Lyon : quand une mairie PS ne veut pas d’un foyer pour SDF

Ce lundi matin, tentes et lits de camps ont été dressés par l’association Régis devant la mairie du 8e arrondissement de Lyon. L’opération vise à dénoncer l’attitude de la mairie socialiste de l’arrondissement qui s’oppose à l’installation d’un centre d’hébergement pour SDF dans une ancienne clinique.

Le 31 mars, le centre d’hébergement d’urgence Cléberg devrait fermer ses portes. Pour l'instant, l’association Régis, qui gère les lieux, n’a pas de solution pour reloger la soixantaine de personnes. Jusqu’à présent les sans-abri sont hébergés de manière temporaire dans un local du marché gare (2e arr.), lequel est voué à une démolition prochaine avec l’avancée des travaux du Confluent. Connaissant cette date butoir, les responsables de l’association se sont mis en quête d’un lieu pour accueillir de manière pérenne le foyer. En la matière, les occasions se font très rares. Ils pensaient toutefois avoir trouvé la solution avec une ancienne clinique du quartier Monplaisir dans le 8e arrondissement de Lyon.

Le projet rêvé de la clinique Monplaisir

Début janvier, le groupe hospitalier Noalys, propriétaire des lieux, met gracieusement à disposition de la préfecture la clinique pour y loger des sans-abri jusqu’au 15 avril. La gestion du lieu est confiée à l’association Régis. Le groupe hospitalier cherchant à vendre, des discussions se sont rapidement engagées avec l’association qui a vu dans la clinique le lieu idéal pour transférer l’Accueil Cléberg. L’Etat, à travers la préfecture du Rhône, soutient le projet en accordant une aide de 1,2 millions d’euros et un prêt à un taux particulièrement bas. Début février, l’Opac du Rhône donne son accord pour piloter le projet immobilier. Outre 90 places pour SDF, l’Opac doit s’associer avec le CROUS pour y réaliser 40 logements étudiants.

Le projet ainsi ficelé, le directeur de l’association Régis rencontre le maire du 8e arrondissement, Christian Coulon (PS). Celui-ci prend mal le fait d’avoir appris le projet de manière détournée. Surtout, il ne veut pas d’un centre d’hébergement dans son arrondissement. “Il ne faut pas avoir une trop grand concentration, affirme Christian Coulon. Charger la barque, ce n’est pas rendre service au 8e arrondissement, ni à ces publics en difficulté. On a trois foyer Adoma, deux foyers Aralis, un foyer Forum Réfugiés et un accueil de jour pour personnes en grande difficulté. On a aussi un foyer de sans-abri qui doit voir le jour”. Il veut “bien admettre” un autre foyer pour l’hiver car “il fait froid”. Mais pas de “foyer pérenne”. Même s’il reconnaît qu’il n’y a eu “aucun incident” depuis qu’une soixantaine de sans-abri sont hébergés dans l’ancienne clinique.

La polémique d’après les régionales

Il y a une semaine, le lendemain du deuxième tour des élections régionales, l’Opac du Rhône annonce officiellement ce que les responsables de l’association redoutaient : l’abandon du projet. Le bailleur social “ne veut pas aller outre la volonté du maire du 8e”, déclare son directeur général. A quelques jours de la date butoir du 31 mars, l’association Régis se retrouve donc sans solution. D’où l’action qui a débuté ce lundi. Une tente, des lits de camps et une sono ont été installés. Les slogans ont fleuri sur des panneaux. Quelques salariés et des bénévoles sont venus distribuer des tracts. Le directeur de l’association se lance dans l’épreuve de force.

“La mairie du 8e a trouvé les ressources pour torpiller notre projet. Qu’ils nous aident à trouver une solution autre que la clinique Monplaisir puisqu’ils n’en veulent pas”, annonce le directeur Jérôme Colrat. Celui-ci reproche au maire d’avoir mis “de l’huile sur le feu” auprès du conseil de quartier et du comité d’intérêt local qui se sont exprimés contre le projet. “Il mélange toutes les problématiques. On ne peut pas comparer ce que nous faisons avec ce que fait Adoma. Un foyer pour les vieux immigrés n’est pas un centre d’hébergement pour SDF. Nous n’avons pas le même public, ni le même encadrement. Le 8e arrondissement est une ville de 80 000 habitants. On peut donc très bien concevoir deux foyers d’hébergement pour SDF”.

La mairie centrale fait front commun

Le dossier est remonté jusqu’au maire de Lyon, Gérard Collomb (PS), qui soutient son maire d’arrondissement. Par la voix de son premier adjoint, la mairie centrale rejette la responsabilité de l’impasse actuelle sur l’association Régis. “S’ils étaient venus voir plus tôt le maire du 8e, il aurait pu leur dire qu’il a d’autres projets pour Monplaisir, précise Jean-Louis Touraine (PS). Par ailleurs, nous leur avons proposé un terrain à Perrache. Mais ils n’en veulent pas à cause des cinq étages que le bâtiment devrait alors comporter, ce que je ne comprends pas”.

Compte tenu du public accueilli, le directeur de Régis estime en effet qu’il lui faudrait davantage de personnel si le bâtiment est conçu sur six niveaux. Or les financements de l’Etat sont calibrés pour deux étages. Le directeur accuse surtout la mairie du 8e de faire avec l’hébergement d’urgence comme avec les autoroutes : “on en veut mais pas chez nous”. Ce qui a le don d’énerver Jean-Louis Touraine : “qu’on le dise pour le 2e ou 6e arrondissement mais pas pour le 8e arrondissement qui est l’arrondissement qui a le plus de logement social !”

Division au sein de la majorité de gauche

Pourtant cette accusation sur le mode NIMBY (not in my backyard - pas dans ma cour) fait recette chez les partenaires du PS à la mairie de Lyon. Le PC et les Verts ont exprimé leurs désaccords auprès du maire de Lyon qui n’en a pas tenu compte. Dans une lettre adressée ce lundi au maire du 8e, les élus écologistes et communistes de l’arrondissement, “regrettent l'opposition” de la mairie du 8e. “Un projet d'implantation dans un quartier en politique de la ville aurait, en effet posé d’autres problèmes considérant les difficultés sociales préexistantes; mais ce n'est pas le cas du quartier de Monplaisir. La solidarité est une valeur que nous savons brandir pour affirmer notre identité d'élus de gauche. Cet épisode regrettable laisse entendre auprès de l'opinion publique que c'est toujours mieux lorsqu'elle se concrétise chez le voisin”.

Que faire des foyers pour SDF ?

Au-delà du 8e arrondissement et de l’association Regis, c’est bien la question de l’implantation de ces foyers d’hébergement qui pose problème. L’Accueil Sympa d’une quarantaine de places de l’Armée du Salut a dû définitivement fermer l’année dernière, car, de la même manière, l’association n’a pas trouvé de solution de relogement. “De toute façon personne ne veut des sans-abri, quelque soit l’endroit où l’on se trouve”, résume Pascal Ruston, le directeur d’une autre structure d’accueil venu en soutien à l’action de Régis. “Il faut un vrai courage politique pour se confronter aux réticences des riverains quand un projet de foyer émerge dans un quartier, reprend Jérôme Colrat de Régis. Et l’arbitrage doit se faire au plus, au niveau de celui qui dirige l’agglomération”.

Tout le long du mois d’avril, les prises en charge hivernales vont prendre progressivement fin, remettant à la rue près de 400 personnes. Dans ce contexte, la position de la mairie de Lyon risque d’être d’autant moins audible. Anticipant ces réactions hostiles, la mairie centrale et le Grand Lyon, propriétaire des locaux du marché gare, ont accepté, quelques heures après l’installation du campement, un prolongement du bail de l’accueil Cléberg. Ce que Jean-Louis Touraine a confirmé à Lyon Capitale. Mais à l’heure où nous où nous publions l’article, l’association Régis n’a toujours pas eu cette confirmation, ni l’engagement de trouver un lieu pérenne pour reloger le foyer. Le directeur de l’association ainsi que deux autres personnes s’apprêtent donc à passer leur première nuit devant la mairie du 8e.

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