Philoctète ou le vertige inégal de la parole

Le patron du TNP, Christian Schiaretti, adapte pour la troisième fois la tragédie mythologique de Sophocle. En sort une pièce aride, où prédomine le revenant Laurent Terzieff. Trop, justement.

Sur les racines de Jean Vilar, Christian Schiaretti bâtit un pays de théâtre rigoureux. Passées la jungle qu’est Par-dessus bord et la montagne Coriolan, son nouveau Philoctète fait figure de lande décharnée. Y prospère le seul souffle de la parole, à la fois maîtresse et traîtresse d’hommes qui ont perdu ou perdent leur statut de héros. La tragédie initiale de Sophocle conte la revanche partielle d’un guerrier châtié par les dieux. Philoctète est certes un homme invincible, de par l’arc et les flèches qu’Héraclès lui a cédés, mais aussi déchu. Blessé au pied, ses cris horribles et sa puanteur débectent les Grecs. Sur la route de Troie, Ulysse l’abandonne sur une île déserte. Dix ans après, Troie résiste encore.

D’après une prophétie, seuls la vaincront Philoctète et ses armes. Ulysse entend subvertir le vieillard par la ruse, et lui envoie Néoptolème. Le novice fils d’Achille, doit, avec des mensonges ciblés, le convaincre de se battre. Christian Schiaretti a déjà abordé cette histoire par deux fois, de “manière insatisfaisante”. Il y revient “par probité artisanale” avec, jure-t-il, le bon interprète, Laurent Terzieff, qui prête “son mystère” à Philoctète. Son apparition, humble au possible, est orchestrée dans le dénuement le plus total. Sous les lumières de la salle, les acteurs, tous vêtus de la même façon, jouent avec un imposant rideau métallique pour tout décor. Rien ne vient dévier l’écoute de cette parole par laquelle la machination s’accomplit puis se disloque. Rien, sinon l’interprétation. Avec leur “variation à partir de Sophocle”, Schiaretti et son auteur fétiche, Jean-Pierre Siméon, semblent déplacer le centre de la pièce de la douleur de Philoctète aux tourments de Néoptolème.

Sur scène, bien qu’entouré du chœur de ses camarades de l’Ensatt, David Mambouch en fils d’Achille peine à donner toutes les nuances, rivé sur le texte. Face à lui, Terzieff, étonnamment juvénile, dépasse les mots d’un éclat de voix ou d’un geste en suspens appuyés. Son jeu ramène alors à lui un spectacle hors du temps, droit dans son jus antique jusqu’au kitsch final.

Philoctète, du 18 novembre au 23 décembre
au Petit Théâtre Jean Bouise, rue Louis Becker, Villeurbanne. 04 78 03 30 00.
www.tnp-villeurbanne.com

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