Habitat : non, ils ne veulent pas être propriétaires

Courant 2012, le quartier des Maisons Neuves accueillera la première version française de l'habitat coopératif: un “village vertical". Plusieurs familles se sont constituées en coopérative d'habitants pour racheter un immeuble entier et s'y installer.

Villeurbanne sera au cours de l'année 2012 le théâtre d'une expérience inédite en France : dans le quartier des Maisons Neuves, la première coopérative d'habitants de l’hexagone verra le jour. Le concept est né fin 2005 de la volonté de trois familles qui se connaissaient grâce à leurs engagements militants. Inspirées de projets similaires à Londres et à Freibourg, ces expériences ont montré que cette manière de vivre ensemble pouvait être une réussite tant sur le plan écologique qu'au niveau de l'entente entre voisins.Ces trois familles, rejointes par plusieurs autres personnes, ont donc décidé de s'associer pour devenir propriétaires d'un immeuble, dans lequel ils loueront leur appartement respectif.

Partager un lieu de vie

L'idée, c'est donc de partager des lieux. Les villageois auront en commun une buanderie, une salle de réception avec cuisine, quatre chambres d'amis ainsi que deux jardins potagers. L’un, situé en bordure du bâtiment, sera privé. L’autre sera public et ouvert sur le quartier, les futurs "villageois" espérant pouvoir le gérer comme une association de quartier. La coopérative comptera 14 logements, dans une gamme allant du T1 au T5. Quatre seront des logements sociaux habités par des personnes à faibles revenus, et gérés par l'URHAJ (union régionale pour l'habitat des jeunes).

Une construction juridique innovante

Sur le plan financier, les locataires du village vertical devront reverser à la coopérative un loyer mensuel. Cela permettra de rembourser le prêt qu'ils ont souscrit pour l'achat de l'immeuble. Les “villageois” sont en réalité à la fois propriétaires au titre de la coopérative et locataires de manière individuelle. Une configuration inédite dont le principe n'est pas inscrit dans la loi française, dans la mesure où l’on peut être soit locataire, soit propriétaire. Mais pas les deux à la fois. Le village vertical a dû avoir recours à plusieurs soutiens financiers et juridiques - notamment Rhône Saône Habitat.

L'association Habicoop a également été sollicitée. Créée en 2005, elle vise à soutenir des projets d'habitats collectifs et appuyer le développement de projets immobiliers respectueux de l'environnement. "Nous avons un partenariat avec Habicoop qui cherchait un projet pilote pour se lancer. L'association nous apporte une expérience juridique et fonctionnelle," explique un des "villageois". Bertille Darragon, coordinatrice d'Habicoop explique que "ce ne sera pas une bande de copains, mais une coopérative de voisins et pour d'éventuels travaux, l'ensemble des habitants du village vertical sera impliqué dans la décision".

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Interview Phillippe Leleu, l'un des "villageois".

Lyon Capitale: Quelles ont été vos motivations ?

Philippe Leleu: Tous les villageois n'ont pas adhéré pour les mêmes raisons. Cependant, l'objectif commun était d'acquérir un logement à un prix acceptable et répondre aux difficultés de la classe moyenne pour se loger, qu'on veuille être locataire ou propriétaire. Nous sommes d'accord sur le fait qu'un logement ne doit pas servir à dégager des profits, mais seulement permettre à des personnes de se loger. Nous voulions aussi répondre à l'urgence climatique en expérimentant des logements sociaux sobres en énergie. Et enfin, notre ambition était de créer la plus grande mixité possible qu'elle soit sociale, ethnique ou générationnelle. Nous sommes des Français, des Allemands, des Maghrébins, des jeunes, des plus âgés, des familles, des célibataires... Avec cette mixité, nous espérons décloisonner la société.

Pourquoi se mettre en coopérative?

Ce qui nous intéresse c'est de concevoir, construire et gérer l'immeuble démocratiquement. La société est de plus en plus brutale et individualiste. Or, le meilleur moyen de se protéger est de se regrouper et de mettre en commun nos idées et agir ensemble afin d'être plus forts. Il s'agit d'un projet pionnier, car cela implique une redéfinition de la liberté individuelle de chacun puisque l'intérêt collectif devra primer.

Comment se prennent les décisions?

Ce qui se passe dans chaque appartement, c'est personnel. Le privé reste privé. En revanche, au niveau de la coopérative, les décisions sont prises à l'unanimité. Il est évident que le processus est plus lent que lorsqu'un leader dirige tout, mais elles finissent toujours par aboutir. C'est d'ailleurs comme cela que s'exprime notre force collective, dans la mesure où l'on connaît l'esprit de chacun. Et s'il devait y avoir un conflit pour exclure quelqu'un, nous aurions recours à la majorité des 2/3.

Afin que votre projet fonctionne, il faut miser sur la confiance, n'est-ce pas risqué?

C'est vrai que nous partons parfois dans l'inconnu. Mais quand il y a de l'inconnu, il y a de la peur, et s'il n'y a pas de peur, il n'y a pas de plaisir ensuite. Il est possible que certains veuillent partir en cours de route alors qu'ils ont acheté, mais ils prennent le risque de ne pas être remboursés. Notre structure permet d'encadrer les éventuels débordements. Cependant, le village vertical possède un fond de bienveillance générale qui évite les disputes. Et puis, nous nous partageons la responsabilité du travail.

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