Intervention télévisée : Sarkozy, soliste émérite d’un quatuor à vent

“Chiraquisé et impuissant” lâchent les uns, “pragmatique et réaliste” répondent les autres. Difficile pourtant d’affirmer que “le Sarkozy nouveau est arrivé” et qu’il s’est enfin “présidentialisé”, tant les Français sont restés sur leur faim. Quel cap et quelle vision pour notre pays, après 90 minutes “d’interview” ? Nous n’en saurons rien pour ainsi dire. Nous aurons au moins appris que les ministres renvoyés du gouvernement l’ont été “à leur demande”, qu’ils sont à la fois “de très grande qualité” et suscitent “l’admiration” présidentielle pour leur “courage” et leur “dignité”. Ils seront paraît-il plus utiles à la France à l’extérieur du gouvernement, lequel “a besoin de stabilité”, qu’à l’intérieur. Soit. Comprenne qui pourra.

Quant à François Fillon, le président lui a déclamé un dithyrambe que n’aurait renié Dyonisos lui-même, sauf qu’aujourd’hui la flûte a remplacé le hautbois. Question d’époque. Reconnaissons au président une expression mieux maîtrisée, avec usage de formes interrogatives, de l’imparfait du subjonctif et du passé simple, ce qui dans sa bouche produisit une drôle de musique. Il est en effet inhabituel -et assez risqué- de passer sans transition de Mireille Mathieu et Jean-Marie Bigard à Brahms et Rossini, même en “y mettant le paquet”. Au final, Nicolas Sarkozy aura surtout parlé de sa personne et nous aurons assisté un peu interdits à une sorte de remake du Divan d’Henry Chapier. Enfin, nous aurons entendu que Michel Mercier, nouveau Garde des Sceaux et ministre des Libertés, était l’ami personnel de François Bayrou, ce que nous avions bien compris à Lyon Capitale ! (lire ici).

Cette émission était pour tout dire assez médiocre mais la responsabilité en incombe essentiellement aux trois “journalistes” choisis par l’Élysée – Claire Chazal, David Pujadas et Michel Denisot- qui, une fois de plus, se sont prêtés à cette pantomime devenue traditionnelle. Tout au long de l’émission, Nicolas Sarkozy les a littéralement admonestés, retournant lui-même les questions aux membres de L’affaire Louis’trio, obligés à tour de rôle de répondre piteusement au chef de l’Etat. “Pardon Madame Chazal ? Je n’ai pas entendu votre réponse”. Ainsi, chaque fois qu’un sujet irritait le président de la République, les trois compères embrayaient immédiatement sur un autre. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’être bêtement agressif ou méchamment insultant mais simplement de poser les bonnes questions, c’est-à-dire celles que les Français se posent, notamment en ce moment, où la souffrance sociale est terrible et l’économie durablement plantée, le tout sur fond de mondialisation galopante. Il s’agit surtout pour un journaliste d’être un minimum accrocheur, jusqu’à obtenir une réponse sur le fond et ne pas se contenter de pirouettes, de mépris et d’indignation outragée, dont on voit immédiatement la dimension théâtrale, dans laquelle Nicolas Sarkozy excelle (surtout si, à l’instar des trois animateurs, on est vraiment bon public).

N’est pas président qui veut, journaliste non plus

Mardi soir c’était “circulez y’a rien à voir ni à savoir” et l’on sentait bien que les “journalistes” (décidément ce mot ne leur sied qu’entre guillemets) ne devaient surtout pas commettre de crime de lèse-majesté dans cet exercice compassé. Pourquoi ? Pour “en être” sans doute à nouveau la fois d’après, pour assurer à leurs chaînes de bons scores d’audimat, tout en lissant leur image personnelle entre fromage et poire, qu’il faudra bien vendre en fin de soirée. Les temps sont durs. Et “n’est pas président qui veut”, comme disait la réclame. On serait tenté d’ajouter : “journaliste non plus”.

Pour sortir de cette société de (mauvais) spectacle et de ce fâcheux mélange des genres, la solution est d’une simplicité enfantine : il suffirait aux directeurs des différentes rédactions – privées comme publiques- de s’unir sur le sujet, d’apporter ensemble une fin de non recevoir aux diktats élyséens et de ne plus se laisser imposer le choix des journalistes, le tout en prenant l’opinion à témoin. Allez, un peu de courage, mesdames et messieurs les directeurs ! Les Français vous suivront massivement ! Et les politiques n’auront plus le choix, sauf à ne plus participer à vos émissions !

La presse a en effet une immense responsabilité démocratique, particulièrement à cette époque de communication ininterrompue, cette “ère du vide” admirablement décrite par Gilles Lipovetsky, ère du vide qu’elle alimente hélas en vagues bruyantes et incessantes, sur la crête desquelles Nicolas Sarkozy surfe avec un talent tout perfide. Il est temps que les hommes politiques ne se prennent plus pour des télé-crochets et les télé-crochets pour des journalistes. Pour y répondre, la profession – actuellement réunie en Assises- serait tout à fait inspirée si elle mettait en œuvre une nouvelle charte d’indépendance, dont l’une des mesures phares serait donc de choisir et d’imposer ses journalistes pour toute intervention présidentielle. L’idéal serait qu’il y ait un représentant de chaque type de média : un journaliste télé, un journaliste radio, un journaliste de la presse écrite, un journaliste Internet, désignés par leur hiérarchie (et non par le pouvoir) à l’aune de leurs compétences, de leur indépendance d’esprit et de leur connaissance des dossiers. Et non plus pour leur côté “star du petit écran” et “compatibilité avec le monarque”.

Ce serait un réel progrès, à la fois en termes de démocratie et de sens. Si la télé – privée comme publique- faisait ce modeste aggiornamento et s’occupait aussi de la meilleure “partie de cerveau disponible”, le vieil adage ne mentirait plus : la France aurait davantage le personnel politique qu’elle mérite. Les directeurs des rédactions doivent maintenant s’y atteler, en assumant leurs responsabilités. C’est un tout petit pas pour la presse, mais assurément un grand pas pour la démocratie. Le moment est tout indiqué, à dix-huit mois de la présidentielle. Et si d’aventure Nicolas Sarkozy remportait les prochains matches télévisés aux points, voire par K. O, ce ne serait plus faute de combattants. Ce serait donc incontestable.

Didier Maïsto
Directeur de la publication

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