Kouchner et Collomb : deux hommes de gauche au discours de droite

Dans une lettre de démission manuscrite qu'ont pu consulter nos confrères du Nouvel Observateur, Bernard Kouchner parle "d'inflexion sécuritaire", prend acte de "la fin de l'ouverture" à gauche opérée par Nicolas Sarkozy depuis son arrivée au pouvoir en 2007, et dénonce des "humiliations" venues "des conseillers" du président.

Toujours selon Le Nouvel Obs, Bernard Kouchner remercie aussi dans sa missive le chef de l'Etat de lui avoir proposé le 3 août le poste bientôt à pourvoir de "Défenseur des droits", une fonction créée en juin par une loi organique. Il précise dans sa lettre y réfléchir, ajoute l'hebdomadaire. Ce poste doit remplacer celui de Médiateur de la République. Il supervisera trois institutions : Défenseur des enfants (créé en 2000), Commission nationale de déontologie de la Sécurité (CNDS, 2000) et la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité).

Homme de gauche dans un gouvernement de droite, Bernard Kouchner avait déjà reconnu dans le passé avoir des difficultés avec notamment le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, et le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte. "Je ne vous dis pas que, de temps en temps, je n'enrage pas mais j'ai l'impression de travailler tout à fait correctement", avait-il ainsi dit en mai 2010 au quotidien Le Parisien.

En janvier 2009, nous avions déjà consacré un article à cette situation, qui nous paraissait intenable et rendait la France totalement inaudible sur le plan international (lire ici).

Cette situation se décline de façon plus anecdotique à Lyon, où Gérard Collomb, réélu triomphalement au premier tour des élections municipales, trouble de plus en plus son électorat, ainsi qu’une partie de son équipe, qui s’en plaint désormais assez ouvertement. Qu’il s’agisse de ses prises de position sur la réforme des retraites, de sa politique vis-à-vis des Roms, des prostituées et des personnes en situation précaire en général, de son côté décomplexé en matière de sécurité (il se définit lui-même comme un "maire sécuritaire"), de sa fascination pour le bling-bling ou encore de son soutien indéfectible à son "ami" Georges Frêche, on est à des années-lumière des valeurs, du programme et du discours officiel du Parti Socialiste, et plus largement de la gauche.

Sans doute cela s’explique-t-il par ce que l’on appelle communément "le besoin irrépressible d’exister", un syndrome qui affecte bon nombre de politiques, persuadés que la France les attend (il est tout aussi ubuesque d’entendre Jean-François Copé prendre date pour… 2017 !) Après un premier mandat assez réussi, durant lequel Gérard Collomb était perçu "proche des gens", "modeste" voire même "bâtisseur", l’homme politique a décidé d’opérer un virage à 180 degrés pour se forger "un destin national". Pour ce faire, il a pris des positions de plus en plus opposées à celles de son parti. Cette petite voix aigrelette, cette petite musique droitisée, vendue sous les concepts un peu obscurs de "modèle lyonnais " et de "socialisme moderne et saint-simonien" lui ont valu d’être invité par nos confrères de la presse nationale, qui ont trouvé là "un bon client", comme on le dit parfois dans le jargon journalistique. On l’a ainsi vu et entendu sur LCI, Europe 1, France Inter et France 2, vanter les mérites de sa politique qui « réussit » quand la gauche dans son ensemble est accusée de tous les maux dont « l’archaïsme » ne serait pas le moindre.

Comme le déclamait le 5 octobre dernier Thierry Philip, avec des accents lyriques, sur la webradio de Lyon Capitale (écouter ici) "quand on trahit, on finit toujours par se faire rattraper par sa trahison". A l’instar du French Doctor, c’est d’abord lui-même que Gérard Collomb a choisi de trahir en trahissant son électorat. Et comme Bernard Kouchner, sa position deviendra vite intenable. C’est ce que lui reprochait d’ailleurs avec un réalisme certain son directeur de cabinet, Jean-François Lanneluc, que le maire a limogé après huit années de collaboration étroite.

Ainsi, après avoir soutenu Ségolène Royal, puis tenté sa chance avec quelques régionaux du PS, Gérard Collomb s’est finalement tourné vers Dominique Strauss-Kahn, n’hésitant pas à faire du retour du directeur du FMI en France "un impératif moral" ! (lire ici)

L’avenir dira si ce dernier pari -qui ressemble à un va-tout- était insensé. Soit DSK est élu président de la République en 2012 et lui offrira un strapontin au gouvernement pour "services rendus". Soit il n’est pas élu -pour l’heure, il n’est pas encore officiellement candidat- et Gérard Collomb devra se recentrer sur son mandat local (même si la gauche l’emporte, on le voit mal ministre de Martine Aubry ou de Ségolène Royal). Reste à savoir si les Lyonnais lui tiendront rigueur de cet abandon. Ou si, in fine, ils lui feront confiance pour un troisième mandat municipal, flattés du retour de leur agrégé de lettres, plus moine-soldat que soudard, mais conquérant sans trophée, parti comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, que ses ailes de géant empêchent décidément de marcher.

Didier Maïsto
Directeur de la Publication

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