant, on connaît la situation économique de notre pays. On sait que ça présente peu d'intérêt que de dire qu'il faudrait plus de personnel pour organiser la même performance. Ce que je veux vous dire, c'est que l'on va découvrir avec la prison de Corbas quelque chose qui s'apparente à un retour aux valeurs essentielles. On va se centrer sur notre cœur du métier : faire exécuter les décisions de justice, assurer la garde et l'entretien des détenus. Grâce à nos partenaires privés qui s'occuperont, eux, de tous les autres aspects : l'hôtellerie, la restauration, le travail, la formation professionnelle, la maintenance...
On sait que les échanges de denrées d'une cellule à l'autre se pratiquent beaucoup, on sait aussi qu'il y a une présence tolérée de produits stupéfiants, comme le cannabis. Cela va-t-il changer à Corbas ? Comptez-vous mener une politique différente ?
Clairement, oui. La présence de produits stupéfiants, contrairement à ce que vous dîtes, n'est pas tolérée mais combattue. Ceci étant, elle est constatée. Donc à partir du moment où on découvre des produits stupéfiants, on est obligé de constater qu'ils sont arrivés là où on les trouve, jusque dans les cellules. C'est une évidence. Sur la maison d'arrêt de Corbas, les choses seront plus complexes, cela sera moins facile de faire entrer ces produits, du fait notamment de la configuration générale de la prison, il y aura plus de difficulté pour faire passer ces produits.

Sur l'aspect soupape qu'on confère à ces produits, que pouvez-vous dire ?
C'est d'abord et avant tout un objet d'échange, ce n'est pas complètement sain, c'est la mise en œuvre d'un marché sous-jacent qui génère violence,
racket, dépendance et prise d'autorité les uns sur les autres. J'ai donc du mal à constater que c'est un moyen d'apaisement, avant qu'un détenu consomme son produit stupéfiant, il a du enchaîner un paquet de fraudes, pour le voir arriver, le récupérer, éviter le racket, cela ne me paraît pas être très pertinent comme constat.
La société Gepsa va gérer à la fois nourriture quotidienne, mais aussi la cantine. Est-ce qu'il n'y a pas un souci puisque la société peut faire du gain avec la cantine, tout en gérant par le même temps les repas quotidiens du détenu, qu'on lui fournit sans qu'il ait à payer. N'y a-t-il pas une ambiguïté là-dessus ?
Et cette question, vous vous la posez uniquement à partir de la rencontre avec Gepsa ? C'était la même chose avant, avec l'administration pénitentiaire : elle distribuait bien à manger de manière gratuite et des produits vendus en cantine...

Oui mais Gepsa est une société privée et l'administration pénitentiaire est publique.
Cette société privée est particulièrement contrôlée dans ces prestations, elle a un certain nombre d'éléments contractuels écrits qui imposent des obligations et l'obligent à mettre en œuvre ses prestations dans un cadre strict. L'administration doit s'assurer du respect de ce cadre quotidiennement. Quand je parlais de notre cœur de métier, c'était par rapport à ça : pour nous, il est plus facile et efficace de contrôler une mission que de la réaliser soi-même. Un surveillant n'est pas recruté parce qu'il est cuisinier, plombier, ou chauffagiste... Quand une société a pour vocation la préparation des repas, on préfère les lui confier, oui.

Pensez-vous que ce cadre plus salubre va atténuer les dépressions et baisser le taux de suicide ?
C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Je considère que le suicide est un acte personnel, trois personnes ne réagiront pas de la même
manière aux conditions de détention, parce qu'ils n'ont pas la même histoire, le même vécu, la même personnalité, les mêmes soutiens et projets, c'est impossible d'avoir un discours réducteur sur le suicide. Vous aimez bien ça, les médias, poser les chiffres en disant " encore un". Et oui. Mais il faudrait, au lieu d'un regard accusateur, s'interroger sur le suicide de façon plus globale. Avant d'être un chiffre, le suicide, c'est une personne qui perd la vie, une famille endeuillée, et c'est un constat d'échec pour l'établissement pénitentiaire, la justice en général. Si seules les conditions de détention étaient responsables, on aurait trouvé une solution technique. Si ce n'était qu'un problème de personnalité, on aurait une solution par la médecine. Le problème, c'est que c'est un ensemble de problèmes. La dignité, pour moi, c'est d'abord rendre à chaque personne la responsabilité de son geste et son droit à
vivre.

Tout le monde a un avis là-dessus : mais vous, que pensez-vous qu'il faudrait faire du bâtiment des prisons de Perrache ?
C'est difficile de se prononcer, il faut être lyonnais pour avoir une opinion sur la question et ce n'est pas mon cas. Je suis très attaché à cette ville mais mes origines sont ailleurs. A partir du moment où on ne peut pas définir un avenir à cet établissement, les conserver pour les conserver n'a pas d'intérêt majeur. Le discours de l'administration est assez simple : il est hors de question de garder ce patrimoine, en tant que propriétaire, on souhaite s'en séparer et on fait toutes les démarches pour cela.

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