Comment la mairie veut chasser les Roms de la Guillotière

Place du Pont, le mobilier urbain sert à “fluidifier” les indésirables. Il y a 30 ans, on ne voulait plus des Maghrébins qui peuplaient la place centrale de ce quartier d’immigration. Des aménagements urbains ont été conçus à cet effet. Mais les “Hommes debout” sont restés. Aujourd’hui, ce sont les Roms que l’on veut voir partir.

Scènes de la Guillotière. Place Gabriel Péri, plus connue sous le nom de Place du Pont. Un jour d’avril, deux policiers municipaux foncent sur un groupe de quatre personnes assises par terre. “Dégagez, vous savez qu’un attroupement de plus de trois personnes est interdit”. Les jeunes hommes se lèvent, rechignent un peu puis s’exécutent après la menace de les envoyer tous en garde à vue. Une semaine plus tard, quatre nouvelles personnes sont assises au même endroit que les autres. Cette fois-ci, ce sont trois policiers nationaux qui contrôlent leur papier. Ils sont tous en règle après vérification au talkie-walkie. En leur rendant leur papier, un des policier leur lance : “Ne restez pas ici, allez dans les parcs, il fait beau”. Et ces quatre personnes s’exécutent également.

Ces personnes que chassent ces équipages de police, ce sont des Roms ou Tsiganes, venus pour la plupart de Roumanie. La Place du Pont, cœur de l’immigration à Lyon, est un des principaux lieux où ils se retrouvent. Certains n’y font que passer, d’autres y passent des journées entières pour glaner de précieux renseignements ou pratiquer une économie de misère (lire par ailleurs).

Selon différents observateurs, les Roms seraient venus Place du Pont dès leur arrivée à Lyon, au milieu des années 90. Leur présence, s’est renforcée ces trois dernières années et s’est concentrée côté 7e arrondissement quand les autorités ont décidé d’en finir avec le marché sauvage qui avait lieu de l’autre côté du boulevard (côté 3e arrondissement), au pied de l’immense immeuble de verre, le Clip. Depuis plusieurs décennies, des vendeurs, essentiellement des immigrés maghrébins, étalent par terre quelques fripes et autres objets à la provenance mal identifiée pour en tirer quelques euros. Dans l’hebdomadaire Tribune de Lyon, le maire du 3e arrondissement, Thierry Philip (PS) donnait les raisons d’en finir avec cet usage : “Le marché sauvage qui, jusque-là était assez bien toléré s’est transformé en marché de roumains qui viennent vider les poubelles pour en vendre le contenu sur la place”.

Une méthode rodée : police + mobilier urbain anti-squat

Pour supprimer ce marché, la mairie associée à la police n’a pas lésiné sur les moyens. Pendant plusieurs jours, au moins un véhicule de police nationale ou municipale stationnait constamment place du Pont et chassait tous les vendeurs qui tentaient de s’installer.

Ensuite, la mairie a fait installer plusieurs jardinières pour occuper l’espace libre. Côté 7e la méthode est la même. Outre des passages réguliers des polices municipales et nationales, la mairie prévoit un nouvel aménagement de cette partie de la place.

Présenté aux riverains et commerçants le 13 avril, le plan est entré en action dans la foulée. Une jardinière longue de 14 mètres a été installée au dos de l’arrêt de tram. Dedans poussent des plantes particulièrement piquantes.

Du 14 au 17 juin, l’arrêt de tram lui-même a été modifié. Les abris ont été rasés et les sièges supprimés. Restent les poteaux et les abris de deux bornes automatiques. La mairie, enfin, devrait permettre au McDonald’s et au Casino de la place d’ouvrir une terrasse. “Le but est de limiter l’espace disponible pour des activités qui n’ont rien à faire là comme la vente à la sauvette et éviter l’accaparation de l’arrêt de tram, par une population”, expose Jean-Pierre Flaconnèche, maire (PS) du 7e arrondissement, qui assure que les services de la propreté passent “trois fois par jour”.

30 ans d’aménagements urbains anti-squats, 30 ans d’échecs…

Avant les Roms, c’étaient les hommes maghrébins que les autorités municipales avaient dans le collimateur. Depuis les années 50, ceux-ci ont pris l’habitude de se retrouver place du Pont après les journées de travail à l’usine ou sur les chantiers. La place a été totalement transformée, les “hommes debout” sont restés. Ce n’est pas faute pas d’avoir tenté de les faire partir. “À la fin des années 80, les propos de nombreux élus et riverains étaient d’une grande violence, se rappelle Jean-Louis Routhier, président du centre social du quartier. On parlait uniquement de mettre dehors cette population indésirable”.

Dans une note du maire du 3e arrondissement de l’époque, il est fait mention “de regroupement devant le métro d’une très nombreuse population étrangère empêchant, jour après jour, les piétons de passer, les commerçants de commercer et forçant les habitants riverains à voir le lieu comme une poubelle”. La politique des autorités urbaines a consisté à “fluidifier” la place. Cette politique de “réhabilitation urbaine” a atteint son point culminant avec l’édification du Clip, ce grand bâtiment de verre en arc de cercle qui ferme la place. À l’origine, il devait accueillir un hôtel de luxe et ponctuer la “Diagonale Moncey”, laquelle était censée relier la Part-Dieu (le nouveau centre de Lyon) à la Presqu’Ile (l’ancien centre) et ainsi en finir avec la Place du Pont. Mais face à la difficulté de commercialisation du Clip et la mobilisation des habitants, la “Diagonale Moncey” n’a pas vu le jour et le Clip est aujourd’hui occupé par les services de l’eau du Grand Lyon et une résidence étudiante.

Pour autant, la volonté de faire circuler ceux qui depuis sont devenus des “chibanis” (vieux, en arabe) a perduré. Au pied des murs de verre du Clip, une place totalement minérale, sans bancs, a vu le jour. Malgré l’inconfort des lieux, les hommes debout sont revenus. Les caméras de vidéosurveillance, les interventions régulières de la police, l’installation de petits jets d’eau (qui ne marchent plus), n’y ont rien fait. Le trafic de haschich et le marché sauvage se sont déplacés vers les rues adjacentes mais les hommes debout sont toujours là.

“C’est le résultat d’une politique à court terme. Les élus tentent de répondre immédiatement à leur électorat au lieu d’essayer de prendre en compte le poids de l’histoire. La Place du Pont est le lieu de rencontre des populations immigrées depuis le Moyen-Âge. C’est inscrit dans les mémoires. Ces populations arriveront toujours vers ce lieu repère. Pour mieux vivre ensemble, il faut avant tout apprendre à connaître ces personnes et à travailler avec elles”, conclut Jean-Louis Routhier.

Les Roms remplacent les Maghrébins

Aujourd’hui, les Maghrébins sont beaucoup moins la cible des récriminations. Désormais, on pétitionne, on écrit, on interpelle contre les Roms. “On en parle dans les mêmes termes qu’à l’époque. On disait qu’ils étaient incapables de s’assimiler, qu’ils avaient un fonctionnement grégaire ou qu’ils exploitaient leurs femmes”, relève André Gachet, de l’Alpil. Cette association avait installé ses locaux au cœur du quartier pour travailler sur le logement des immigrés essentiellement maghrébins. Aujourd’hui, elle tente d’améliorer la situation des Roms. “Les Maghrébins ne posent plus de problème car une nouvelle population immigrée est arrivée”. Les vagues d’immigrations se succèdent mais les stéréotypes demeurent.

La place des "Hommes Debout"

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Pourquoi des Roms Place du Pont ?

Même un vendredi sous une pluie fine, la place Gabriel Péri à la Guillotière, la Place du Pont ne désemplit pas. D’un côté du cours Gambetta, les anciens de la place, les vieux maghrébins, les chibanis ; de l’autre, les nouveaux arrivés : les Roms ou Tsiganes venus de Roumanie. “Ils considèrent ce lieu comme chaotique. Ils voudraient l’éviter. Mais c’est l’un des seuls endroits où l’on peut commercer à la marge, avec la présence historique d’un marché sauvage”, analyse Thomas Ott, longtemps traducteur auprès des Roms lyonnais, pour qui la place est avant tout “un lieu de sociabilité”. C’est là que l’on prend des nouvelles, que l’on s’entraide mais aussi que l’on se confronte aux Roms d’autres communautés géographiques. Les “urbains” de Craiova ayant tendance à dévaloriser les “paysans” du département du Bihor. Et inversement. Illustration : vers un passage piéton, une femme rom et un chibani discutent, secrètement. Un grand gaillard de Craiova jette un regard vers eux et lance : “tu vois, ça c’est la prostitution, pour quelques euros, elle l’emmène dans un coin, pas bien loin”. La fille en question était du Bihor. Interrogée par Lyon Capitale sur la question de la prostitution Place du Pont, la commissaire Jennifer Lattay parle d’un racolage “marginal et occasionnel” qui serait apparu ces “derniers mois”.

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La municipalité et la police à l’écoute de riverains “excédés”

À chaque réunion publique sur la sécurité dans le 7e arrondissement, son grand déballage sur les Roms. En janvier dernier, à l’École Normale Supérieure, un représentant du Casino de la place parlait notamment d’une “population qui a la main mise sur le quartier” qui se livre à une “délinquance itinérante”. Présentés en avril lors d’une nouvelle réunion publique, les nouveaux aménagements ont été accueillis favorablement par le conseil de quartier. Le président de l’association des commerçants, Guy Pellet pense aussi que la mairie va dans le bon sens face à des gens qui “ne respectent rien, qui ne veulent pas travailler et qui sont de tous les trafics”. Pour Claude Jeandel, président d’une association de cadre de vie, l’ARDHIL7, les solutions de la mairie sont “de la flûte” : “Je suis gaulliste. Je suis pour une présence forte de l’État qui passerait par une antenne du commissariat sur la place”.

Au commissariat du 7e où les doléances sont nombreuses à ce sujet, les patrouilles de police ont été renforcées sur la Place du Pont depuis un an. “Les SDF ont laissé la place au Roms, commente la commissaire Jennifer Lattay. C’est un problème d’occupation de l’espace par une population marginale qui crée un sentiment d’insécurité. Nos équipages en civil ou en tenue contrôlent les identités et invitent à circuler”. En matière délictuelle, la police ne reproche aux Roms de la Place du Pont que des “ventes à la sauvette de fripes” pour lesquelles des contraventions sont dressées. Rien de plus.

Articles publiés dans le mensuel Lyon Capitale de juin 2010

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