CRITIQUE - Les médias et les journalistes seront-ils un jour condamnés pour diffusion de mauvaises nouvelles ? Si l'on suit la théorie du docteur Lemoine, psychiatre lyonnais, il n'y a qu'un pas à franchir pour atteindre ce résultat. Dans son dernier ouvrage, le médecin met en avant l'effet nocebo (contraire du placebo) de certaines nouvelles données par les médias, toxiques pour la santé mentale des Français. Il appelle à la création d'une haute autorité de contrôle des médias.
Patrick Lemoine inventeur de concepts négatifs gagne a être connu. Puis de science, passionné d'éthologie, il s'évertue depuis plus de trente ans à décrypter les comportements de nos contemporains. Tel un ethnologue de la santé, il observe la société à la recherche des causes de la maladie de ses patients.
Le bon média, celui qui donne les moyens de s'en sortir
Convaincu de l'importance du cerveau, capable de fabriquer selon lui "tous les toxiques de la création, aussi bien que tous les médicaments", il se méfie de l'état d'esprit de ses patients, grandement influencés pour certains d'entre eux par les nouvelles délivrées par les médias. Le psychiatre aborde donc dans son 23ème opus présenté ce mardi 8 mars au forum de la Fnac Bellecour, "le mystère du nocebo", le rôle des médias et des journalistes. Et partant d'une idée noble : "média, c'est le medium en latin, celui qui relie", il aborde très rapidement le revers de la médaille, les médias "toxiques", "ceux qui diffusent de mauvaises nouvelles sans donner aux gens les moyens de s'en sortir".
La grippe H1N1 ? Bien sur qu'il fallait en parler l'année dernière. "Les spécialistes ne se demandaient pas si le virus allait muter, mais quand il allait muter", rappelle le médecin qui s'attaque aussitôt aux journalistes qui ont abordé la question sans donner aux lecteurs quelques recommandations afin d'éviter d'attraper le virus : "simplement leur rappeler comment se protéger de la grippe, les gestes simples d'hygiène pour ne pas transmettre le virus, se protéger".
Plus grave selon lui, l'épisode des journalistes de Paris Match rendus en Afghanistan en août 2008 sur la piste des Talibans qui venaient d'abattre dix soldats français. Ils reviennent avec une image choc publiée dans le magazine le 4 septembre : celle des combattants afghans réunis autour de leurs cadavres français. Le journal titre "la parade des Talibans avec leurs trophées français". Un scoop, comme on dit dans la profession, sauf que les reporters de guerre ont oublié de préciser aux lecteurs qui s'étaient eux qui avaient créé l'événement : retrouvé les afghans, fait parader les Afghans devant les appareils photos. Les Talibans auraient-ils défilé ainsi si les journalistes de Match n'étaient pas venus les prendre en photo ? Patrick Lemoine en doute. Il pense surtout aux conséquences sur la santé mentale de la famille, de amis de ses soldats et sur celle de tous les Français un peu sensibles à ce genre d'information. "Ils auraient dû être condamnés pour cela... ", désespère le psychiatre. La profession, au contraire, leur a décerné un prix, celui de l'audace, remis en 2009 par le Syndicat de la presse magazine et d'information (SPMI).
L'effet réel d'une mauvaise nouvelle sur la santé
Les conséquences de telles informations sont pourtant réelles sur la santé. Le psychiatre estime qu'elles peuvent heurter violemment la conscience de quelques uns, le cerveau de ces personnes peut alors se mettre à produire des toxiques extrêmement nocifs pour la santé. C'est ce que le psychiatre appelle l'effet nocebo, le contraire de l'effet placebo qui fonctionne dans 86% des cas, rappelle le psychiatre. Pourquoi l'effet nocebo ne fonctionnerait-il pas lui aussi ? Selon le médecin, les médias ont donc une responsabilité, ils ont certes un rôle de tocsin à jouer et doivent continuer à prévenir les gens quand un danger survient, mais ils ne doivent pas oublier de leur donner aussi des informations qui les aident à s'en sortir. Ne pas les enfoncer. Un meurtre en Afghanistan ? Évoquer dans ce cas, les pistes de sorties du conflit qui existent par exemple. Un détournement de fonds d'argent public ? Évoquer alors la demande d'ouverture de commission d'enquête formulée par certains parlementaires, etc.
Problème à l'ère d'Internet, les informations et les sources d'informations se multiplient. Comment les appréhender et les digérer toutes ? Spécialiste des troubles du sommeil, Patrick Lemoine se souvient d'une patiente intoxiquée à France Info. Elle était si convaincue du rôle d'avertisseur joué par les médias qu'elle écoutait les infos en boucle afin d'être sûre de n'en manquer aucune. Elle n'en dormait plus la nuit. "Tout le monde sait pourtant que sur France Info un cycle d'information ne dure qu'une trentaine de minutes et qu'il est ensuite rediffusé". Elle, visiblement, ne le savait pas.Il lui manquait bel et bien les clefs de l'information.
La solution : créer une haute autorité de contrôle et former nos enfants
Patrick Lemoine propose donc d'élire des représentants de la profession, une haute autorité telle que le CSA, chargée de contrôler les bonnes pratiques des journalistes afin de permettre aux lecteurs, aux auditeurs, aux téléspectateurs et autres internautes de choisir parmi les médias en fonction de leur déontologie, leur éthique. Un moyen de faire le tri. Il propose aussi à l'Education nationale de jouer un rôle de formation aux médias. "Il faut former nos enfants à faire le tri entre 'un blog pourri' et un bon site d'informations, eux qui tchattent toute la journée sur Internet", insiste le médecin. "Pourquoi ne pas organiser de cours où l'on profiterait du cadre de l'école pour se rendre avec les enfants sur un blog, leur apprendre à distinguer une bonne et une mauvaise information".
En octobre 2008, les Etats généraux de la presse avaient évoqué la possibilité de mettre en place des solutions en ce sens, comme celle "d'inciter à l’adoption de "chartes éditoriales" dans les publications et/ou les groupes de presse, les annexer aux contrats de travail des journalistes et les rendre accessibles au public". Idem dans l'Education nationale où, pour l'heure, les médias sont surtout abordés comme un danger et où l'initiative de leur découverte est abandonnée aux "courageux" professeurs, en particulier sur Internet. Peut-être que cet apprentissage viendra un jour enfin nourrir les programmes de l'Education nationale. Le livre du docteur Lemoine va en tous cas lui, dans le sens de cette évolution.
"Le mystère du Nocebo"' chez Odile Jacob, 22,90 euros.
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